Le marché des matières premières, bien que moins important en valeur relative que les marchés dérivés sur instruments financiers, est loin d’être négligeable et progresse en matière de transactions. Qu’elles soient d’origine végétale, animale, ou minérale, les commodities ont joué et jouent toujours un rôle essentiel dans le développement de tous les pays, qui en produisent, importent et exportent des volumes toujours plus élevés.

Les flux devenant de plus en plus importants et généralisés au fil du temps, la priorité a rapidement été de créer des structures physiques dans lesquelles marchands, négociants et courtiers pourraient échanger, acheter et vendre (immédiatement ou à terme) des matières premières.  C’est ainsi que dès le XVIe siècle, les bourses de commerce commencent à fleurir partout en Europe avec notamment la Bourse d’Amsterdam (1530), le Royal Exchange (1554) à Londres et deux siècles plus tard la Bourse de commerce de Paris (1767) et la London Sales Room au sein du Royal Exchange (1811). Côté américain, il faut attendre les XIXe et XXe siècles pour voir la création du Chicago Board of Trade et du New York Board of Trade. Aujourd’hui, les transactions purement financières ont largement supplanté les transactions physiques en nombre.

 

Produits échangés dans le “Commodity Market”

 

Dans une approche globale, sont considérés comme commodités :

  • des matières premières brutes extraites de la nature ou produites par elle ;
  • des biens de consommation essentiels, courants et très standardisés.

En voici une liste non exhaustive :

Énergie  charbon, pétrole brut, brent, gasoil, gaz naturel, uranium, thorium, éthanol, propane, hydrogène
Métaux aluminium, fer, or, argent, cuivre, platine, palladium, acier, zinc, étain, plomb, nickel, cobalt
Agriculture blé, riz, maïs, avoine, cacao, café, thé, farine, colza, haricot, caoutchouc, fruits, coton, algues, sucre, soja, huile de soja, huile de de palme, huile d’olive, jus d’orange, bois
Minéraux sable, gravier, argile, pierre, ardoise, sel, calcaire
Animaux lait, fromage, beurre, porc, chèvre, mouton, peaux, laine, crustacés, poissons, graisses animales, ivoire

 

 Les acteurs du marché

 

Les principales sociétés qui produisent et commercialisent des matières premières sont :

  • ExxonMobil, Total, Shell, BP et Chevron pour le pétrole ;
  • BHP Billiton, Rio Tinto et Vale pour les minerais ;
  • Nestlé, Danone, Monsanto, Tyson Foods et JBS Friboi pour les aliments.

Au niveau des productions nationales, plusieurs pays se distinguent :

  • la Côte d’Ivoire pour le cacao ;
  • l’Australie et le Brésil pour le fer ;
  • le Brésil et l’Inde pour le sucre brut ;
  • la Russie pour l’aluminium ;
  • la Chine, l’Inde et les Etats-Unis pour le coton ;
  • le Brésil pour le café ;
  • les Etats-Unis, le Canada, l’Iran, l’Arabie Saoudite et la Russie pour le pétrole.

Des sociétés de courtage comme Vitol, Glencore, Cargill, Archer Daniels Midland (ADM), Bunge, Louis Dreyfus Company (LDC) et Trafigura interviennent aussi dans le processus de vente des commodités et même parfois d’extraction via l’acquisition de mines par exemple. Glencore a ainsi vendu près de 80 millions de tonnes de fer au cours de l’année 2018. Ces sociétés sont pour la plupart basées en Suisse, pôle mondial pour le négoce de matières premières.

 

LA4Lire aussi : Le rôle des sociétés de courtage de matières premières

 

Les banques sont également très actives sur les marchés à terme et de gré à gré de matières premières. La plupart possèdent des divisions et des bureaux spécialisés dans les commodities où des experts des marchés suivent en permanence les tendances et les évolution des cours. Certaines se sont même dotées de structures physiques (entrepôts de stockage, raffineries, centrales électriques, tankers pétroliers…) afin d’influer directement sur les stocks de matières premières et donc sur les cours. Il s’agira principalement de stocker pour faire grimper les prix et de déstocker pour les faire baisser. Goldman Sachs a ainsi engrangé plusieurs centaines de millions de dollars de bénéfices en rachetant des entrepôts de stockage de barres d’aluminium à Détroit en 2010. En effet, sa mainmise sur ces entrepôts lui a permis de contrôler les délais de livraison de ses barres (qui sont passés de 6 semaines à 16 mois en moyenne) et donc de faire grimper les prix alors même que l’offre mondiale d’aluminium s’est accrue durant cette période.

 

Places boursières importantes et vecteurs de volatilité

 

Plusieurs places boursières focalisent l’essentiel des activités financières et sont parfois spécialisées dans certaines commodités. On retrouve ainsi :

Chicago Board of Trade (CBOT, blé, maïs, riz brut, avoine, soja, huile, farine, lait, bois)

Chicago Mercantile Exchange (CME, matière premières animales (carcasses, animaux sur pied…))

New York Mercantile Exchange (NYME, cacao, café arabica, sucre, jus d’orange, coton)

Singapore Commodity Exchange (SICOM, essence, kérosène, gasoil)

Tokyo Grain Exchange (TGE, soja, café arabica, café robusta, haricots rouges, maïs, sucre roux, soie naturelle)

London Metal Exchange (LME, aluminium, cuivre, étain, nickel, plomb, zinc, acier ainsi que de nombreux métaux stratégiques et précieux)

London Bullion Market Association (LBMA, or, argent)

International Petroleum Exchange (IPE, pétrole brut, brent, gazole)

Paris Stock Exchange (Bourse de Paris, blé, maïs, colza, carcasse de porc, argent, iridium, or, palladium, platine, rhodium)

 Afin de pouvoir bénéficier d’une approche globale des cours de chaque matière première (et de chaque action en général), des organismes financiers ont développé des indices boursiers permettant d’avoir une vue condensée de l’évolution des cours. Il s’agit d’indicateurs clés pour déterminer la performance des différents marchés. Ils se définissent principalement par trois caractéristiques :

La date de création et la base de l’indice, l’échantillon considéré et le poids de chaque membre de l’échantillon au sein de l’indice. Le CAC 40 est l’indice phare de  la Bourse de Paris et représente la tendance des grandes capitalisations françaises. En ce qui  concerne les commodités, plusieurs indices ont été mis en place et sont régulièrement consultés : le Goldman Sachs Commodity Index (S&P GSCI, contient 22 commodités avec un poids d’environ 78% pour l’énergie, 6% pour les métaux, 2% pour les métaux précieux, 10% pour l’agriculture et 3% pour l’élevage), le Bloomberg Commodity Index (BCOM), le Thomson Reuters/Core Commodity CRB Index (TR/CC CRB), Rogers International Commodity Index (RICI) et le Standard & Poor’s Commodity Index (SPCI).

 

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Qui fixe les prix : les producteurs ou les financiers ?

 

Pour la plupart des produits agricoles, les prix étaient au départ extrêmement dépendants de la récolte. Si cette dernière était bonne, les prix diminuaient et si elle était mauvaise, ils explosaient. Très rapidement (dès le XIXe siècle en Angleterre), les premiers contrats à terme sont mis en place par les industriels avec un prix pour une livraison quasi-immédiate, un prix pour une livraison dans trois mois, et un autre pour six mois ; les producteurs souhaitant se protéger contre la fluctuation des prix et vendre leur production à l’avance. Ces prix étaient bien entendu fixés à l’avance avec par exemple un prix fixé six mois avant la livraison.

Ce raisonnement est également valable pour le pétrole. Afin de vendre des billets d’avion plusieurs mois à l’avance, les compagnies aériennes doivent s’assurer que le prix du kérosène n’explosera pas entre le moment où le billet est vendu et le moment où le vol a lieu. Le kérosène représentant environ 30% du prix du billet, si le prix de ce dernier venait à s’envoler, la compagnie serait alors privée de toute sa marge sur les billets qu’elle a vendus à l’avance. Elle se protège donc en garantissant le coût de ses approvisionnements : si le prix du pétrole explose, elle sera protégée par son contrat avec son fournisseur. Aujourd’hui, les causes majeures de volatilité sont principalement les aléas climatiques et les incidents politiques. Une sécheresse en Europe va par exemple doper les cours du blé et du maïs alors qu’un embargo d’un pays producteur sur le pétrole aura le même effet sur le prix du baril. Les conséquences sociales d’un accroissement brutal du prix des grandes céréales sur certaines populations sont très importantes notamment dans les pays émergents et du Sud. C’est pourquoi, de nombreuses institutions proposent des solutions afin de lisser les cours agricoles : rallongement des durées des contrats, réduction du gaspillage, renforcement des infrastructures de stockages dans les pays pauvres…

Le véritable essor des marchés a donc coïncidé avec l’introduction d’instruments permettant de se couvrir contre le risque de fluctuation. Ces fluctuations s’observent aussi bien sur les prix au comptant (livraison sous 1 à 2 jours) que sur les marchés à terme. C’est cette courbe des prix en fonction de la date de livraison qui a permis l’introduction des acteurs financiers dans le marché des commodités. Le prix à trois mois d’une matière première, par exemple le blé, reflète l’opinion moyenne. Si un acteur financier a une appréciation de la récolte différente de la moyenne et pense par exemple que le prix dans trois mois sera plus élevé qu’il ne l’est actuellement, il peut acheter du blé pour une livraison dans trois mois et le revendre au comptant une fois qu’il a été livré. Dans la pratique et la plupart du temps, il n’y a aucune livraison puisque le financier s’arrange avec le vendeur pour que ce dernier lui paye la différence : c’est la spéculation. Cette non-obligation d’acheter effectivement la commodité sur laquelle on spécule, de la stocker puis de la revendre, a permis aux financiers d’intervenir quand ils le souhaitent sur les marchés en fonction de leur avis personnel.

Il est également intéressant de signaler que contrairement à d’autres actifs comme les actions et à quelques exceptions près (des matières toxiques dont les producteurs veulent parfois se débarrasser comme le soufre), les commodities ne perdront jamais totalement leur valeur : on ne trouvera jamais du coton à 0$ !

 

LA4Lire aussi : Trafigura, sur la voie de la rédemption

 

Financiarisation du marché des matières premières : un vecteur de stabilité ou de volatilité ?

 

Tout individu qui a un avis sur l’évolution des cours peut donc l’exprimer en achetant ou en vendant des commodities. Les financiers, bien qu’ils n’aient rien à voir avec la production et le stockage du cacao, peuvent influer sur le prix de ce dernier. Par exemple, une anticipation d’une hausse des prix entraînera des achats massifs. Cependant, la hausse des prix est aussi une occasion pour les vendeurs de vendre leur marchandise, lissant dès lors le phénomène spéculatif. Tout cela soulève une question importante : l’intervention des acteurs financiers dans les marchés de commodités est-elle un facteur d’instabilité ?

Il s’agit d’une question difficile et plusieurs économistes théoriciens de renoms ont des avis différents sur le sujet. Milton Friedman (prix Nobel d’économie en 1976) affirme que plus il y a d’intervenants financiers sur un marché, plus le prix est juste puisque ce dernier représente l’opinion d’un plus grand nombre de personnes. À l’inverse, d’autres soutiennent que ces financiers sont source de “bruit” et donc de volatilité. En pratique, cela n’est pas réellement vérifiable puisque les acteurs financiers interviennent effectivement dans les processus de stockage et parfois même de production des commodities. Il est donc aujourd’hui illusoire de vouloir séparer les producteurs et les intervenants financiers des matières premières.

D’un autre côté, on peut penser que si les producteurs étaient les seuls à fixer les prix des commodités de base, ces derniers seraient authentiques et ne fluctueraient quasiment pas dans la mesure où ces producteurs sont des industriels qui connaissent bien mieux les marchés dans lesquelles ils interviennent que les acteurs financiers. Ce qui n’est pas forcément le cas. Dans les banques demeurent encore des spécialistes des matières premières qui suivent au quotidiens les marchés dans lesquels ils sont spécialisés, et qui connaissent parfois ces industries en question aussi bien que les producteurs, voire même mieux. Il apparaît donc légitime d’estimer que les interventions de ces professionnels de la finance stabilisent les marchés plus qu’elles ne les rendent volatiles ; d’autant plus que les prix à long terme sont beaucoup plus stables que les prix au comptant (effet Samuelson).

 

Bibliographie – Pour aller plus loin

 

Voici une liste de documents en libre accès permettant d’approfondir certains points comme les différents types de contrats à terme, les fluctuations des cours ou les solutions pour se couvrir contre ces dernières.

 

[1]       Lautier Delphine, Simon Yves. La volatilité des prix des matières premières. Revue d’économie financière, n°74, 2004. La volatilité des marchés financiers. pp. 45-84.

 

[2]      World Bank Group. Commodity Markets Outlook – Food Price Shocks : Channels and Implications. Avril 2019.

 

[3]      Food and Agriculture Organization of the United Nations. The State of Agricultural Commodity Markets – Agricultural Trade, Climate Change and Food Security. Rome, 2018.

 

[4]      Papa Gueye Fam. Marchés des matières premières agricoles et dynamique des cours : un réexamen par la financiarisation. Economies et finances. Université de Toulon, 2016.

 

[5]      République française – Centre d’analyse stratégique. Volatilité des prix des matières premières. La note d’analyse n°206. Janvier 2011.

 

Racil Kacem, étudiant à l’ISAE-SUPAERO et contributeur du blog AlumnEye