L’heure est grave pour la City : la procédure de retrait du Royaume-Uni de l’Union Européenne, entamée en 2017, devrait transformer la scène financière londonienne. « Des milliers de banquiers vont quitter Londres » ; « la City pourrait perdre 40 000 banquiers » ; etc. La nouvelle a longtemps fait la une de la presse économique, et une guerre a éclaté entre Paris et Francfort pour savoir qui sera le nouvel Eldorado financier de l’Europe après le Brexit. Cependant, alors que la date du retrait définitif du Royaume-Uni de l’Europe a été arrêtée au 29 mars 2019, le discours sur la migration des financiers – qu’on appelle désormais le « Brexodus » – semble se nuancer. En effet, sur les milliers de délocalisations annoncées, on apprenait récemment qu’elles ne devraient concerner finalement que de petits effectifs…

 

Des rumeurs, encore des rumeurs

Le 23 juin 2016, 51,89% des anglais ont voté pour un retrait du Royaume-Uni de l’Union Européenne. Aussitôt, le premier ministre de l’époque David Cameron démissionnait, qualifiant le Brexit « d’erreur ». Depuis, de nombreux journalistes et politiques spéculent sur l’avenir du Royaume-Uni. Certains voient en son retrait de l’Europe une charge en moins, alors que d’autres mettent en garde le pays contre une crise imminente.

Au cœur de ces débats revient souvent la problématique de l’avenir de la City, épicentre de la finance mondiale accueillant les principales banques internationales. En effet, si le Royaume-Uni abandonne ses accords de libre-échange avec l’Union Européenne, les banques auront-elles toujours intérêt à y rester ? Une grande partie des analystes aurait déjà conclu sur cette question : NON. Selon eux, les grandes banques devraient déménager à l’horizon 2019. Par exemple, Bank of America aurait déjà signé un bail de 10 000m2 de bureaux dans le 8ème arrondissement de Paris. Certains parlent même de plus de 40 000 banquiers qui devraient migrer à Paris ou Francfort. Ces discussions s’en tiennent pour la plupart à des rumeurs, du fait de la discrétion et l’opacité des banques sur leurs plans de relocalisation.

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L’activité de compensation au cœur du problème

Au-delà des rumeurs, les banques installées à Londres doivent sérieusement réfléchir à leur avenir post-Brexit et notamment à celui de leur activité de compensation en dérivés. Cette activité est gérée par les chambres de compensation. Elles gèrent le risque de contrepartie et donc assurent la stabilité des marchés financiers : si une banque n’est pas capable de remplir une obligation, ces chambres s’en occupent, de manière à ce que la contrepartie bénéficiaire de l’obligation la reçoive effectivement. Chaque banque doit verser une « marge » à la chambre à laquelle elle est rattachée, qui sera rendue si elle honore ses engagements et encaissée sinon. Les différentes chambres de compensation ont leurs propres règles. Depuis le Brexit, les réglementations sur la chambre de compensation londonienne sont différentes des européennes, ce qui pose problème au niveau des compensations en dérivés avec sous-jacents en euros. Ainsi, l’Union Européenne pourrait exiger le rapatriement de certaines activités sur les marchés dérivés du Royaume-Uni vers le continent. Étant donné la grandeur du marché pour échapper à des complications de cet ordre, les banques auraient en effet intérêt à déménager.

 

Une migration massive peu probable

Malgré ces préoccupations, la migration des banquiers de Londres vers l’Europe devrait être de bien moins grande envergure que prévu à en croire les dernières estimations. Selon un rapport de Bloomberg publié le 2 novembre 2018, les mutations des financiers seront très limitées. Il n’annonce pas plus de 4 660 personnes qui devront se déplacer en Europe. Le plus grand remaniement concerne HSBC qui déplacera environ 1 000 de ses employés à Paris. La Société Générale rapatriera 400 personnes seulement dans son pays d’origine, alors que JP Morgan dispersera 400 employés (soit 2% de son effectif à la City) entre Madrid, Milan et Paris. Notons que les estimations de mars 2018 prévoyaient 4 000 mutations chez JP Morgan, soit 10 fois le nombre annoncé dernièrement. 500 financiers de la Deutsche Bank devront par ailleurs revenir à la maison mère de Francfort, contre 4 000 annoncés en mars. Parmi les déplacements les moins notoires, se trouvent Citigroup (seulement 250 de ses 9 000 employés de la City seront mutés) et Barclays (150 sur 10 000). Globalement, 5% des banquiers londoniens devront changer de lieu de travail.

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Perte inévitable de clientèle

Rappelons que le secteur financier britannique rapporte plus de 70 milliards de livres par an, et que l’Union Européenne constitue son plus grand marché d’exploitation. Or, la dégradation des liens entre Londres et le continent va désavantager la City qui va très logiquement perdre une bonne partie de ses clients européens. Au début 2018, le groupe Bruegel estimait déjà à 1.8 billions d’euros les pertes pour les banques de Londres, alors que certains clients avaient extrait leurs fonds de ces institutions. Par conséquent, beaucoup de banquiers pourraient tout simplement être licenciés.

 

Malgré ces constats, il y a des raisons de croire que la City restera la même après le 29 mars prochain. Seulement 5% des banquiers devront se déplacer à Paris ou à Francfort dans la majorité des cas. Le procès d’UBS, rouvert le 8 octobre pour fraude fiscale, devrait influencer les décisions des banques qui hésitent encore entre les deux villes, en fonction de la dureté des sanctions prononcées contre UBS par le parquet parisien. Cependant, malgré un « Brexodus » finalement peu marqué, il y a fort à parier que les banques anglaises perdront des clients sur le long-terme. Affaire à suivre…

 

Raphael Hassid, étudiant à l’EDHEC Business School et contributeur du blog AlumnEye