« The City has extracted privileges and freedoms from rules and laws to which the rest of Britain must submit » – Nicholas Shaxson

 

La critique faite par le journaliste Shaxson sous-entend que la cité londonienne communément appelée couramment « la City » ou « Square Mile », jouit encore de privilèges dont ne peut se targuer le reste de la Grande-Bretagne. D’où peut donc venir cette scission entre le cœur londonien et le reste du pays ? Est-ce dû à son histoire, à ses caractéristiques ? Ces privilèges accordés implicitement à la City devront-ils disparaître au fur et à mesure que la menace du Brexit s’épanche sur l’île britannique et son économie ?

 

Le quartier le plus ancestral de la Grande-Bretagne

Avant que la Cité de Londres ne devienne la plus grande place financière du monde, elle fut « Londinium », l’un des bastions des Romains à l’antiquité et une place centrale du commerce maritime romain puisqu’elle borde la Tamise : déjà lors, ce lieu était réputé pour les échanges de marchandises puisque l’un de ses quartiers fut appelé « Lundenwic » signifiant « London Market » en latin. À mesure que l’Empire romain entre dans son ère de déclin, la City est abandonnée jusqu’à ce que les royaumes unifiés britanniques la reconstruisent pour en faire une cité royale et religieuse et ceci, sous l’égide du premier roi d’Angleterre, Alfred le Grand. Cette place déjà mythique à l’époque, prévalait sur la ville de Londres, du fait de son ancienneté et de sa symbolique –qui reste forte encore aujourd’hui. Londres put tomber que la sa cité resta debout, si ce n’est lors du Great fire of London de 1666 où elle dû être rénovée. Jusqu’alors, elle peut être vue comme le cœur de Londres non pas comme une entité prévalant sur le reste du territoire britannique ; mais cela n’est sans compter sur son développement qui apparaît dès le XVIème siècle.

 

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La City, joyau financier de la couronne britannique

 

Effectivement, ce quartier britannique devient le cœur des activités bancaires et financières européennes avec la création de la Royal Exchange en 1565 par Sir Thomas Gresham qui représente encore aujourd’hui le point névralgique de la Cité de Londres et de la finance britannique. La Banque d’Angleterre, créée en 1694 transite en 1734 dans le même quartier, de même que le marché de l’assurance conquis par le mastodonte Lloyd’s Coffee House, établi à moins de cent mètres des deux autres entités financières. Le quartier jouit au XVIIIème siècle de l’essor de l’industrie, de cette révolution industrielle : Londres s’élargit et sa cité voit ses activités financières croître de façon vertigineuse du fait d’un besoin de financement très élevé de la part des entreprises anglaises mais pas que. En effet, la révolution industrielle nécessite de larges financements pour l’État dans les projets de développement urbain avec un fort potentiel de capital public.

De plus, le Square Mile devient le reflet de la puissance britannique (première mondiale au XIXème siècle) et assoit son pouvoir sur les colonies britanniques mais aussi sur les autres pays du monde : la City est considérée comme reine du monde financier tant ses pouvoirs sont importants. Le système monétaire international de l’époque était en faveur de la Grande-Bretagne avec l’hégémonie de l’or et de la livre sterling : par exemple, si elle connaissait un déficit extérieur, la Banque d’Angleterre augmentait son taux de réserve ce qui rendait le Square Mile plus attractif que les autres places financières et donc provoquait un afflux de capitaux vers ce dernier, amenant ainsi une contraction de l’activité dans le tiers-monde pour un regain sur le territoire britannique. Ainsi, le quartier britannique semblait bénéficier d’un pouvoir immense, financier, sur le reste du monde, chose qui perdurera même après le déclin de l’économie britannique au profit de celle américaine au XXème siècle.

 

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Un symbole plus qu’un hub financier

 

Nous ne pouvons pas parler de la City sans évoquer l’institution qui la définit : la Bourse londonienne. En 1697, John Castaing publie une liste de prix, The Course of the Exchange and other things au sein du Jonathant’s Cofee- House qui deviendra « Stock Exchange » en 1773. La bourse est créée en 1776 –officiellement en 1801- et se déploie réellement à partir de 1835 avec la « railway mania » qui correspond à la croissance des réseaux ferrés européens et à la mainmise de ces derniers par l’Angleterre. Les titres étaient alors peu spécialisés du fait du monopole des marchés régionaux (bourse de Liverpool et de Manchester) permis par des entreprises peu ou moyennement grandes qui n’évoluaient pas au-delà de l’échelle régionale. Toutefois, sur la bourse de Londres on pouvait retrouver les grandes banques britanniques – 59 sont cotées en 1836 – qui émettent alors des billets de banque, de la monnaie scripturale et souscrivent des actions. Depuis, la plus grande place financière du monde a toujours fait en sorte de se développer et de rester dynamique malgré la concurrence américaine puis asiatique à la fin du XXème siècle. Elle initie la vague de déréglementation financière avec le « Big Bang » de 1986 sous Thatcher, change de locaux en 2004, à Paternoster Square. Par ailleurs, le NASDAQ a voulu s’emparer de la Bourse londonienne en 2006 et 2007 mais sans succès. Aujourd’hui, elle est bien loin de la place où ne s’échangeaient que les actions simples de compagnies ferroviaires puisqu’il existe en son sein quatre grands marchés : les marchés d’actions, les services de négociation de valeurs mobilières, les marchés de produits dérivés et ceux d’information sur les données des marchés (prix, informations sur les entreprises cotées…). La City est in fine caractérisée avant tout par la Bourse de Londres.

 

Un microcosme politique, architectural et financier

La place financière britannique est bien singulière si on observe sa gouvernance qui est fort unique. En effet, elle a un modèle politique exclusif puisque le quartier est administré par la City of London Corporation elle-même régie par le Lord Maire de Londres et divisée en deux corps : la Cour d’Aldermen et la Cour du Conseil Commun. Elle a par ailleurs non pas un shérif en chef mais deux shérifs, un Lord Maire plutôt qu’un Lord Lieutenant. Le quartier est constitué de 25 wards reprenant le modèle d’un gouvernement moyen-âgeux qui permet une forte autonomie d’un quartier au sein d’une grande ville, Londres en l’occurrence. Les élections sont également uniques puisque l’électorat n’est autre que les businessmen qui occupent les bureaux de la City et les quelques résidents du quartier (10 000 pour 513 000 commuters i.e qui y travaillent seulement).

Le quartier se différencie également du reste du territoire par sa délimitation géographique et son architecture. Déjà, les Romains l’avaient isolée par des murs, aujourd’hui, la City ayant grandi, les frontières entre le Grand Londres et la City sont représentées par des statues draconiennes. Par ailleurs, le quartier d’affaires est reconnu par les gratte-ciels facilement reconnaissables de par leurs formes : le 20 Fenchurch Street appelé le « Talkie-Walkie », le Leadenhall Building surnommé le « Cheesegrater » et le 30 St Mary Axe prénommé le « Gherkin » sont les plus connus. La finance a ainsi pris le pas également sur l’architecture et transparaît donc un peu partout au sein de cette place londonienne, notamment du côté est, puisque l’ouest est connu pour accueillir les cabinets d’avocats d’affaires les plus prestigieux dont quatre du « Magic Circle » : Linklaters, Slaughter & May, Allen & Overy et Freshfields Bruckhaus Deringer.

Cependant, la finance est bien ce qui définit la City, notamment si on s’appuie sur les statistiques qui y sont affiliées. En 2019, ¾ de ses employés travaillent dans le domaine de la finance. Ce dernier est le secteur dont le taux de croissance des emplois est le plus élevé (+16% entre 2016 et 2017). De plus, il est le pôle le plus productif du secteur des services avec une moyenne de 100 000 livres sterling/employé. Enfin, on recense plus de 23 580 entreprises ancrées dans la City dont 265 qui emploient plus de 250 employés et représentent plus de 50% des emplois du quartier : par ailleurs, 75% de ces firmes sont des entités financières. La City est bien un microcosme avant tout financier.

 

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Une hégémonie financière qui tend à s’effacer ?

 

Prestigieuse est l’histoire de la City mais son futur est-il aussi imposant et lumineux ? Rien n’est moins sûr. Déjà, sur l’île britannique et plus particulièrement Londres, a émergé un nouveau centre financier qui pourrait parvenir à faire de l’ombre à cette place célèbre place : Canary Wharf, dans le secteur de Tower Hamlets. Ce hub financier a amené des entreprises initialement installées dans le Square Mile à changer de bureaux pour des raisons financières, d’attractivité et politiques (politiques de planification de la Corporation). Cependant, au lieu d’une confrontation entre les deux quartiers d’affaires, il semble plus probable qu’ils communiquent, se lient et fusionnent pour ne devenir qu’un. C’est là une idée partagée par Sir George Lacobescu, le CEO de Canary Wharf Group.

Par ailleurs, l’attractivité du Square Mile tendrait à s’effacer quelque peu du fait du Brexit, amenant d’autres places financières européennes à jouir d’un regain d’activité ; c’est déjà le cas pour le Luxembourg, Francfort ou Paris qui accueillent depuis 2019 quelques sections de banques autrefois installées au sein de la City : Goldman Sachs, UBS, HSBC, … Toutefois le nombre de ces migrations d’emplois reste limité et devrait le rester si une union entre la City et Canary Wharf se fait à moyen terme et si la première offre toujours autant d’avantages fiscaux aux entreprises qui y sont : rappelons-le, la cité londonienne est considérée par certains comme l’un des plus grands paradis fiscaux du monde et cela devrait continuer…car après tout, est-ce que le Royaume-Uni a intérêt à perdre son plus précieux joyau au profit d’une transparence fiscale quémandée par un groupe d’Etats qui n’est pas lié physiquement et qui ne sera plus lié d’aucune autre manière d’ici quelque temps ? On peut largement en douter.

 

Ulysse M’Boudi, étudiant à l’EDHEC Business School et contributeur du blog AlumnEye