Les robots humanoïdes cultivent les fantasmes et l’imaginaire des auteurs et cinéastes de science-fiction. Loin de ces représentations populaires, les entreprises, elles, ont depuis longtemps intégré la robotisation dans leur outil de production : les bornes de commandes de McDonalds ou encore de Pepper, le robot humanoïde développé par l’entreprise française Aldabaran Robotics et par Softbank, que l’on a vu à la SNCF, chez Nescafé, etc. Ainsi, le marché des robots se segmente comme suit : robots personnels et robots professionnels, eux même subdivisés en deux sous-segments, les robots de services et les robots industriels. Ces derniers, moins visibles du consommateur, font donc désormais partie intégrante du processus de production des entreprises industrielles et sont un facteur de gain de productivité et d’efficience. La France, réputée pour la qualité de ses ingénieurs et de sa recherche, semble pourtant ne pas avoir pris le virage radical de la robotisation industrielle.

 

Une robotisation à deux, voire trois vitesses

Le marché mondial de la robotique industrielle a été évalué à $11.1 Md en 2015 selon une étude du cabinet Xerfi. Cette même année 254 000 unités robotiques ont été vendues à des fins industrielles dans le monde, soit une hausse de 15% par rapport à 2014. Et cette dynamique s’est maintenue en 2016, avec des ventes culminant à 290,000 unités, soit une augmentation de plus de 14%. Ainsi les robots sont de plus en plus présents dans les entreprises.

Le marché de la vente de robots à usage industriel est attendu en croissance. Selon le cabinet britannique Technavio, le marché mondial des services en robotique industrielle devrait croître annuellement de 9% sur la période 2017-2021. Le développement de l’IoT (Internet of Things) permet aux fabricants de robots de proposer des services à distance rendant la robotisation de plus en plus nécessaire au maintien d’une forte productivité et d’une forte compétitivité.

Ventes mondiales de robots industriels (milliers)

Source : IFR (International Federation of Robotics)

 

Cette croissance cache des disparités fortes. Actuellement, le marché est dominé par 5 pays, qui représentent 75% des ventes mondiales. Dans l’ordre : la Chine, la Corée du Sud, le Japon, les États-Unis et l’Allemagne.

Ventes de robots industriels – 2016

Source : IFR (International Federation of Robotics)

 

L’avance de ces pays s’explique par des raisons propres à chacun d’entre eux. En Chine, le gouvernement a pris acte de son changement de modèle économique et social. Après la fin de la politique de l’enfant unique et l’émergence d’une nouvelle classe moyenne, l’ancienne « usine du monde » voit en la robotique un relais de croissance. D’ailleurs, le treizième plan quinquennal chinois (2016-2020) consacre l’importance de la robotique industrielle, en instituant des investissements massifs dans les robots.

En Corée du Sud, les aides publiques ont aussi soutenu le marché de la robotique. En effet, toute entreprise bénéficie d’un abattement fiscal de 7% sur les investissements en robotique. Par ailleurs, elle a mis au cœur de sa stratégie économique la robotique en la reconnaissant officiellement comme l’un des principaux moteurs de croissance. Enfin, le pays peut compter sur un terreau d’entreprises technologiques capables de se réunir en consortium pour développer et produire des robots (Samsung, LG, Hyundai, etc.).

Les américains, quant à eux, peuvent compter sur certaines de leurs entreprises (Amazon en tête) et leur culture du capitalisme pour accroître leur nombre de robots industriels. Les Allemands, eux, d’une culture industrielle prononcée, voit dans les robots une manne pour conserver la compétitivité de leur tissu industriel à l’échelle mondiale.

En termes de stock, ce sont les japonais qui sont sur la première marche du podium, et comptent 297,000 unités robotiques. Les chinois, qui ont fait le pari de la robotique quelques années après leur voisin de l’est, devraient très rapidement s’accaparer cette première place. C’est 1.5 millions d’unités robotiques additionnelles qui sont attendues d’ici 2020 dans l’Empire du milieu. En termes de densité (unités de robots pour 10,000 travailleurs), c’est la Corée du Sud qui fait figure de tête de proue, avec 531 robots pour 10,000 employés.

Source : IFR (International Federation of Robotics)

 

 

Les relais de croissance apportés par la robotique industrielle

La robotisation de l’industrie comporte de nombreux avantages, d’où sa croissance rapide. Déjà, cette modernisation de l’outil industriel permet des gains de productivité importants. A l’heure où la production par unité de facteur (capital et travail) a atteint son maximum dans nos économies développées et notamment en France, l’avènement de la robotique doit permettre de casser ce plafond et d’atteindre une productivité compétitive. Car c’est bien l’enjeu majeur, la compétitivité de l’appareil industriel d’un pays, qui permet de créer une dynamique économique pouvant entrainer l’ensemble des activités d’une nation. Dans une récente interview accordée à BFM Business, Louis Gallois, ancien CEO d’EADS, actuel prédisent du conseil de surveillance de PSA et auteur d’un rapport éponyme sous l’ère Sarkozy, insiste sur le fait qu’une réindustrialisation d’un pays et de la France en particulier n’a pas vocation à faire diminuer le chômage mais bien à créer une spirale vertueuse de croissance économique. La Corée du Sud, qui dispose du taux de robotisation le plus élevé, affiche fièrement une économie avec un plein emploi, c’est-à-dire un taux de chômage d’environ 4%.

De manière plus opérationnelle, la robotique industrielle favorise le raccourcissement du cycle de production, l’amélioration de la qualité du travail (élimination des travaux dangereux et dégradants) et est dorénavant accessible à tous les acteurs, même les PME. A titre d’exemple, l’entreprise Niry One a créé un bras industriel à 6 axes, imprimé en 3D et dont le code sera diffusé en open source sur GitHub, un des moins chers du marché.

Enfin, de nouvelles applications devraient rendre encore plus efficient l’usage des robots dans nos entreprises, notamment la « cobotisation ». Le cobot se définit comme un robot collaboratif pouvant travailler sans barrière de sécurité à proximité d’un opérateur selon Jacob Pascual Pape, Directeur EMEA d’Universal Robots. Le robot joue alors le rôle d’assistant, pouvant décupler les performances du travailleur.

A l’heure où la croissance des pays développés reste faible, un regain de productivité pourrait alimenter la machine économique et aider les pays développés à retrouver des taux de croissance économique à plus de 3%.

 

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La France, championne du retard

L’industrie la plus consommatrice de robotique industrielle est celle de l’automobile (70% du marché), puis l’électronique (18%), la métallurgie venant compléter le trio de tête (13%). Les leaders du secteur, surnommés les Big 4 de la robotique, sont Kuka, Fanuc, ABB et Yaskawa Motoman.

La France, en termes de densité, qui est l’indicateur phare pour mesurer l’essor de la robotique professionnelle industrielle dans un pays, est à la traîne par rapport à ses homologues européens. En effet, la France n’a consommé « que » 3 045 unités de robots en 2015, alors qu’Outre Rhin, 20 100 robots sont établis. Pis, l’hexagone ne comptabilise que 127 robots pour 10,000 travailleurs. Néanmoins, la France dispose d’atouts dans cette course à la robotisation, notamment grâce à la qualité de la formation de ses ingénieurs. Ainsi, l’Hexagone dénombre 46 laboratoires de robotiques et 1,300 chercheurs ingénieurs qui ont à charge de faire avancer l’état des connaissances actuelles. La France souffre de son écueil habituel, à savoir un goût du risque et du capitalisme moins développé que la plupart de ses voisins. Ainsi, l’écosystème d’ETI français, bien moins développé que l’allemand, n’a pas investi dans cette technologie au même rythme que son voisin d’Outre-Rhin. Par ailleurs, la relative faiblesse de l’industrie française joue en défaveur du développement de la robotique professionnelle qui est consommée principalement par les secteurs tels que le textile, l’automobile, l’industrie lourde, etc.

Enfin, les politiques publiques ont certainement pris conscience de l’importance de la robotique avec un temps de retard, le premier plan de robotisation « Nouvelle France Industrielle » n’arrivant qu’en 2013.

A l’aune de ces informations, il est évident que certains pays ont pris le pas sur le marché de la robotique industrielle. La culture asiatique paraît propice au développement de cet outil productif, alors que la France a tardé à prendre le train de la robotisation déjà en marche.

 

Certains freins à son expansion persistent

Cependant, des forces divergentes peuvent contraindre à son expansion. Dans un premier temps, les craintes face à la substitution des robots aux travailleurs endiguent l’accroissement de la robotique. Il faut rester lucide face à cette question. L’OCDE évalue à 9% la part des emplois à risque dans ses pays membres. Il s’agit d’emplois peu qualifiés mais ceci est une donnée brute, qui ne prend pas en compte les créations d’emplois permis par la robotisation. Par ailleurs, le Centre Européen pour la Recherche Economique établit une corrélation positive entre le nombre de robots et le nombre d’employés. Pour s’en convaincre, il suffit de constater que parmi les 13 pays disposant d’une densité robotique plus élevée que dans l’Hexagone, aucun n’affiche un taux de chômage conjoncturel ni structurel supérieur à celui de la France. Par ailleurs les ETI en France sont moins impliquées, elles ne possèdent pas cette culture du risque et de l’innovation par rapport à leurs voisines européennes. La France devrait s’inspirer des « champions cachés » allemands, ces acteurs leaders de marché de niche ou dans le top 5 des marchés plus importants. Enfin, historiquement, la France a toujours eu de l’avance en matière de software, et du retard en matière d’hardware. Cela est dû à la force de la Recherche française, internationalement reconnue comme l’une des plus compétitive. Nous constatons ainsi que la France produit les logiciels utilisés par les robots, mais pas les robots eux-mêmes. Cette dynamique, si non impulsée par les entreprises, doit trouver un autre lanceur.

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L’Etat, acteur incontournable

L’Europe a constitué le programme ECHORD ++ (European Coordination Hub for Open Robtics Development) dont l’objet est de promouvoir à l’échelle européenne les interactions entre les fabricants de robots, les chercheurs et les utilisateurs finaux pour favoriser le développement de l’industrie robotique. La France, quant à elle, au travers de son plan pour l’industrie du futur, a lancé l’Alliance pour l’Industrie du Futur en 2015. L’objectif est « d’orchestrer la renaissance industrielle de la France » grâce à la réunion d’acteurs scientifiques, universitaires et industriels coordonnés à l’échelle régionale. Fin 2016, ce sont 4 100 entreprises qui ont été accompagnées, dont ADS. L’entreprise ADS a ainsi pu concrétiser son projet d’investissement dans un robot de peinture 6 axes pour fabriquer ses lunettes haut de gamme made in France. Au succès croissant, l’entreprise faisait face à des difficultés liées au triptyque industriel coût- délai-qualité. Le robot a redynamisé le travail des 19 salariés, amélioré la productivité et la qualité de la production, et a entraîné l’emploi de 3 nouveaux salariés.

Proposition phare du programme de Benoît Hamon et de Jean-Luc Mélenchon, soutenue par Yanis Varoufakis et reprise par Bill Gates, l’idée d’une taxe sur les robots fait planer un sentiment d’incertitude sur l’économie française. Le but de cette taxe, selon ses défendeurs serait de rééquilibrer les forces entre le facteur travail et les robots, pour que ces derniers aussi paient des cotisations sociales et autres charges. Même Robert Shriller, prix Nobel d’économie en 2013 pour ses travaux sur la volatilité des marchés financiers, s’est rallié à la cause d’une taxe sur les robots, mais pour financer la reconversion professionnelle de ceux ayant perdu leur emploi. Par ailleurs, même s’il y avait des destructions d’emplois, il y aura aussi des créations et il est loin d’être admis que cette équation aurait un solde négatif. Les études et autres rapports de recherche donnent des résultats contrastés concernant la création ou la destruction nette d’emplois. N’oublions pas que la majorité des emplois de demain n’existe pas encore aujourd’hui. Puis, une taxe sur les robots en France aurait pour effet immédiat une perte sèche de compétitivité à l’échelle mondiale. Sous couvert de justice sociale, certains semblent prêts à gripper l’économie en oubliant que, si la robotisation n’a pas lieu en France, elle aura lieu ailleurs, et c’est beaucoup plus d’emplois qui seront détruits par une concurrence européenne et mondiale devenue plus compétitive.

Faisant fi des velléités politiques et des lubies de certains visionnaires, les entreprises françaises et européennes ont compris l’importance de la robotisation industrielle. Faurecia, Thalès, Dyson et même Scallog incorporent d’ores et déjà ces technologies. Récemment, c’est Octopus Robot, fabricant d’un robot de décontamination mobile, qui a bouclé une levée de fonds de €1.5m et Balyo, spécialiste des robots de manutention, porté par la vague des IPOs, qui s’est introduit en Bourse le 8 juin de cette année (cours en hausse de +70,1% le 24 novembre).

 

 

L’intégration de la robotique industrielle se profile comme étant le prochain défi des entreprises comme le sont toujours la digitalisation, la gestion du Big Data ou encore l’inter-connectivité. Bien qu’accusant d’un retard conséquent, la France pourrait profiter d’un « momentum économique » pour rattraper le temps perdu. Si, comme le laissent penser toutes les enquêtes d’opinions, ce regain économique s’accompagne d’une modification culturelle et des structures de pensées, de plus en plus optimistes et de moins en moins conservatrices sur le plan économique, la robotisation pourrait bien trouver en France une terre propice à son expansion.

 

Migwel Perrin, étudiant à Audencia et contributeur du blog AlumnEye