115, 100, 80, 50, 40, 30… La chute du prix du pétrole semble imparable, et les meilleurs analystes anticipent même une rupture du plancher des 20 dollars. Rarement une telle dégringolade avait été observée sur les marchés financiers, et l’or noir a déjà perdu plus de 75% de sa valeur en à peine plus de deux ans. Elle est entre autres expliquée par de nombreux facteurs géopolitiques (émergence de nouveaux pays producteurs à l’instar de l’Iran, soutien de la production par de grands exportateurs comme l’Arabie Saoudite) et technologiques (montée en puissance des énergies vertes et développement du gaz de schiste, aux Etats-Unis notamment). Et cet effondrement, alimenté par les incertitudes sur la demande chinoise, moteur du marché mondial des matières premières, aura à très court terme des conséquences économiques et financières majeures.

Sur le plan macroéconomique d’abord, il pénalise bien évidemment les pays exportateurs, amplement dépendants de cette spécialisation, et qui n’équilibrent leurs budgets qu’à des niveaux bien supérieurs à ceux observés actuellement. Le régime dont Nicolas Maduro a hérité au Venezuela après la mort de Chavez en est un exemple, et s’effrite avec l’assèchement de ses rentrées de devises, qui alimente une inflation galopante et achève un système économique à bout de souffle. Ces chocs économiques auront très probablement des conséquences politiques à moyen terme, au Mexique, au Brésil, ou dans certains pays du Proche et Moyen Orient.great-oil-swindle-peak-oil-world-energy-outlook

Plus particulièrement, sur le marché des fusions-acquisitions, la chute des cours du brut pourrait potentiellement entrainer une vague de conséquences extrêmement violentes et variées.

Les parapétrolières sous pression

La première est évidemment la situation critique à laquelle les entreprises du secteur parapétrolier se retrouvent confrontées. Après Technip (ingénierie et construction off-shore) en septembre, les deux fleurons français Vallourec et CGG ont annoncé en février augmenter leur capital, respectivement d’un milliard et de 350 millions d’euros. Le fabricant de tubes en aciers Vallourec, dont le Président du Directoire, Philippe Crouzet, espérait en novembre encore pouvoir traverser la crise sans recourir à de nouveaux financements, ni modifications brutales dans la structure du groupe, a été contraint, accompagné dans cette difficile étape par Goldman Sachs et Rothschild, d’annoncer des mesures d’urgence pour pallier le manque criant de liquidités. De même, l’ancienne Compagnie Générale de Géophysique-Veritas, spécialiste de l’exploration pétrolière, est mise sous pression, et figure comme l’une des premières victimes de la baisse du cours du pétrole.

Toujours dans l’attente de l’approbation par la Commission Européenne, l’acquisition pour 35 milliards de dollars de Baker Hughes par Halliburton, son concurrent et second fournisseur de services à l’industrie pétrolière et gazière dans le monde, est une autre illustration des mouvements massifs engagés dans le secteur parapétrolier. Dernier exemple en date des secteurs affectés par cette situation, Airbus Helicopters, ancien Eurocopter, a annoncé récemment un recul de ses ventes aux niveaux de 2006, avec une baisse de plus de 10% des commandes fermes sur l’année 2015.

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Ces mouvements en série dans le secteur parapétrolier sont la première onde de choc liée à l’effondrement des cours du pétrole, qui a poussé les Majors et indépendantes à repousser ou annuler tout nouveau projet, et donc à couper dans leurs investissements, de 34% pour les indépendants et de 15% pour les Majors, selon l’Institut Français du Pétrole et des Energies Nouvelles (IFPEN). Notamment en Mer du Nord, où les exploitations sont plus coûteuses, une grande majorité des commandes d’exploration ou d’équipement ont été annulées, poussant les entreprises partenaires dans une situation de tension exceptionnellement forte.

Une conjoncture favorable aux acteurs du transport routier et aérien

Parallèlement, le niveau historiquement bas du baril de Brent favorise dans certains secteurs une consolidation accélérée. Ainsi l’opération Norbert-Dentressangle-XPO, annoncée en milieu d’année 2015, illustre bien un marché sur lequel les leaders, assis sur les confortables marges assurées par un baril à 30$, affinent leur stratégie et convoitent leurs meilleurs concurrents. Malgré de très notables complications dans la phase de Post-Merger Integration (présence du fonds activiste Elliott, entre autres connu pour détenir une partie de la dette argentine, et pour ses conflits ouverts avec le nouveau gouvernement Macri), XPO a profité de la conjoncture favorable, et de la faiblesse de l’euro, pour se hisser dans le top 10 mondial du transport et des services logistiques, réalisant désormais un chiffre d’affaires consolidé de plus de 9 milliards de dollars, fort de 52 000 collaborateurs.

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Autre secteur très largement en proie à la consolidation, le transport aérien est également bouleversé par l’instabilité des prix du pétrole, qui viennent amplifier les mouvements dans cette industrie déjà impactée par le succès éclatant des compagnies aériennes low-cost. Alors que certains groupes européens créent leurs propres filiales à bas coûts, le groupe IAG (propriétaire de British Airlines, Iberia et Vueling), a choisi de renforcer sa présence sur ce segment par croissance externe, en acquérant en septembre 2015 la compagnie irlandaise Aer Lingus, anciennement détenue à hauteur de 30% par sa compatriote Ryanair. D’un montant de près d’un milliard et demi d’euros, cette opération a été favorisée par les liquidités massives dont disposait IAG, et permet au groupe de se réaffirmer en leader du transport aérien européen, durablement conforté par la situation sur le marché du pétrole. La situation compliquée d’Air France, les ambitions sans limites de gros acteurs comme Ryanair ou IAG, et la perspective d’une stabilisation des prix du kérosène pourraient favoriser de nouveaux mouvements de capitaux sur ce secteur.

Le secteur pétrolier en pleine consolidation

Dernière conséquence logique de l’effondrement des cours du pétrole, le secteur pétrolier traverse lui-même une crise historique. Le scandale Petrobras, qui a mêlé l’élite politique du pays à une affaire de financements illégaux, en lien avec l’attribution de contrats d’exploration et de construction de plateformes off-shores, a lui aussi été révélé dans un contexte de graves difficultés financières pour l’entreprise brésilienne.

La méga-fusion, validée le 27 janvier dernier, entre les deux géants du secteur pétrolier Royal-Dutch-Shell et BG Group, pour 49 milliards de dollars, pourrait rouvrir une séquence de gigantesques mouvements entre acteurs de la production-distribution de pétrole, comme celle close il y a dix ans, qui avait abouti au marché fortement concentré observable aujourd’hui. Autre piste pour le secteur pétrolier en 2016, l’ancienne société nationale des hydrocarbures italienne, Eni, qui affichait un résultat net de 1,3 milliards d’euros en 2014 (en baisse de 75% par rapport à l’année précédente), a annoncé souhaiter céder sa participation dans Saipem, sa filiale spécialisée dans le forage pétrolier, suivant une tendance classique actuellement de séparation des activités d’Oil Services et de sociétés intégrées.Crude-oil

Si le segment des Majors ne laisse entrevoir que peu d’opportunités de M&A dans les prochaines années, du fait de sa structure déjà largement consolidée, l’état des pétrolières indépendantes, dont la profitabilité dépend entièrement des cours du pétrole, est particulièrement inquiétant. Plusieurs opérations mineures, telle l’acquisition par le norvégien Det Norske des activités d’exploration de son compatriote Noreco à la fin 2015, ont permis de signaler un secteur en tension, et des entreprises en difficultés face à de lourdes dettes et des Cash Flows en chute libre.

 

Au-delà de tous ces aspects, et pour mettre en perspective les nombreux exemples cités, il apparait clairement que la volatilité du cours des matières premières, ici du pétrole, a un impact extrêmement fort sur le marché des fusions-acquisitions, déjà dopé par l’excessive quantité de liquidités lâchée sur les marchés dans les dernières années par la Fed et la BCE. Aussi, l’horizon d’une stabilisation du baril de pétrole à ses niveaux d’avant-crise, autour des 60$, comme l’envisage Roland Berger, promet une vague majeure d’opérations de rapprochement, dont les opérations citées ici ne sont qu’un premier aperçu. Dans sa récente note Le retour des fusions-acquisitions dans le secteur des hydrocarbures, l’IFPEN écrit ainsi : « La faiblesse des prix du pétrole, la faible valorisation relative des actifs pétroliers sur les marchés boursiers, les taux d’intérêt historiquement bas, qui caractérisent la conjoncture actuelle, constituent un ensemble d’ingrédients favorables à une poursuite à un rythme plus soutenu des opérations de M&A à court et moyen termes. »

Anatole Lizee, étudiant à l’ESCP Europe et contributeur du blog AlumnEye