“How much will it take for Airbus A380 to pay back its initial investment?”

Cette question posée en entretien chez McKinsey reflète assez bien le type de missions auxquelles sont confrontés les cabinets de conseil en stratégie dans le secteur aéronautique. La réduction des coûts pour les compagnies aériennes et les constructeurs, la hausse du trafic aérien portée notamment par le marché asiatique, la consolidation du secteur et la diminution des émissions de CO2 par le biais de l’aviation électrique notamment sont les principaux enjeux de cette industrie en évolution constante : un décollage par seconde au cours de l’année 2018.

Pour répondre à cette demande, la plupart des grands cabinets généralistes ont mis en place des practices sectorielles en plus de leurs expertises fonctionnelles. Contrairement à ces dernières, les pôles d’expertises sectorielles se focalisent sur une industrie en particulier (aviation, automobile, chimie, agroalimentaire…) et regroupent des consultants et des experts triés sur le volet. Des sous-practices ont également vu le jour afin de proposer un suivi encore plus personnalisé et approfondi aux clients.

 

Les différents clients

 

L’ensemble de la chaîne de valeur de l’industrie aéronautique est pourvoyeuse de missions pour les cabinets. On retrouve aussi bien des constructeurs aéronautiques que des compagnies aériennes et des équipementiers, des exploitants d’aéroports, de maintenance, de réparation et de révision (MRO), des fournisseurs et des sociétés de fret aérien dans le monde.

Les pôles d’expertises sectorielles au sein des grands cabinets généralistes

Les dénominations de ces practices diffèrent légèrement dans les cabinets généralistes :

Aerospace & Defense (McKinsey, Bain, Roland Berger, Arthur D. Little, A.T. Kearney, Deloitte, Strategy&)

Transportation, Travel & Tourism (BCG)

Aerospace, Defense & Aviation (Oliver Wyman, AlixPartners)

Transportation & Logistics (BearingPoint, Estin & Co)

Aeronautics (Advancy, Kea & Partners)

Airlines & Transportation (Bain)

Travel & Transport (McKinsey, LEK Consulting, Arthur D. Little, A.T. Kearney)

Travel, Airline & Hospitality Consulting (Accenture)

Aeronautics, Space & Defense (Mazars, Capgemini Consulting, Mews Partners)…

Ces practices sont elles-mêmes souvent subdivisées en petites équipes répondant à des besoins encore plus spécifiques. McKinsey possède ainsi trois “Airline Research Teams” localisées à Amsterdam, Shanghai et Atlanta. C’est ainsi que 50 consultants du cabinet travaillent en permanence sur des problématiques liées au transport aérien ; nombre d’entre eux ayant travaillé dans l’industrie avant de rejoindre le cabinet. Sur son site, le cabinet précise en effet qu’il compte parmi ses clients plus de la moitié des 25 plus grandes compagnies aériennes du monde. Ces practices travaillent aussi avec l’Association Internationale du Trafic Aérien (IATA) pour suivre et analyser les performances de l’industrie.

 

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Les petites boutiques spécialisées

 

Certains cabinets, assez récents pour la plupart, revendiquent un positionnement clairement focalisé sur les secteurs aérospatial et défense (parfois quelques industries supplémentaires mais en nombre limité) et accompagnent quasi exclusivement des acteurs de ces industries. Archery Strategy Consulting (fondé en 2013) et ACDC Partners (fondé en 2014) font partie de cette catégorie. Les consultants de ces structures à tailles plus humaines ont pour la plupart une appétence forte pour ces secteurs en particulier, argument qu’utilisent ces cabinets auprès de leurs clients actuels ou potentiels.

Archery intervient dans les secteurs Aérospatial – Défense – Sécurité, Transport – Logistique, et Énergie et a également noué un partenariat stratégique avec Avascent; une boutique américaine spécialisée dans l’aerospace également. Le cabinet donne des exemples de missions réalisées sur son site internet comme par exemple : “Définition du plan de développement stratégique et industriel d’un leader de la restauration aérienne”, “Identification de nouveaux relais de croissance rentables pour un Tier-2 de la filière des aérostructures”… On trouve également des exemples d’interventions plus détaillées comme par exemple : “Pour un avionneur, Archery a réalisé une analyse stratégique visant à revoir son positionnement sur la chaîne de valeur : segmentation des activités critiques, analyse Core/ Non Core, analyse des risques stratégiques associés aux marchés fournisseurs sur les équipements et sous-systèmes critiques, trade-off entre coûts complets internes et coûts totaux d’acquisition, analyses Make or Buy, scénarios d’intégration verticale d’activités. Archery a également analysé les « Business Models » de coopération avec les Tier-1 stratégiques (accords envisageables avec de gros constructeurs aéronautiques internationaux comme Airbus, Boeing ou Embraer) en situation d’oligopole, voire de duopole, pour identifier les zones de risques de destruction de valeur et proposer des scénarios d’évolution”. Le cabinet insiste également sur le fait qu’il s’agit de conseil de direction générale et non de conseil technique.

Fondé par huit experts de l’aéronautique et du spatial en 2014, ACDC Partners réalise 70% de ses missions dans ce secteur. Le cabinet a mené une centaine de missions depuis ses débuts pour 60 clients différents; et possède une antenne en Californie en plus de son bureau toulousain. D’autres sociétés de conseil se distinguent dans le secteur comme Alton Aviation Consultancy (qui a des bureaux à bureaux à New York, Dublin, Beijing, Hong Kong, Tokyo et Singapour), SimpliFlying (implantée à Singapour, en Espagne, Royaume-Uni, Inde et Canada) et Avascent. Accenture a de son côté finalisé l’acquisition des activités de conseil aux entreprises et de conseil en aviation de Seabury, renforçant ainsi sa capacité à aider les principales compagnies aériennes du monde. Seabury Consulting, qui fait maintenant partie d’Accenture, propose une gamme d’expertises spécifiques au secteur de l’aviation, qui complète les capacités, solutions et services d’Accenture pour aider les compagnies aériennes à se développer.

Enfin, une autre branche du conseil dans le secteur est le conseil interne aux grands groupes et aux grandes compagnies. On peut citer par exemple Airbus Consulting Services, Boeing Business Consulting ou Lufthansa Consulting. Cette dernière entité a activement participé au développement des compagnies aériennes africaines et du Moyen-Orient (Tunisair, Kenya Airways, Qatar Airways…) mais aussi des aéroports avec par exemple une mission visant à développer les installations de fret aérien dans un aéroport égyptien. Lufthansa Consulting a par ailleurs contribué à la création d’une compagnie aérienne au Cameroun en gérant le processus de démarrage et la structure organisationnelle de la compagnie. 

 

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Quelles missions pour les consultants ?

 

Les missions de stratégies classiques sont toujours d’actualité dans le secteur : les cabinets conseillent aux entreprises de se positionner et de se différencier pour obtenir les meilleurs rendements et de réfléchir aux fusions (Air France / KLM en 2004, British Airways / Iberia en 2011). Les missions pour les transporteurs concernent la gestion des revenus, la tarification et les ventes contribuant ainsi à augmenter le revenu par siège et par kilomètre disponible avec des augmentations allant de 3 à 8%. Une autre problématique importante, notamment pour les avionneurs avec le renouvellement des flottes, est la gestion du cycle de vie des produits. Le cabinet Mews Partners est une des sociétés de conseil qui est intervenu sur ces problématiques.

Concernant les compagnies aériennes, les missions tournent souvent autour de la rentabilité de ces dernières. En effet, la concurrence croissante pour le trafic long-courrier, ainsi que les capacités de production de plus en plus importantes de l’industrie vont probablement nuire à cette rentabilité. Les cabinets travaillent sur tous les leviers disponibles afin de l’améliorer significativement la productivité de la main-d’œuvre et la consommation de carburant entre autres. Les compagnies aériennes européennes rechercheront des alternatives stratégiques comme des collaborations et des fusions complètes, en plus de garder les coûts sous contrôle en étudiant par exemple le modèle des compagnies low-cost comme Ryanair ou Norwegian Air (limiter le nombre de modèles d’avions différents afin de faire des économies lors de la maintenance, prix unique des billets…). Sous l’impulsion de prix du pétrole record, d’un cours de bourse déprimé et de la menace des efforts de consolidation de leurs concurrents, une compagnie aérienne mondiale (dont le nom n’a pas filtré) a demandé à LEK Consulting d’évaluer ses options stratégiques au sein du secteur du transport aérien et de mener une analyse complète des coûts de transition et de synergie pour tenir compte d’un éventuel regroupement. Suite à cette mission, le conseil d’administration du client a voté en faveur de la fusion afin de créer l’une des plus grandes compagnies aériennes du monde. Le regroupement des compagnies majors entre 2005 et 2015 a été très prononcé, notamment aux Etats-Unis : fusion d’US Airways et American Airlines fin 2013, absorption de Northwest par Delta en 2008 et rachat de Continental par United en 2010.

Il est également intéressant pour les compagnies de construire et/ou développer leur portefeuille de marques. Les marques de confiance sont importantes pour tous les consommateurs, mais en particulier pour les consommateurs chinois et du Moyen-Orient qui associent les marques occidentales à une qualité élevée. Etant donné que le marché des voyages est encore en d’évoluer, la fidélité à la marque est encore faible. Cependant, les compagnies peuvent accéder à une mine d’informations à partir de leurs bases de données passagers et de leurs programmes de fidélisation. Les cabinets aident ces compagnies à traduire ces données en informations exploitables pour accroître leurs ventes et leurs revenus, tout en améliorant l’expérience client en anticipant leurs besoins. Les recherches montrent qu’un grand nombre de voyageurs attachent une grande importance à la flexibilité de changer de vol, de livraison de bagages aux hôtels, d’allocation de poids plus élevée pour les bagages enregistrés, d’accès au salon, de sécurité prioritaire et de contrôle des passeports. En Europe, les compagnies aériennes doivent élargir leur objectif de consommateurs pour répondre aux besoins des voyageurs en train et en automobile, un groupe important de consommateurs potentiels qui augmenteraient considérablement leur part de marché. Un autre enjeu majeur pour les compagnies est le renouvellement de leurs flottes d’appareils. Une importante compagnie aérienne américaine (dont le nom n’a pas filtré par souci de confidentialité) a fait appel à Bain pour l’aider à évaluer les options permettant d’améliorer sa flotte, un atout majeur, afin de stimuler la croissance. Bain a déterminé le coût de possession d’un avion tout au long de sa vie et a calculé le temps optimal pour posséder et exploiter un avion. Bain a recommandé de restructurer la flotte, créant ainsi une valeur de 140 millions de dollars.

D’une manière générale, le transport aérien est sensible à de nombreux facteurs (crises, variations du cours du pétrole, météo) qui en font une activité capitalistique (une compagnie aérienne doit investir des sommes conséquentes en regard de son chiffre d’affaire ce qui est une barrière à l’entrée), peu rentable pour les compagnies (marges opérationnelles de quelques pourcents la plupart du temps) mais qui est résistante aux chocs sur le long terme avec une croissance d’environ 5% par an (x2 tous les 15 ans).

Pour rester compétitifs, les opérateurs et les hubs traditionnels doivent explorer des options de partenariat qui élargiront leurs offres au niveau mondial et décupleront leurs marges. La compétition pour les partenaires européens et mondiaux les plus forts sera intense. Les grandes compagnies aériennes qui attendent trop longtemps pour se lancer risquent de constater qu’il ne reste que peu de bons partenaires ou que le prix a augmenté au-delà du point où un accord est rentable. Pour accéder aux flux de trafic chinois et du Moyen-Orient et réaliser des économies d’échelle, les compagnies aériennes internationales doivent rechercher des opportunités de partenariat avec des transporteurs importants, par exemple en échangeant leur expertise en matière de marque, de produit et de commerce pour une part du marché en croissance des voyages.

Les joint-ventures entre compagnies induisent un partage complet des coûts et recettes sur une ou plusieurs lignes définies. On peut citer par exemple Air France-KLM avec Delta & Northwest sur les lignes transatlantiques ou Lufthansa avec United et Air Canada. Elles permettent une meilleure couverture géographique grâce aux implantations locales de chaque adhérent. Mais les joint-ventures ne sont pas les seuls partenariats existants. Des alliances mondiales comme Skyteam ou One World facilitent la fourniture de prestations aéroportuaires comme la maintenance des avions ou l’accès pour des passagers à des salons privés. Les différents acteurs partagent leurs programmes de fidélisation avec une mise en commun des points accumulés et ces alliances facilitent aussi les accords de code-share. Le code-share est une pratique commerciale qui consiste à vendre des places sur un avion qu’on n’opère pas. Les intérêts principaux sont de proposer plus de destinations et de fréquences de vols et d’améliorer le taux de remplissage des avions. Il y a cependant quelques inconvénients : le voyageur a souvent une perception négative de ces accords puisqu’il paye une compagnie et voyage avec une autre ce qui conduit à des problèmes de responsabilité en cas de réclamation. Air France et Delta, qui font partie de l’alliance Skyteam, ont un accord de code-share. Air France propose ainsi des vols intérieurs aux Etats-Unis opérés par Delta et Delta des vols européens opérés par Air France.

 

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Le Airline Partnership Simulator du BCG aide les transporteurs à analyser les perspectives de joint-venture. Les coentreprises représentent actuellement plus de 30% de la capacité de transport de passagers de l’industrie du transport aérien. Les analyses de cet outil identifient des recommandations claires pour des partenariats potentiels sur la base d’indicateurs de performance clés tels que les réseaux existants, les horaires, les capacités et les flottes.

Cet outil permet aux compagnies aériennes de créer des listes de candidats potentiels, puis de déterminer les meilleures options en comparant les indicateurs de performance clés et d’autres facteurs. Le BCG s’est aussi associé à KLM Royal Dutch Airlines pour commercialiser un nouveau service : un système de solutions intégrées reposant sur l’intelligence artificielle, développé conjointement, et d’outils performants et sur mesure qui couvrent tous les aspects des activités des compagnies aériennes. Le premier ensemble de solutions performantes étant déjà opérationnel chez KLM, KLM et le BCG sont prêts à lancer ce service dans le secteur de l’aviation dans le monde entier, fruit d’une collaboration étroite entre la practice aérienne du BCG, le BCG Gamma (une entité spécialisée dans l’intelligence artificielle et l’analyse avancée regroupant plus de 450 scientifiques, ingénieurs de données et développeurs logiciels) et les équipes de KLM. Grâce à ces outils, les compagnies aériennes seront en mesure de prendre les décisions les plus complexes en matière de flotte, d’équipage, de services au sol et de réseau.

Pour les aéroports, les consultants contribuent à accroître les revenus non aéronautiques, en particulier dans le commerce de détail. McKinsey a développé un outil – Retail Value Generator (générateur de valeur pour le commerce de détail) – qui analyse plus de 50 aéroports de premier plan dans le monde et identifie des opportunités d’amélioration. D’autres outils de ce type ont été développé par les cabinets : PlaneStats (Oliver Wyman – application de données aéronautiques en ligne), Accenture Aviation Experience Accelerator (Accenture – outil destiné aux compagnies aériennes) …

Enfin pour les missions plus techniques, Oliver Wyman utilise sa filiale CAVOK afin de proposer des services de conseil technique spécialisé, notamment la mise en service des aéronefs et l’assistance aux transactions, les audits de conformité de navigabilité, le développement manuel de systèmes et de processus pour respecter les protocoles du système de gestion de la sécurité (SMS) et l’assistance à la fusion et à la certification des transporteurs aériens. CAVOK conçoit et construit également des programmes d’inspection de la maintenance des aéronefs et aide les transporteurs à collecter et analyser les données de fiabilité associées à la maintenance et à l’amélioration de ces programmes.

 

Travaux des cabinets

Voici quelques articles et rapports plus ou moins longs illustrant le travail de fond de quelques cabinets sur la question du transport aérien. Au-delà de toutes les missions réalisées et du travail client, les travaux de recherche et l’investissement dans le savoir représentent une part non négligeable du travail des sociétés de conseil. Ces études leurs permettent par la suite de proposer un contenu plus détaillé, plus pertinent et plus approfondi aux différents clients du secteur. Les recherches récentes portent notamment sur les tendances du fret aérien, les aspects économiques de la concurrence entre les compagnies aériennes et le marché asiatique. Ces rapports sont accessibles sur les sites des différents cabinets dans la page de la practice en question. En voici une non-exhaustive

[1]       Steve Saxon and Mathieu Weber.  A better approach to airline costs. McKinsey & Company – Travel, Transport & Logistics Practice. July 2017.

 

[2]      Monica Wegner, Frank Budde, and Paul Tranter. Surviving the Squeeze: Winning Strategies for a Changing Airline Industry. The Boston Consulting Group. October 2012.

 

[3]      Robert Thomson, Markus Baum, Thomas Kirschstein, Nicolas Martinez, Nikhil Sachdeva, Paul-Louis Lepine, and Nicolas Bailly.  Electrical propulsion ushers in new age of innovation in aerospace. Roland Berger. July 2018.

 

[4]      Tom Stalnaker, Andy Buchanan, Grant Alport, and Aaron Taylor. Airline Economic Analysis 2018 – 2019. Oliver Wyman. 2019.

 

[5]       Tom Cooper, Ian Reagan, Chad Porter, and Chris Precourt. Global Fleet & MRO Market Forecast Commentary 2019-2029. Oliver Wyman. January 2019.

 

[6]      John E. Luth, Oliver Plogmann, and David Walfisch. Asian airlines navigating relentless pressure. Accenture. May 2019.

 

[7]       Mathieu Blondel, Delphine Knab, Akitake Fujita, Julien Vialade, Stephan Becker, and Alexander Ovanesov. Aviation 2035: Scenarios for value chain recomposition and value sharing in aviation post the era of hyper-competition. Arthur D. Little. November 2018.

 

[8]      Andre Medeiros and John Potter. Airport operators’ quest for efficiency: How airports can focus operational improvement efforts on their addressable drivers of cost. Strategy&. February 2015.

 

[9]      James Ellis, and James Ellis. Joining forces in commercial aviation: How network and low-cost carriers can win by partnering in a new way. AlixPartners. March 2017.

 

Racil Kacem, étudiant à l’ISAE-SUPAERO et contributeur du blog AlumnEye