Rien n’est permanent, sauf le changement. Ce célèbre adage attribué au philosophe grec Héraclite s’adapte parfaitement au monde économique et financier que l’on connaît. Les évolutions technologiques et réglementaires ont modifié les façons d’interagir sur les marchés. Le passage aux bourses automatisées, l’essor du Big Data et du machine learning ont permis l’émergence du Trading Haute Fréquence pendant la décennie 2000. Cette pratique récente s’est fortement développée entre 2005 et 2009. D’après TABB Group et Deutsche Bank, en 2014, le THF a représenté 35% des échanges sur les marchés actions en Europe et 50% aux Etats-Unis.

 

La vitesse, un facteur de compétitivité pour les THFs

Les THFs sont des daily traders qui utilisent des algorithmes de pointe s’exécutant en millisecondes – voire microsecondes – placent et annulent des millions d’ordres dans une journée de trading, liquident leurs positions très rapidement avant la fin de séance. Si les THFs ont une stratégie fondée sur le volume des transactions, la vitesse est un élément clé. Elle permet d’être le premier à recevoir et traiter de l’information issue des bases de données. Plus un THF est rapide, plus il peut repérer des signaux de marché et anticiper des mouvements de prix avant les autres traders. C’est pourquoi un THF ne va pas hésiter à investir des sommes considérables pour gagner ne seraient-ce que quelques nanosecondes.

Après avoir optimisé leurs algorithmes, les THFs ont trois options pour gagner en vitesse :

  • Devenir client des entreprises de marché en ayant recours au système de colocation. Pour cela, le THF va louer un box où il pourra connecter directement ses ordinateurs par fibre optique sur les serveurs de la plateforme.
  • Investir dans les réseaux de télécommunication de pointe. Cela a un coût non négligeable : Spread Network LLC a relié, en 2010, les places boursières de New York et Chicago en fibre optique. Le coût estimé de ce réseau de 1 200 km, où les informations circulent en 0,0065 secondes, est de 300 millions de dollars.
  • Devenir client des entreprises spécialisées dans les réseaux de télécommunication de pointe. A titre d’exemple, le coût d’utilisation du réseau de Spread Network LLC oscille entre 3 et 5 millions de dollars par an.

La course à l’armement technologique a été telle qu’aujourd’hui ce réseau est « périmé » car les transmissions par onde puis par laser sont plus rapides que celles effectuées par fibre optique. Les meilleurs THFs effectuent leurs échanges à la limite des lois physiques. Pour preuve, un ordre envoyé à Frankfort vers Londres met 2,21 ms tandis que la lumière met 2,12 ms.

Des manipulations des cours qui échappent très souvent aux régulateurs

Les THFs utilisent principalement des ordres au marché (OAM) et à cours limité. Ils sont teneurs de marché, arbitragistes, spéculateurs mais aussi manipulateurs de cours. Nous pouvons retenir trois types de manipulation de cours :

  • Le Smoking vise à piéger les traders à basse fréquence (TBFs). Les THFs diffusent des ordres à cours limité qui sont attractifs pour les TBFs. Pour que cette stratégie fonctionne, il faut que les TBFs émettent des ordres au marché. Dès lors, les THFs ont le temps d’annuler leurs ordres afin de les remettre à un prix plus élevé (bas) si l’ordre initial à cours limité était un ordre de vente (d’achat) et de l’échanger aux TBFs sans que ces derniers s’en aperçoivent.
  • Le Quote Stuffing permet de faire perdre de la vitesse à d’autres traders. Pour cela, son utilisateur sature les serveurs d’une plateforme en inondant le marché d’ordres (qui seront annulés par la suite). Ces ordres n’ont aucun but économique et se font généralement de façon répétée afin que les transmissions d’informations entre les plateformes et ses acteurs soient perturbées ou ralenties. Cette stratégie permet à un THF initialement moins rapide que ses concurrents de gagner en vitesse et bénéficier d’une opportunité d’arbitrage inexistante sans cette manipulation. Ici, c’est la vitesse relative qui s’avère plus intéressante que la vitesse absolue.
  • Le Spoofing consiste à envoyer massivement des ordres artificiels et directionnels au marché pour entrainer un mouvement de prix d’un actif à la hausse (ou à la baisse) suivant le résultat souhaité. Le but est d’inciter les autres traders à suivre, puis d’amplifier cette fausse tendance. Une fois que la tendance artificielle est manifeste, les THFs retirent leurs positions initiales pour prendre une position inverse. Autrement dit, ils annulent rapidement leurs ordres afin d’acheter plus bas (ou de vendre plus cher) un titre et réaliser un profit facilement.

Il faut savoir que ces manipulations de cours se font sur une durée très courte. Par conséquent, il est difficile pour les régulateurs d’observer et sanctionner ces pratiques. Ainsi, de nombreux THFs s’adonnent à la manipulation de cours, qui est d’ailleurs souvent gage de compétitivité.

 

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Des conclusions mitigées sur les bénéfices des THFs

Les travaux sur leurs effets sur la volatilité, la liquidité, les coûts de transaction et la découverte des prix sur les marchés ne sont pas concluants. Si les chercheurs ont des avis divergents, c’est d’abord dû à la difficulté d’extraire des données uniquement en provenance des THFs, sans les coupler avec celles des autres catégories du trading algorithmique.

D’après une étude de l’AMF datant de janvier 2017, sur Euronext Paris, les THFs sont présents 90% du temps aux trois meilleures limites ; ce qui améliorerait la liquidité. Néanmoins, leur contribution à l’amélioration du spread dépend des annonces, de la volatilité et du moment de la journée. En effet, les THFs se retirent du marché quand il est trop volatile, impacté par un événement, et en fin de séance. D’une manière générale, quand le marché a besoin d’une contrepartie, notamment en période de crise, les THFs ne jouent pas leur rôle de pourvoyeur de liquidité.

LA4Lire aussi : Le Trading à Haute Fréquence et le Spoofing démystifiés

 

Et des contraintes manifestes

Parmi elles, on compte le risque systémique lié au flash crash; tel celui survenu le 6 mai 2010. A cette contrainte s’ajoutent les manipulations de cours et le mépris de certains THFs envers les régulateurs, le manque de transparence sur leurs algorithmes et leurs transactions, ou encore la défaillance et le vol d’algorithmes. Enfin, citons l’asymétrie d’information sur le marché : les THFs ont une information complète tandis que celle des traders moins rapides est incomplète car ils traitent les ordres dont les THFs ne veulent pas. Les deux principaux risques qu’entrainent le THF sont le risque systémique et le risque que les investisseurs perdent confiance en les marchés à cause des nombreux problèmes créés par cette pratique.

Une réglementation européenne en durcissement constant

Dès lors, on comprend pourquoi cette notion est de plus en plus encadrée. En Europe, les textes MIF II (Marchés d’Instruments Financiers) et MAR (Market Abuse Regulation) traitent du THF. MIF II entrera en application le 3 janvier 2018 et a pour but d’améliorer l’efficience, la résilience et l’intégrité des marchés afin de « Garantir l’égalité des conditions de concurrence sur les marchés financiers et de permettre à ceux-ci de servir l’économie, au soutien de la croissance et de l’emploi. ». MAR est entré en application depuis le 3 juillet 2016 et compte parmi ses objectifs la lutte contre les abus sur les marchés de matières premières, dérivés et financiers, l’interdiction de manipuler les indices de référence (tel le LIBOR), le renforcement des pouvoirs des régulateurs européens (surveillance, enquête et sanctions). L’ESMA (European Securities and Markets Authority) se charge d’élaborer les futures normes techniques et d’application de MIF II et de MAR.

Mais qui demeure lacunaire

Si ces textes donnent une définition du THF en Europe, elle est imprécise sur le nombre de messages par seconde caractérisant un THF. Il s’agit d’« au moins 2 messages par seconde en ce qui concerne tout instrument financier négocié sur une plateforme de négociation ; ou au moins 4 messages par seconde en ce qui concerne l’ensemble des instruments financiers négociés sur une plateforme de négociation ». Selon Finance Watch cette définition engloberait 90% des trappeurs algorithmiques, ce qui limite l’efficacité de la régulation sur les THFs.

LA4Lire aussi : Les plus grosses pertes du Trading : la finance de marché déconnectée

 

Néanmoins elle pose le cadre légal du THF en Europe

Ces textes traitent également des sanctions, mises en place dès lors que les autorités concernées observent des tentatives de manipulations de cours, des manipulations sur de nouveaux instruments (les indices, les matières premières et les quotas d’émission), et des manipulations sur de nouveaux marchés (marché du carbone, manipulations croisées sur les marchés physiques au comptant des matières premières). Pour encadrer cette pratique, les textes exigent des THFs un agrément pour pratiquer leurs activités, et vont notamment mettre en place une obligation d’enregistrement chronologique des ordres passés (exécutés et annulés) des THFs, un Order to trade ratio (OTR) (ratio qui détermine un seuil d’ordre minimum à exécuter avant sanction) et des structures pour améliorer la transparence, l’égalité entre les acteurs.

Un cadre règlementaire récent aux Etats-Unis

La réglementation des THFs existe outre-Atlantique. La SEC (Securities and Exchange Commission) a pour but de surveiller les marchés financiers et émettre des sanctions en cas de non-respect des règles. Trois éléments en ressortent :

  • Le Market Information Data Analytics System (MIDAS) de 2013. Les THFs doivent dorénavant enregistrer et fournir tous les ordres réalisés, modifiés, annulés et échoués, à la SEC. La surveillance des marchés est plus efficace, les comportements illégaux telle la manipulation de cours sont plus facilement observables et sanctionnés. Pour autant, les régulateurs ne disposent pas des moyens humains et financiers des sociétés de THF.
  • Le Regulation Systems Compliance and Integrity (RSCI) de 2013. L’objectif ici est d’instaurer de nouvelles normes sur les tests et les mises à jour des algorithmes de trading. Cela concerne les entreprises de marché et les courtiers utilisant cette technologie.
  • La Financial Industry Regulatory Authority’s (FINRA) Registration for High Frequency Securities Traders de 2015. La FINRA est responsable de la supervision de pratiquement tous les courtiers opérant sur les marchés financiers ; elle est surveillée par la SEC. Depuis 2015, les THFs ont l’obligation de s’inscrire à la FINRA. Ces derniers sont soumis à plusieurs examens et leurs comportements sont régis par des règles. La surveillance des THFs permet de s’assurer qu’à partir du moment où il y a manquement de conduite observé par le régulateur, le THF sera tenu responsable et sanctionné.

 

Un encadrement propre au marché des matières premières

La Commodity Futures Trading Commission (CFTC) surveille quant à elle les marchés de matières premières et dérivés aux Etats-Unis. Par conséquent, elle y régule les acteurs (notamment les THFs) qui y opèrent. Parmi les éléments clés attrayant à cette structure, retenons :

  • Le Technology Advisory Committee (TAC). Conseil créé en 1999 par la CFTC, il a pour but d’informer la CFTC sur les impacts de l’utilisation des nouvelles technologies sur les marchés à terme et assiste dans l’élaboration d’une régulation adéquate. En 2012, le TAC a créé un sous-comité qui surveille les pratiques des tradeurs algorithmiques.
  • La directive de la CFTC de 2013 modifie la Commodity Exchange Act (CEA) de l’article 747 de Dodd Franck Act (2013). Son objectif est d’interdire les pratiques de trading qui perturbent le bon fonctionnement sur les marchés futures, options, swap (achat d’un produit dérivé à un prix supérieur à la meilleure offre, vente d’un contrat à un prix inférieur à la meilleure demande). La CFTC se pose en garant de la règle du bid-ask. Cette directive met l’accent sur les techniques de manipulation de cours et plus particulièrement sur le Spoofing. La CFTC doit prouver que l’utilisation par le THF de cette pratique était intentionnelle pour qu’il soit sanctionné.
  • La Regulation Automated Trading (Reg AT). La CFTC a proposé une loi de régulation sur le Trading Algorithmique en novembre 2015 pour gouverner certaines pratiques du THF. Elle vise principalement à améliorer le contrôle des risques sur les programmes algorithmiques par les chambres de compensation, les entreprises de marché et les firmes qui font du trading pour compte propre et qui ont un impact sur les marchés dérivés. Pour avoir un accès direct sur les marchés, ces firmes doivent avoir un agrément de la CFTC. De plus, cette loi mettra à jour les régulations de la CFTC sur le Trading Algorithmique afin de limiter les problèmes opérationnels et perturbateurs sur les marchés dérivés et de matières premières.

 

Une bourse anti-THF, Investors Exchange (IEX)

En 2016, la SEC a approuvé IEX en tant que bourse officielle. Créée en 2012 par Brad Katsuyama – un ancien directeur sales et trading de la Royal Bank of Canada – cette bourse résout les problèmes posés par le THF aux investisseurs traditionnels. IEX retarde l’arrivée des flux de données sur la plateforme grâce à une bobine de fibre optique d’une longueur de 38 miles (60 km), mise en place autour du serveur. Grâce à cette technique, un délai de 700 microsecondes (soit 0.0007 s) est à ajouter pour atteindre le marché. C’est un retard considérable pour les THFs qui échangent en microsecondes et se battent pour gagner quelques nanosecondes. L’objectif principal d’IEX est de rassurer les investisseurs en leur promettant d’échanger équitablement, avec transparence et directement avec d’autres acteurs. Cette bourse fonde son succès autrement que sur la vitesse et en mai 2017, 160 millions d’actifs s’y échangeaient chaque jour.

 

L’environnement du trading a véritablement changé grâce au progrès technologique. La vitesse des échanges s’accroit et avoisine désormais celle de la lumière. Mais, l’utilisation du THF pose deux risques majeurs : le risque systémique et la perte de confiance des investisseurs dans les marchés.  Aujourd’hui, 10 ans après la crise mondiale des subprimes, la sphère financière se porte mieux que la sphère réelle. Les crises de 1929 et 2008 ont profondément marqué la population ; l’économie réelle ayant ramassé les pots cassés du monde financier. Après 1929, nous avons eu la Grande Dépression, marquée par une période de chômage de masse, de déflation, d’une montée des extrêmes et d’une guerre mondiale. Si la situation actuelle comporte des points communs avec ce scenario d’après 1929, il s’agit donc de ne pas reproduire les erreurs passées. Si une nouvelle crise financière majeure il y a, le THF peut en être le déclencheur. C’est pourquoi, depuis le flash crash de mai 2010, cette pratique est de plus en plus encadrée. Il est essentiel que les algorithmes des THFs soient régulièrement vérifiés par un organisme spécialisé et indépendant. De plus, les régulateurs doivent être pourvus des moyens financiers et humains suffisants pour lutter contre les méfaits du THF ; les plateformes comme celle d’IEX fournissant un marché exempt de THFs.

 

William HAAS et Mustapha KASKASS, étudiants à l’Université Paris-Dauphine