Les sommes faramineuses mises en jeu et la récurrence de krachs boursiers au retentissement international ont valu à la finance de marché d’être souvent considérée comme détachée des réalités économiques.

Derrière les déboires de la finance se trouvent des individus qui ont, à un moment donné, été dépassés par leur prise de risque et des mouvements spéculatifs incontrôlés.

Quelles sont les pertes de trading qui ont le plus marqué l’histoire ? Focus sur les pertes supérieures à 1 milliard de dollars qui ont fait trembler l’économie mondiale.

 

  • « Fabulous Fab »

fabrice tourreC’est le français Fabrice Tourre, ex-trader chez Goldmans Sachs qui inaugure notre classement.

Fabrice Tourre a tout du trader exemplaire. Diplômé de Centrale Paris, il poursuit son cursus à Stanford en 2001. Il est embauché directement après dans la division des crédits hypothécaires de Goldman Sachs. Il devient ensuite trader en dérivé de crédit exotique, et gravit rapidement les échelons jusqu’à être promu Executive Director au sein de Goldman Sachs.

Il est accusé par la SEC en 2013 d’avoir trompé des investisseurs et réalisé des gains illicites lors de la création et de la vente de produits financiers complexes adossés à des prêts immobiliers à risque, dits « Abacus » juste avant la crise financière de 2008. Abacus est en réalité un CDO ou « collateralized debt obligation » adossé à des CDS et des subprimes vendu à des investisseurs institutionnels.

Goldman Sachs est accusé d’avoir spéculé sur l’effondrement des produits de type subprimes qu’elle avait refourgués à ses clients dont les pertes pour les investisseurs s’élèvent à plus de 10 milliards de dollars.

Fabrice Tourre, pointé du doigt comme le principal responsable dans cette affaire car chargé de vendre Abacus, est auditionné à plusieurs reprises par la commission des enquêtes du Sénat américain et par le tribunal fédéral de Manhattan. Le 1er Août 2013, il est jugé coupable de fraude boursière et est contraint de verser un peu plus de 825 000 dollars d’amende l’année suivante.

Après la fin de la procédure judiciaire, il obtient un doctorat en économie à l’université de Chicago et devient chargé de cours en « Analyse Economique », une reconversion que l’on pourrait qualifier d’inédite.

 

  • Nick Leeson, « the rogue trader »

NickLeeson_468x337Nick Leeson est probablement le trader le plus connu au monde. Il a écrit un livre en 1996, intitulé « Rogue trader », sur sa propre histoire qui fera l’objet d’une adaptation au cinéma en 1999 avec Ewan Mc Gregor.

En 1992 et à seulement 28 ans, il devient responsable en chef des opérations de la banque anglaise Barings à la bourse de Singapour (SIMEX). Il commence déjà à essuyer de nombreuses pertes mais se sert de son statut de « chief trader » pour dissimuler ses pertes dans un compte secret numéroté « 88888 ».

Au début de l’année 1995, il parie sur la hausse des marchés boursiers asiatiques et achète des dérivés à fort effet de levier c’est-à-dire qu’il achète en empruntant de l’argent sur les marchés. Mais le 17 Janvier 1995, survient le terrible tremblement de terre de Kobe qui entraîne la baisse brutale des marchés. Cherchant à compenser ses pertes asiatiques, il augmente ses positions à la hausse et espère un retournement rapide du Nikkei 225. Ce dernier n’arrivera pas, et Leeson se retrouve contraint d’emprunter toujours plus de liquidités pour couvrir ses positions.

Leeson aura fait perdre près d’1,3 milliard de dollars en ayant engagé pas loin du double des fonds propres de la Barings qui fait faillite en 1995. Il est condamné à 6 ans de prison mais est libéré en 1999 pour des raisons de santé.

 

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  • Kweku Adoboli, le « rogue trader » d’UBS

kweku-adoboliJeune diplômé de l’université de Nottingham, Kweku Adoboli entre chez UBS à Londres en 2006 embauché d’abord pour un poste en back office. Il devient ensuite trader en front office sur le desk Delta One spécialisé sur les « exchange traded funds » (ETF), des produits dérivés sophistiqués spéculant sur l’évolution des marchés.

En 2011, Kweku Adoboli est arrêté par la police anglaise pour avoir masqué des pertes importantes à sa hiérarchie d’une valeur de 2,3 milliards de dollars. Il est reconnu coupable en 2012 et est condamné à 7 ans de prison par un tribunal londonien. Il sera cependant libéré en juin 2015 mais avec l’interdiction de travailler dans la finance.

 

 

  • Wolfgang Flöttl et Helmut Elsner : l’affaire BAWAG

helmut elsnerLa BAWAG est une banque syndicale autrichienne, quatrième institution bancaire du pays qui a fait l’objet d’un vaste scandale financier.

Entre 1998 et 2000, son directeur général Helmut Elsner a couvert des investissements spéculatifs dans les Caraïbes causant de lourdes pertes à la banque. Il a ainsi manipulé la comptabilité de la banque afin de dissimuler ses agissements à l’aide de Wolfgang Flöttl, fils de l’ancien directeur de la BAWAG.

Ce dernier, gérant du hedge fund Ross Capital a également poussé la BAWAG à être créancier de la banque Refco, qui a fait faillite en 2005.

Les pertes accumulées par la banque compte tenu de ces opérations sont placées sous le sceau du secret et comblées peu à peu par l’épargne des clients. Cependant, en 2006 l’affaire éclate au grand jour et la BAWAG frôle la faillite car des particuliers paniqués font des retraits considérables : la perte de la banque s’élève alors à 2,5 milliards de dollars.

Le fonds d’investissement américain Cerberus rachète alors la BAWAG, en piteux état, pour 3,2 milliards d’euros. Le procès mettant en cause les deux dirigeants aboutit à la condamnation en 2007 de Flöttl à 10 mois de prison et de Helmut Elsner à 9 ans et demi de prison. Elsner doit également verser 6,9 millions de dommages et intérêts à la BAWAG tirés de sa retraite. Cependant, en 2008 lors de la réouverture du procès Flötll est acquitté. En 2010, Elsner reste 4 ans en détention avant d’être libéré pour des raisons médicales.

 

  • Yasuo Hamanaka et les contrats à terme sur le cuivre 

l_yasuo-hamanaka-trader-japonYasuo Hamanaka était un trader négociant en cuivre de la Sumitomo Corporation, entreprise japonaise cotée à la bourse de Tokyo. Il est surnommé « M. Cuivre » ou « Mr Copper » mais aussi « Mr Five Percent », car il contrôlait 5% de l’approvisionnement annuel mondial de cuivre.

Hamanaka réalisait des transactions sur le cuivre non autorisées par la Sumitomo Corporation qui a entraîné la perte d’1,8 milliard de dollars en Juin 1996. En Septembre de la même année, Sumitomo annonce avoir perdu au total 2,6 milliards de dollars. Yasuo Hamanaka est alors condamné à 8 ans de prison en 1998 et est libéré en 2005, un an avant la fin théorique de sa peine.

Cependant, beaucoup considèrent qu’il est impossible qu’Hamanaka ai pu tenté de s’approprier seul le marché du cuivre sans le support de sa hiérarchie, faisant ainsi de lui un cas relativement similaire à Jérôme Kerviel.

 

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  • Bruno Iksil : « the London whale »

BRUNO-IKSILBruno Iksil, surnommé « la baleine de Londres » du fait de ses énormes prises de position sur les marchés financiers, est un trader français qui s’est fait connaître outre-Manche. Après quatre ans chez Natixis de 1999 à 2003 et à la suite d’une courte interruption, il rejoint J.P. Morgan à Londres en 2005 où il travaille dans le bureau d’investissement (Chief Investment Office, CIO), à la direction des investissements de la banque d’affaires américaine. De 2006 à 2011, il aurait fait gagner à J.P. Morgan 100 millions de dollars par an, lui accordant ainsi une très forte réputation.

Néanmoins, en 2012, ses grosses prises de risque en produits dérivés font perdre à la banque 4,4 milliards de dollars. En effet, à la suite de paris ratés sur les CDS, il décide d’acheter en grand nombre ces produits financiers pour créer la pénurie. La situation s’est vite retournée en 2012 quand en réaction à ses prises de position, des hedge funds ont passé des ordres inverses pour se couvrir au cas où le trader revendrait d’un coup toutes ses positions.

En 2015, les pertes s’élèvent à 6,2 milliards de dollars. Bruno Iksil, dans le cadre de l’enquête du FBI et la SEC, coopère et échappe aux poursuites judiciaires de J.P. Morgan.

 

 

  • John Meriwether et Long Term Capital Management

meriwether-ap-galleryAprès avoir fait ses preuves chez Salomon Brothers, John Meriwether crée en 1994 le hedge fund Long Term Capital Management (LCTM) où il s’associe à de brillants scientifiques comme Myron Scholes et Robert Merton tous deux prix Nobel d’économie.

Le fonds prend des positions colossales pour l’époque représentant plus de 260 fois sont capital (4,8 milliards de dollars) en s’appuyant sur des hypothèses et des opportunités d’arbitrage qui se montrent efficaces lorsque les marchés sont calmes.

Cependant, en 1997, le système s’effondre avec la crise financière asiatique. LTCM parie alors sur un retour à la normale des taux obligataires pour la fin d’année 1998. La crise financière russe avec le défaut de paiement de la Russie provoque un nouveau choc sur les marchés qui va à l’exact opposé des anticipations de LCTM. Les pertes s’élèvent au total à 4,5 milliards de dollars.

Le 23 septembre 1998, LCTM est au bord du gouffre. William McDonough, président de la banque fédérale de New York, réunit les patrons des grandes banques américaines et de quelques banques européennes. Il les oblige à recapitaliser le fonds pour 3,6 milliards de dollars le temps que LCTM se défasse de ses positions afin d’éviter une crise internationale.

 

 

  • Brian Hunter et le hedge fund Aramanth

Screen shot 2009-11-24 at 5.40.10 PMBrian Hunter est un vrai cas d’école de « rogue trader » ou « trader voyou » dans un hedge fund. En effet, ce trader canadien spécialisé dans le trading des matières premières et plus précisément le gaz et le pétrole est à l’origine d’un important scandale dans l’industrie des hedge funds.

Devenu gérant du hedge fund Aramanth, il commence à prendre de nombreuses positions aux bénéfices colossaux lui permettant d’attirer beaucoup d’investisseurs.

Cependant, sa capacité à anticiper les tendances du marché se détériore si bien que le 14 septembre 2006 il perd 560 millions de dollars. Comment ? Il avait prédit une hausse des prix du gaz à l’approche de l’hiver mais c’est exactement l’inverse qui s’est produit.

Il perd au total près de 6,5 milliards de dollars et pousse à la faillite le fonds Aramanth Advisors fin septembre 2006.

 

 

  • Jérôme Kerviel

4420551_3_26b3_jerome-kerviel-au-palais-de-justice-de-paris_c8c8cdb7d2d4ddecb4ccef8ddc3774c5L’avant dernière place de notre classement revient au français Jérôme Kerviel. Après 5 ans à la Société Générale, il parvient à passer en front office et devient en charge des contrats à termes portant sur des indices boursiers. Cependant, il engage rapidement de grosses sommes d’argent sur les marchés à hauteur d’1,8 fois le montant des fonds propres de la banque, soit près de 90 milliards d’euros. La dernière semaine de janvier 2008, la banque s’est retrouvée avec une position ouverte de 50 milliards d’euros. Plus exactement, ses positions se composaient de 30 milliards d’euros de futures sur l’indice Eurostoxx, de 18 milliards sur l’indice DAX et de 2 milliards sur l’indice FTSE.

Il a exposé la Société Générale à un risque de marché qui aurait coûté 7,26 milliards de dollars, la fraude ayant été découverte le 18 Janvier 2008.

Si Kerviel a réussi à dissimuler ces transactions illicites, c’est parce qu’il connaissait parfaitement le système de contrôle interne de la Société Général. Daniel Bouton, président de la banque pendant l’affaire, dénonce Jérôme Kerviel le qualifiant de « génie de la fraude ».

Après une longue procédure judiciaire où la hiérarchie de la banque est également mise en cause en interne, Jérôme Kerviel est condamné à 3 ans de prison ferme puis bénéficie d’un aménagement de sa peine en étant placé sous surveillance électronique. Le 19 mars 2014, la Cour de cassation annule les dommages et intérêts de 4,9 milliards d’euros qu’il devait verser.

En 2015, l’ancien trader attend la réouverture de son dossier dans l’espoir de réduire sa peine de 3 ans de prison ferme à la suite de déclarations d’une commandante de police ayant la certitude que la banque n’ignorait pas les agissements de Jérôme Kerviel.

 

  • Howie Hubler : champion toutes catégories

howie-hublerHowie Hubler figure en tête de ce classement car c’est incontestablement le trader qui a causé la plus grosse perte de l’histoire des marchés financiers.

Ancien trader de Morgan Stanley, il est responsable d’une perte de 9 milliards de dollars en 2007. Il était en charge des transactions de produits dérivés de crédit, les CDS ou « credit default swaps » sur les crédits hypothécaires à l’origine de la crise de 2008 : les « subprimes ». De 2004 à 2006, il parie contre la bulle immobilière américaine en utilisant les CDS. Néanmoins, ses anticipations du marché immobilier sont erronées et le trader doit couvrir ses positions en creusant davantage ses pertes.

Fait marquant dans l’affaire Howie Hubler : ce dernier s’en sort quasi indemne car la banque était au courant de ses agissements et avait validé l’erreur. L’équipe de direction de Morgan Stanley en ressort toutefois ébranlée. John Mack, le CEO de MS, mène en interne une enquête sur les raisons d’une telle perte. Zoé Cruz, co-présidente de la banque et pressentie successeur de John Mack, est très vite mise en cause. Elle est contrainte à démissionner en 2007 de son poste et sera remplacée par James Gorman, devenu CEO de Morgan Stanley en 2010.

Hubler quitte Morgan Stanley en récupérant au passage des bonus substantiels. Morgan Stanley se retrouve dans une situation catastrophique et emprunte 107,3 milliards de dollars au gouvernement américain dans le cadre du plan de sauvetage des banques américaines.

 

Bastien Mirlicourtois, étudiant à l’ESCP Europe et Contributeur du blog AlumnEye

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