Le 31 Juillet 2019, Jerome Powell, actuel président de la FED (Banque centrale américaine), annonçait une baisse de 0,25 points de ses taux d’intérêts. Cette baisse, une première depuis 11 ans, ne semble pas avoir fait l’unanimité au sein de l’économie américaine et mondiale.

                   

Une baisse des taux critiquée par le président Donald Trump

Donald Trump a exprimé son mécontentement sur Twitter à la suite de la déclaration de Powell, affirmant qu’il n’allait pas assez loin dans la baisse des taux d’intérêts. Pour lui, cela ne permettra pas de rattraper le retard du dollar sur l’Union Européenne et la Chine, qui mènent quant à eux une politique agressive de réduction des taux d’intérêts.

 

Une annonce difficilement digérée sur les marchés financiers

Les marchés financiers restent eux aussi perplexes face à cette décision. Le soir de la déclaration de Powell, le S&P 500 a perdu 1,1 points (sa plus grosse perte depuis Mai), montrant la méfiance des marchés.

De plus, le dollar s’est renforcé sur le marché des devises (passage de 1 euro = 1,17 dollars à 1 euro = 1,1059 dollars entre le 30 et le 31 Juillet), alors qu’une baisse des taux d’intérêts doit normalement déboucher sur une dépréciation du dollar par rapport aux autres monnaies. En effet, une baisse des taux d’intérêts détériore le rendement du dollar pour les investisseurs. Ils vont donc préférer revendre leurs « dollars » et investir dans les autres monnaies. Le renforcement du dollar malgré la baisse des taux signifie donc que les investisseurs sont méfiants et ne préfèrent pas parier sur le futur du dollar.

Ces effets négatifs sont liés aux déclarations confuses de Powell lors de son discours. Si la baisse des taux d’intérêts amenait l’espoir d’un nouveau cycle, le président de la FED a souligné le fait que ce n’était pas forcément le début d’une série de baisse des taux.

Cependant, la réaction des marchés est à nuancer. En effet, elle est liée en grande partie à leurs prédictions trop optimistes : les spécialistes avaient prédit une baisse de 0,5 points.

De plus, la FED pourrait interrompre la réduction de la taille de son bilan, favorisant les marchés financiers. Lors de la crise de 2007, elle avait injecté énormément de liquidités sur les marchés pour permettre la relance économique (Quantitative Easing), notamment en achetant une quantité importante de bons du Trésor américain. Ces bons ont fait gonfler le bilan de la FED, passé de 900 à 4 500 milliards de dollars fin 2017. Elle a décidé de rompre avec le Quantitative Easing et de ne plus réinvestir dans une partie des bons du Trésor qu’elle détenait et qui arrivaient à maturité, pour alléger son bilan. En arrêtant d’investir dans ces bons, la FED a fait baisser fortement la demande sur ce marché, faisant augmenter leurs taux. Cette augmentation des taux a eu des répercussions sur les taux d’emprunt des investisseurs. Aujourd’hui, l’arrêt possible de cette réduction en Septembre devrait favoriser l’investissement et donc les marchés financiers.

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Une inflation trop faible à renforcer

Le premier argument avancé par le président de la FED est l’inflation américaine. En effet, l’un des principaux objectifs de la banque centrale américaine est de fixer l’inflation à 2% par an environ. Cependant, cela fait quelques années que l’inflation est inférieure à l’objectif fixé. En baissant le taux d’intérêt, cela devrait mécaniquement amener les banques à emprunter davantage, favorisant le crédit et la consommation, et donc l’inflation.

 

Continuer l’expansion américaine malgré la guerre commerciale de Trump et la possibilité d’une récession mondiale

A première vue, il apparaît que cette baisse des taux arrive dans un contexte d’expansion économique forte pour les Etats-Unis. En effet, le chômage américain est presque arrivé à son niveau structurel (3,8% en Juin 2019) et la croissance américaine continue d’être fortement positive (3,2% au premier trimestre 2019).

Cependant, derrière ces chiffres se cache une réalité différente. En effet, les multiples sanctions que Donald Trump a pris envers le reste du monde ont lancé les Etats-Unis dans une guerre commerciale âpre avec la Chine et l’Europe. Ces sanctions affectent l’économie de deux manières. Premièrement, le prix des matières premières importées augmente fortement, impactant la compétitivité des entreprises américaines à l’étranger. De plus, à la suite de la mise en place par le président américain d’un droit de douane de 10% sur l’ensemble des produits chinois importés le 1er Aout 2019, le gouvernement chinois pourrait lui aussi augmenter les droits de douane, ce qui entraverait la compétitivité des entreprises.

La possibilité d’une « récession mondiale » n’est donc malheureusement plus à exclure. Selon le FMI, la croissance mondiale devrait être plus faible que prévu. Signe de cet avenir incertain, les marchés financiers sont de plus en plus prudents. Ainsi, le prix du pétrole a fortement reculé ces dernières semaines, par peur d’une baisse de la demande des entreprises en cas de récession.

C’est dans ce contexte tendu que Powell a décidé d’effectuer un « un ajustement de milieu de cycle », c’est à dire stimuler l’économie américaine aux premiers signes de possibles récessions plutôt qu’attendre cette dernière. Cette technique de politique de prévention a déjà été utilisée dans l’histoire américaine. En effet, dans les années 90, la FED, sous la direction d’Alan Greenspan, avait à trois reprises stimulé l’économie de cette manière, ce qui avait permis d’étendre l’expansion américaine jusqu’en 2001.

 

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Une baisse des taux, et après ?

En pleine guerre commerciale mondiale, la FED semble être la meilleure alliée des Etats-Unis pour atténuer les effets négatifs. En effet, rivaliser avec la Chine et l’Europe passera, en partie, par une dépréciation du dollar par rapport aux deux monnaies respectives (euro et yuan), pour baisser le prix de ses exportations à l’étranger. Et ce d’autant plus que le yuan est actuellement à son taux le plus bas depuis 2008, dépassant le seuil de 7 yuans pour un dollar. La FED est dans ce cadre la seule actrice économique pouvant déprécier fortement le dollar.

Ainsi, le baromètre FedWatch et CME Group semble être optimiste, malgré les déclarations de Powell. Ils évaluent à 56% la probabilité d’une nouvelle baisse le 17 et 18 Septembre, date de la prochaine réunion de la FED.

Cependant, comme l’a précisé James Bullard, membre du FOMC, la FED ne peut pas « faire évoluer sa politique monétaire du tac-au-tac après chaque menace d’un côté ou de l’autre ». Pour le président de la FED de St Louis, il faudra prendre mesure de l’évolution de l’économie avant de conclure à une nouvelle baisse des taux d’intérêts.

 

Vers une nouvelle bulle financière ?

Lors de la réunion du FOMC, deux membres ont voté contre cette baisse de taux : Eric Rosengreen et Esther George. Pour eux, la baisse des taux n’était pas obligatoire puisque nous ne sommes pas en récession. Au contraire, cette tendance à baisser le prix de la dette dans le but de surchauffer artificiellement l’économie pourrait encourager la création de bulles spéculatives fortes. En baissant le prix de la dette, la FED incite les investisseurs à fortement emprunter et donc investir beaucoup plus, notamment dans des produits risqués. Par exemple, la bulle internet qui a explosé en 2001 fut une conséquence de la politique monétaire accommodante de la FED durant les années 90.

Cette bulle est d’autant plus plausible que la dette des entreprises américaines est un sujet de préoccupation aux Etats Unis. En effet, celle-ci atteindrait 10 000 milliards $, soit 48 % du PIB des États-Unis. Parmi les entreprises endettées, on trouve même une catégorie d’entreprises qui n’existent encore que par l’abondance de liquidité sur les marchés. Ces « entreprises zombies » (Tesla et Uber en font partie) survivent car elles empruntent à des taux très faibles, leur permettant de rembourser leur dette mais pas de réinvestir. Baisser les taux d’intérêts, c’est donc amplifier ce mouvement, qui lorsqu’il s’arrêtera, pourrait mettre en péril les entreprises zombies mais aussi les banques qui les financent.

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L’indépendance de la FED remise en cause par l’agressivité de Donald Trump

La décision de Powell a surtout été prise dans un contexte de pression politique forte. Avec le début de la campagne présidentielle de 2020 aux Etats Unis, la FED est devenue une cible pour les politiciens, notamment le président américain. Ce dernier n’a pas hésité à accuser la FED d’avoir réduit de moitié la croissance économique américaine à cause des taux d’intérêts qu’il juge trop haut. Il a même menacé à plusieurs reprises le président de la FED en rappelant qu’il avait le pouvoir de le limoger.

Powell est donc coincé dans une bataille politique : s’il maintient ou augmente les taux d’intérêt, il devient le bouc émissaire du président pour les présidentielles de 2020. Au contraire, s’il baisse les taux, alors il obéira aux demandes du président et deviendra une cible idéale pour les démocrates.

C’est dans ce contexte que le 6 Août 2019, les quatre derniers présidents de la FED, Paul Volcker, Alan Greenspan, Ben Bernanke et Janet Yellen ont signé une tribune dans le Wall Street Journal, pour le respect de l’indépendance de la FED. Pour eux, le président de la FED doit pouvoir agir à long terme, libéré de toute pression politique, ce qui n’est pas le cas actuellement selon eux. Sans le mentionner explicitement, cette tribune est un tacle évident à l’agressivité de Trump envers Powell.

 

Romain Leroy, étudiant à l’Edhec et contributeur du blog AlumnEye