Immigration de masse, soupçons de bureaucratie, déséquilibres financiers, injustice économique, les arguments en faveur du Brexit sont aussi nombreux que ses bruyants défenseurs. Boris Johnson, l’ancien maire de Londres, est à l’image de ce débat d’importance historique : hautement médiatisé et polémique. Né à New York, diplômé d’Oxford, ce conservateur ultra-libéral, connu pour ses positions en faveur d’une sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne, a dirigé la capitale mondiale de la finance depuis le début de la crise de 2008 et jusqu’à l’élection en mai dernier du premier maire musulman de la ville, Sadiq Khan.

Alors que les résultats définitifs donnent gagnant le camp de Johnson, pour un « NON » au référendum de ce 23 juin 2016, la question de l’immigration s’est peu à peu effacée du débat public, suite à l’assassinat de la député pro-européenne Jo Cox, et a laissé place à la véritable clé de voute de cette échéance : l’impact économique du Brexit. Le Fonds Monétaire International, dirigé par la française Christine Lagarde, a apporté dans un rapport récent un argumentaire très solide et précisément chiffré pour défendre le maintien du Royaume-Uni dans l’UE. L’investissement vers le Royaume-Uni sera notamment fortement pénalisé par la sortie de l’UE, et le marché des fusions-acquisitions s’en trouvera durement impacté.

 

Un contexte particulier : une brève histoire du Royaume-Uni dans l’UE3980674-3x4-700x933-2

Il est intéressant avant d’avancer dans l’étude de l’impact du Brexit sur l’activité des banques d’investissement, de procéder à un bref rappel des relations très ambigües que le Royaume-Uni et l’Union européenne ont maintenues depuis 1973. C’est à cette date qu’après de très longues négociations, notamment entravées par la France, le Royaume-Uni parvient à intégrer la Communauté Européenne. Bien loin de réaliser les « Etats-Unis d’Europe » appelés des vœux de Winston Churchill en 1945, cette entrée ouvre un débat profond au Royaume-Uni, qui ressortira à plusieurs reprises au cœur de l’actualité. Si dès l’intégration en 1973 des voix s’élèvent au sein du Labour pour condamner le fait qu’« en nous empêchant d’acheter la nourriture aux meilleures sources disponibles dans le monde, les contraintes européennes vont à l’encontre de nos plans pour contrôler les prix et l’inflation », c’est avec l’arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher qu’apparaît le premier point de rupture. Le fameux « I want my money back » de la dame de fer, satisfait en 1984 avec un rabais sur la participation britannique au budget de l’Union Européenne, a marqué l’histoire et incarne encore aujourd’hui la principale revendication des défenseurs du Brexit. Depuis cette date, la situation du Royaume Uni dans l’Union Européenne résulte d’une accumulation de clauses, d’exemptions et de refus : pour la charte sociale et la monnaie unique adoptées dans le cadre du Traité de Maastricht en 1992, pour les candidatures de plusieurs présidents de la commission européenne, dont le dernier en date est Jean-Claude Juncker, pour le projet de Constitution européenne en 2004… En 2005 encore, Tony Blair, alors Premier ministre et tête de proue de la nouvelle social-démocratie européenne, souhaite appeler le peuple à se prononcer sur l’appartenance à l’Union Européenne. L’organisation du referendum par le Premier ministre conservateur David Cameron est donc bien, comme le FMI, l’OCDE et la BCE l’ont exprimé, un véritable breaking point.

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Un impact mitigé sur l’investissement au Royaume-Uni

L’effet de la sortie de l’UE sur l’économie britannique sera triple. À court-terme d’abord, elle induira un vent de panique, comme en témoignent les premiers soubresauts ressentis sur les marchés financiers ces dernières semaines. À moyen-terme ensuite, elle soutiendra l’activité des fusions-acquisitions du fait de la faiblesse de la livre et de la recomposition nécessaire du paysage économique et industriel britannique. A long-terme enfin, et comme le souligne avec force le rapport du FMI, le Brexit devrait avoir un impact absolument dévastateur sur l’économie britannique. En effet, il provoquera une perte de 1.5% de Produit Intérieur Brut en cas de sortie avec maintien dans le marché commun, et de 5% en cas de sortie sans maintien dans le marché commun. Dans ce même rapport, cité par Reuters, les économistes du FMI écrivent qu’« à court terme, l’incertitude créée par un processus de sortie compliquée et inédit pourrait être dommageable pour l’investissement, la consommation et l’emploi. » Et d’ajouter que « l’effet à long terme sur la production et les revenus britannique serait aussi probablement négatif et important, car de nouvelles barrières pèseraient sur le commerce, l’investissement et la productivité. De plus, les marchés pourraient précipiter l’arrivée de ces effets négatifs à moyen et long terme en réagissant de façon abrupte immédiatement après le vote. » L’Organisation de Coopération et du Développement Economique, dans un rapport publié en avril dernier, écrivait, plus pessimiste encore : « l’ampleur du choc sur les marchés financiers si les Britanniques se prononçaient pour une sortie de l’Union Européenne serait d’une amplitude similaire à celle des chocs observés au paroxysme de la crise de la zone euro en 2011-2012. »

 

Un risque modéré pour le marché des fusions-acquisitions 

brexitParadoxalement, comme démontré dans une étude publiée par Mergermarket et le cabinet d’évaluation Duff & Phelps, intitulée « Looking East and West : UK cross-border M&A », le marché britannique des M&A ne sera pas uniformément ni directement touché par la sortie de l’UE. Dans cette enquête menée auprès de chefs d’entreprises et de gérants de fonds d’investissement britanniques, la première observation est un fort ralentissement du marché des M&A. En effet, après une année record en 2015, pour un total de plus de 430 milliards d’euros d’opérations, et avec un pic au troisième trimestre à plus de 200 milliards, le marché britannique a chuté de plus de 50%. Le premier trimestre de 2016 a rejoint les plus bas niveaux des années post-crise, et rompu le plancher des 50 milliards de dollars. Pourtant, une très large majorité des sondés (86%) estime que les M&A au Royaume-Uni augmenteront en 2016, et selon 72% d’entre eux, cette augmentation sera significative. Sur les drivers de ce marché, la solidité économique est en tête des préoccupations, devant le positionnement du Royaume-Uni comme porte d’entrée de l’UE, l’accès facile à une dette peu chère, et les transformations démographiques à venir. D’où l’intérêt des prévisions du FMI concernant la croissance britannique. En termes de secteurs, l’industrie et la pharmacie stimuleraient les opérations, ainsi que les consumer goods. Si certains comptent sur l’hyperactivité des entreprises chinoises en acquisitions cross-border pour soutenir le marché britannique, il ressort de l’enquête de Mergermarket que 53% des opérations vers le Royaume-Uni viendraient d’Europe continentale, à l’image du méga-deal réalisé en 2015 dans le secteur pétrolier entre la Royal Dutch Shell et BG pour 80 milliards de dollars. Ainsi, et c’est la conclusion la plus importante de cette étude, les dealmakers britanniques sont convaincus à plus de 70% que cette sortie  du Royaume-Uni dans l’Union Européenne affaiblira le marché des M&A en Europe.

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Un point de rupture pour la finance européenne

Comme l’écrit Stéphanie Villiers, ancienne chef économiste chez BNP Paribas et éditorialiste pour La Tribune, « au-delà des accords commerciaux qui ont intensifié les échanges des biens et des services pour l’ensemble des pays membres de l’UE, l’avènement de l’euro a été un événement déterminant pour le développement de la place financière de Londres. » Ainsi, « la Grande-Bretagne a pu consolider la City en la propulsant, grâce à la monnaie unique, au premier rang mondial des places financières devant New York et Hong-Kong ». La rupture des relations avec l’Union Européenne représente un tournant dans l’histoire de la finance européenne, et une opportunité pour la place parisienne. Au-delà du tremblement de terre que le Brexit provoque déjà sur les marchés, notamment sur un plan monétaire, c’est sur le plan opérationnel que la transformation devrait être la plus forte, puisque plusieurs banques ont d’ores et déjà annoncé qu’elles relocaliseront leurs centres de commandement ou une partie de leurs équipes de banque d’investissement sur Paris ou Francfort. Parmi elles HSBC, BNP Paribas, Deutsche Bank, Crédit Suisse, et même Goldman Sachs.

En conclusion, et même si l’impact du Brexit sur le marché britannique est difficilement prévisible, il apparait clairement que la sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne, et notamment du marché commun, pénalisera fortement l’économie outre-Manche. Comme l’a exprimé le ministre français de l’économie Emmanuel Macron dans un discours donné le 18 juin dernier, « l’Union Européenne, on est dedans ou on est dehors. »

Anatole Lizee, étudiant à l’ESCP-Europe et contributeur du blog AlumnEye