Le 27 mars 2014, Renault et Nissan ont fêté les quinze ans de leur alliance, qui représente à maints égards un cas unique dans l’industrie automobile et dans l’histoire des fusions transfrontalières. Elle constitue à ce jour la seule alliance d’envergure entre un groupe français et un groupe japonais, deux pays connus pour leur patriotisme économique et leur culte du fleuron national. Retour sur un deal historique.

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Deux vieilles maisons fières, compétentes mais en perte de vitesse

Créé en 1908, Nissan Motors était le deuxième constructeur d’automobiles japonais en 1998, produisait dans 22 pays, et possédait des points de vente dans 180 pays. Le keiretsu Nissan dont elle était la tête de pont employait en 1998 plus de 130 000 personnes et générait près de 58 milliards de dollars de revenus consolidés. Le groupe comportait entre autres des équipementiers et une compagnie financière dédiée, des sociétés de transport maritime, des centres de design et des unités commerciales, et agrégeait au total plus de 1300 filiales.

 

Marque phare des années 1960, concurrent direct de Toyota, Nissan se développa rapidement à l’étranger, Nissan fut le premier constructeur japonais à s’implanter en Europe dès les années 1980. Elle possédait un avantage technique sensible sur ses concurrents en termes de prix et de technologie, mais aussi de motorisation, de mécanique et de productivité, qui lui permettait à la fois de réduire ses délais de production et d’offrir des modèles fiables et conformes aux designs européens. Néanmoins, la marque souffrait de nombreuses faiblesses : un renouvellement assez lent de sa gamme, un management lourd, pléthorique, peu imaginatif et bridant l’originalité, trop de plateformes de production différentes et parfois en sous-régime, et un positionnement commercial à bout de souffle, qui misait sur une gamme très diversifiée de modèles classiques d’une grande perfection et fiabilité techniques mais au style banal et ayant peu de pièces en commun. En outre, le groupe accumulait depuis près de dix ans des pertes importantes et présentait une dette croissante qui s’élevait au moment de l’accord (mars 1999) à près de 25 milliards d’euros, soit plus de 10 fois son résultat d’exploitation de 1998.

 

En 1998, Renault fêtait ses 100 ans d’existence. Présente dans l’automobile, les sociétés de financement automobile et les véhicules industriels, son développement international semblait marquer le pas, malgré sa position de première marque européenne, de deuxième constructeur français et de dixième mondial. L’entreprise comptait près de 140 000 collaborateurs, et avait réalisé en 1997 un chiffre d’affaires consolidé de 31,7 milliards d’euros, pour une capitalisation boursière de 12,7 milliards d’euros à la mi-1998.

 

Originellement entreprise familiale, devenue régie d’État en 1945, Renault s’était étendue aux États-Unis en 1980 en prenant le contrôle de 46% de l’American Motors Corporation avant d’accuser une perte colossale qui l’avait mené au bord de la faillite et avait conduit à la revente de ses participations américaines à Chrysler en 1987. Cinq ans plus tard, Louis Schweitzer, nouvellement nommé PDG de la marque au losange, souhaitait reprendre l’expansion internationale en rachetant le suédois Volvo, et dégager progressivement la marque du giron de l’État, ce qui fut fait en 1994 par l’ouverture du capital de Renault et en 1996 par sa privatisation (même si l’État conservait en 1998 plus de 45% du capital). En revanche, après deux ans de tractations, Volvo refusa la fusion en 1995.

 

En 1998, Renault était en voie d’intégrer le roumain Dacia (ce qu’il fit fin 1999), après plus de 20 ans de coopération industrielle et commerciale, mais était à la recherche d’un partenaire beaucoup plus grand et orienté sur un marché en forte croissance, l’Asie, continent jusqu’alors ignoré par les équipes de Renault.

 

Constructeur considéré comme généraliste, Renault avait pour lui une certaine créativité et une culture de l’innovation, d’excellentes relations avec ses fournisseurs grâce à des achats globaux et stratégiques, et une certaine maîtrise des coûts. Cependant, la qualité des produits, les délais de développement et la productivité des usines laissaient à désirer, et les véhicules hauts de gamme présentaient des problèmes réguliers de motorisation. Sa part de marché en 1998 était de 11% en Europe et de 4,3% dans le monde.

 

Des synergies de coût au podium mondial

À la fin des années 90, le marché de l’automobile devenait de plus en plus concurrentiel, en pleine consolidation avec des marges en constante baisse (8% en 1986 contre 3% en 1998), des investissements en R&D toujours plus lourds pour soutenir la concurrence et des achats toujours plus significatifs dans les coûts. Dans un tel contexte, une alliance entre Renault et Nissan prenait tout son sens.

 

Les motivations de l’alliance étaient de plusieurs ordres : créer des synergies à chaque étage de la chaine de valeur, mutualiser les achats pour encourager la réduction des coûts (ce pour quoi Renault, et particulièrement son directeur général adjoint Carlos Ghosn, étaient réputés), partager des technologies et exploiter de nouveaux marchés. Renault et Nissan étaient en particulier complémentaires pour l’exploration de nouvelles opportunités eu égard à la supériorité mécanique et commerciale de Nissan et, du côté de Renault, à des techniques de gestion réputées, une forte présence en Europe et des relations remarquables avec les fournisseurs et les distributeurs. Enfin, le secteur de l’automobile se consolidait à la fin des années 90 : Renault comme Nissan entendaient survivre dans un contexte compétitif de plus en plus agressif.

 

L’objectif stratégique pour l’alliance était ambitieux : devenir le troisième constructeur automobile mondial, à la fois en termes de qualité, de profitabilité et de stratégie, tout en respectant l’identité propre et les marques des deux partenaires. En somme, un partenariat commercial et capitalistique sans fusion totale, fondée sur des échanges de bons procédés où chacun s’inspire de ce que l’autre a de meilleur, et où les deux constructeurs se sauvent mutuellement l’un du déclin (Renault), l’autre de la faillite (Nissan), quitte à progressivement resserrer les liens à plus long terme.

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« Le mariage le plus improbable au monde » habilement négocié

L’annonce du projet d’alliance entre Renault et Nissan provoqua un intense scepticisme chez les analystes et les spécialistes de l’industrie automobile, qui estimaient que l’opération était « le mariage le plus improbable au monde ». L’enjeu était en effet l’intégration de deux constructeurs de taille différente (Nissan était en effet presque deux fois plus « gros » en terme de chiffre d’affaires que Renault), de culture et de langues radicalement dissemblables. En d’autres termes, de deux entreprises qui à première vue étaient assez éloignées (malgré les nombreuses synergies qu’elles parvinrent finalement à identifier — et à réaliser).

 

L’opération était d’autant plus compliquée que le Japon possède une culture économique et industrielle très étatique (avec un ministère de l’économie, le fameux MITI, particulièrement influent dans les milieux d’affaires), et le gouvernement japonais voyait d’un assez mauvais œil un fleuron national passer dans des mains étrangères, à plus forte raison françaises.[1] D’où un nouvel enjeu : gérer un partenariat avec contrôle plutôt qu’une fusion totale ; Renault n’ayant ni les moyens financiers ni l’influence politique au Japon pour se permettre de racheter l’ensemble du capital de Nissan.

 

Le point de départ des négociations date de la fin 1997 où, après la crise asiatique, la direction de Renault envisage sérieusement d’investir dans un champ potentiellement très porteur en terme de demande et où les réseaux de distribution de Renault sont sous-employés.

 

Après avoir écarté des premières études prospectives en Corée puis au Japon (Suzuki, Subaru, Mitsubishi), Louis Schweitzer, président-directeur général de Renault écrit directement au PDG de Nissan, Yoshikazu Hanawa en juin 1998 pour lui proposer de réfléchir à une alliance avec prise de participation de Renault et Nissan. Hanawa répond en excluant une fusion totale, mais propose l’ouverture de négociations exclusives, qui concerneraient, au-delà de partenariats locaux, une alliance beaucoup plus globale. Cette option est confirmée par la rencontre des deux PDG à Tokyo le 22 juillet 1998.

 

À l’été 1998, une mission de Renault est envoyée au siège de Nissan à Tokyo pour explorer les possibles synergies de l’alliance. Une vingtaine de sujets sont envisagés, des moteurs aux plateformes communes en passant par un certain nombre de coopérations géographiques. Ces deux mois d’études débouchent sur la signature en septembre d’une clause d’exclusivité valable pour trois mois entre les deux constructeurs, qui leur laisse le temps de constituer des équipes mixtes chargées de l’évaluation technique et financière des synergies dans chaque site.

 

Le 11 novembre 1998, Louis Schweitzer et son équipe sont invités à présenter leur stratégie pour un éventuel partenariat au conseil d’administration de Nissan. Sont notamment évoqués les difficultés de Nissan et les remèdes de gestion que le Français se proposerait d’administrer pour soulager sa dette considérable (dont le montant était encore tenu secret). La réflexion stratégique laisse alors place à la réflexion financière, qui s’inspire du rapprochement Ford-Mazda. Reprenant la stratégie naguère utilisée par Ford, Renault se rapproche des banques Fuji et IBJ, banquiers historiques de Nissan, pour déterminer leur implication future dans le redressement des finances du Japonais et l’apurement de sa dette.

 

Le 23 décembre 1998, le management de Renault et de Nissan se rencontrent une nouvelle fois à Tokyo. Les négociations s’intensifient mais Nissan met Renault sous pression en refusant de renouveler la clause de négociations exclusive et en l’informant qu’il considérera également une offre éventuelle de Daimler-Chrysler en ce qui concerne Nissan Motors. Hanawa avait pris l’initiative de contacter, en parallèle des négociations avec Renault, le PDG de Ford, Jacques Nassar, qui avait refusé de donner suite, et le co-président de Daimler-Chrysler, Jürgen Schrempp, qui se déclarait intéressé par un investissement dans Nissan Motors (au-delà de la branche camions initialement envisagée). Le constructeur germano-américain possède en effet l’avantage d’une présence effective en Asie, contrairement à Renault, et d’une trésorerie plus importante. Nissan confirme le 31 mars 1999 comme date butoir des négociations, quel que soit l’offreur.

 

Renault doute désormais des chances d’aboutissement du projet, d’autant que Nissan alloue les mêmes équipes à l’étude d’un rapprochement avec Daimler-Chrysler et que Nissan ne reconnaît officiellement négocier qu’avec Daimler-Chrysler. Le 1er mars, Schweitzer estime devant son conseil d’administration que Daimler reste le premier choix de Nissan et conséquemment que l’alliance n’a qu’une chance sur deux de se concrétiser. Le 10 mars, la situation redevient favorable à Renault après que Schrempp retira son offre sur Nissan Automobile, laquelle avait été bloquée par le conseil d’administration de Daimler-Chrysler, inquiet de la situation financière préoccupante de Nissan et d’une dette sans-cesse sous-estimée par le management japonais.

 

Le 13 mars, un dernier round de négociation se déroule à l’hôtel Sheraton de Roissy. Y. Hanawa arrive de Tokyo en urgence pour négocier un accord de dernière minute avec L. Schweitzer, principalement en ce qui concerne le prix et le financement de l’opération. Assisté de leurs banquiers et de leurs adjoints, les deux PDG discutent des derniers détails de l’alliance et Schweitzer remet à Hanawa son offre informelle de prise de participation. Il reste à obtenir l’accord final du conseil d’administration de Renault, qui se réunit trois jours plus tard. Carlos Ghosn, directeur général adjoint de Renault se charge de la communication de l’opération, et assure que les risques sont évalués correctement. Le conseil approuve le projet, et le 27 mars 1999 a lieu la signature finale et la conclusion de l’alliance Renault-Nissan à Tokyo.

 

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L’avance masquée de Renault

Parmi les points qui ont fait difficulté entre Renault et Nissan lors des négociations, il faut remarquer d’abord l’opacité volontaire qu’entretint Nissan sur certaines données capitales, et notamment le montant de sa dette, ce qui alimentait les analyses négatives des perspectives de fusion. De façon générale, les années 1990 étaient celles du début des convergences comptables dans les pays développés, et parmi eux le Japon semblait le plus lent et le plus réticent à adopter les normes IAS, ce qui rendit la tâche d’évaluation de l’acquisition particulièrement ardue pour Renault. D’autant que la fierté de Nissan et de son PDG les conduisait à demander un prix particulièrement élevé, ce qui poussa Renault finalement à surenchérir de 20% au dernier moment. Il est à noter qu’après le refus de Daimler-Chrysler le 10 mars 1999, L. Schweizer décida de rester cohérent auprès de Nissan et de ne pas revenir sur son offre.

 

Ensuite, le fait que la direction de Nissan ait, malgré l’accord de négociation exclusive initiale, fait feu de tous bois et ait entretenu des perspectives de suroffres concurrentes et notamment Daimler-Chrysler, ajouté à la certaine condescendance qu’elle affichait envers Renault, aurait pu faire torpiller le projet.

 

Enfin, le sort des principaux cadres dirigeants de Nissan n’était pas réglé à la signature de l’accord. Renault fit preuve de tact en adjoignant aux cadres japonais qu’il souhaitait pousser doucement vers la sortie des directeurs adjoints issus de Renault, afin de lisser la transition plutôt que de « débarquer » brutalement l’ensemble du management de Nissan.

 

Financement et prise de contrôle

Au 26 mars 1999, la capitalisation boursière de Nissan était de 9,07 milliards d’euros et le cours de l’action à 465 yens (soit 3,63 euros). L’accord signé le 27 mars 1999 prévoit une prise de participation immédiate de Renault à 36,8% du capital de Nissan Motors, obtenue par la souscription à l’intégralité des 1464 millions d’actions émises à 400 yens chacune (soit 3,07 euros), auquel s’ajoute un investissement dans 22,5% du capital de Nissan Diesel (cédés par Nissan Motor), ainsi que 100% du capital des diverses filiales de financement des ventes de Nissan. Une option à exercer dans les 4 premières années prévoie la possibilité pour Renault de monter jusqu’à 39,9% du capital de Nissan Motors, et à 44,4% la cinquième année, pour un prix par action de 400 yens également. Nissan conserve la possibilité d’entrée dans le futur dans le capital de Renault.

 

Le prix total de l’opération s’élève à 643 milliards de yens, soit 4,89 milliards d’euros, financée pour 40 % par la trésorerie de la marque au rectangle et pour le reste par recours à l’endettement, dont 1,65 milliards d’euros d’obligations à 5 ans souscrites par les principaux banquiers de Nissan.

 

Conformément aux dispositions de l’accord d’alliance, Renault a acquis 36,8% de Nissan Motors en 1999, puis est monté jusqu’à 43,3% en 2001. Nissan a de son côté acquis 15% du capital de Renault en 2002. Une structure commune de gouvernance de l’alliance a été créée 2002 : Renault-Nissan BV, société de droit néerlandais détenue à 50% par chaque partenaire. (Cf figure ci-dessous.[2])

 

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Ces changements de détention ont également des conséquences en terme de management. Le nombre de membres du conseil d’administration de Nissan est divisé par 4, et ne compte plus que 10 membres, dont Carlos Ghosn, ex-directeur général délégué de Renault chargé des coûts qui est nommé directeur général de Nissan, et deux autres dirigeants de Renault sont nommés DGD Yoshikazu Hanawa demeure président de Nissan jusqu’au 20 juin 2000, date à partir de laquelle Carlos Ghosn le remplace et assume la fonction de président-directeur général.

 

Une reprise en main subtile mais vigoureuse

Afin de réaliser au mieux l’intégration des deux entreprises et de régler les rapports entre elles, un certain nombre de structures ont été immédiatement mises en place.

 

  • Un comité stratégique (Global Alliance Commitee), co-dirigé par les PDG de Renault et de Nissan, et composé à parité de cadres dirigeants des deux entreprises, chargé chaque mois de définir (sans pouvoir exécutif) la stratégie conjointe et de statuer sur les synergies identifiées.
  • Un conseil international de l’alliance (International Alliance Board), co-présidé par les deux PDG, qui suit les résultats financiers, veille au respect de la charte d’alliance et contribue, à l’occasion de sa réunion annuelle, à la stratégie et à l’apport de solutions concrètes pour renforcer la compétitivité de l’alliance. Sorte de conseil d’administration informel et non exécutif de l’alliance.
  • Douze groupes de travail transverses (Cross-Company Teams) rassemblant chacun une dizaine de cadres des deux entreprises, divisés par thèmes (secteurs géographiques, ingénierie, mécanique, achats, planification, production, etc.) chargés des projets pour optimiser les synergies et de la gestion complète de plans d’actions communs. Le travail des CCT est coordonné par un comité d’organisation en lien avec un responsable chez Renault (secondé par un cadre Nissan) et un responsable chez Nissan (secondé par un cadre Renault).
  • Neuf groupes de travail fonctionnels (Functional Task Teams) chargés de résoudre les problèmes identifiés par les groupes de travail ou le comité stratégique, notamment à propos de la circulation de l’information, de la qualité, des questions fisco-juridiques, etc., et de l’harmonisation des procédures.

Après la signature de l’accord, les groupes transverses ont commencé à travailler et ont rendu leurs conclusions au conseil d’administration de Nissan. Le DG, Carlos Ghosn, synthétisa les débats qui s’ensuivirent en rédigeant un plan stratégique à 3 ans qui contenaient les principaux objectifs et les mesures à prendre le plus urgemment possible pour assurer la survie de Nissan et sa bonne intégration. Tenu secret jusqu’au dernier moment, il fut présenté en conférence de presse le 18 octobre 1999, et simultanément dans les autres principaux quartiers généraux géographiques de Nissan.

Carlos-Ghosn-Renault-Nissan-Alliance-CEO

L’impact psychologique de ce plan fut très fort sur les équipes de Nissan et sur l’industrie automobile. Après un bref résumé des difficultés identifiées de Nissan, Ghosn annonçait le lancement de 22 nouveaux produits, une réduction de 20% du coût des achats et de moitié du nombre des fournisseurs, une réduction de 30% de la capacité de production avec la fermeture annoncée de cinq usines expressément citées, une réduction de 20% des frais généraux, de 20% du nombre des filiales commerciales et de 10% du nombre des points de vente, la revente de la quasi totalité des participations industrielles de Nissan, une réduction de 14% des effectifs (principalement par des non-remplacement), un retour à la rentabilité sur l’exercice 2000, d’une marge de profit supérieure à 4,5% du chiffre d’affaires en 2002, de la réduction de la dette de 50% par rapport au niveau actuel et enfin, fait unique, l’engagement de tous les membres du Comité exécutif de partir à l’échéance du plan si ces promesses ne sont pas tenues à l’échéance de ce plan.

 

La réalisation des synergies

La principale synergie était indépendante de la structure de l’alliance, et aurait valu tant dans le cadre d’une alliance que dans celui d’une fusion complète : des synergies de coût. En effet, RNA a mis en place en 2001 une centrale d’achat commune, la Renault-Nissan Purchasing Organization (RNPO), afin de maximiser les économies d’échelle et d’affirmer leur position face à leurs fournisseurs.

La mise en place de la RNPO et la focalisation sur la fonction achat est d’autant plus significative que la plupart des constructeurs sous-traitent la majeure partie de leurs composants (jusqu’à 70% pour Toyota, un ordre de grandeur pour Nissan et Renault). Assurer de bonnes relations avec les fournisseurs et obtenir des coûts de sous-traitance bas était donc capital pour les deux constructeurs eu égard à la culture du juste in time qu’appliquait avec rigueur Nissan et dont Renault s’inspirait depuis les années 80, et qui requérait à la fois la baisse du nombre des fournisseurs et un investissement dans des collaborations de longue durée.

La mise en commun d’équipes dédiées à l’innovation dans le cadre de la structure de contrôle commune RNBV fut aussi une synergie importante, car elle allait de pair avec la décision stratégique prise pour toute l’alliance d’investir dans le développement des voitures électriques.

Au total, les synergies sont estimées à 10,3 milliards d’euros sur la période 1999-2013 par Nissan.

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Un succès historique

Renault et Nissan peuvent considérer l’alliance comme un succès, à la fois en termes de résultats, de parts de marché, de présence internationale, de technologie et de développement. D’un point de vue financier, Nissan est assurément le grand bénéficiaire, puisqu’il enregistrait en 1999 des pertes équivalentes à 680 milliards de yens (5,26 milliards d’euros), et était bénéficiaire de plus de 460 milliards de yens (3,54 milliards d’euros) quinze ans plus tard, et que sa marge opérationnelle (5,2%) représentait en 2014 l’une des meilleures de l’industrie automobile. Renault ne fut néanmoins pas en reste, puisque Nissan l’aida à s’étendre dans de nouveaux marchés, à réduire davantage ses coûts et surtout à améliorer ses technologies. Sur la période, son résultat net tripla et sa capitalisation doubla, tandis que la valeur marchande des actions de Nissan s’accrut de moitié.

 

En 2013, RNA était le quatrième constructeur automobile mondial, avec 8,3 millions de véhicules vendus cette année. L’alliance possédait une part de marché supérieure à 10% dans les cinq plus gros marchés qu’il visait : la Russie, la France, le Mexique, la Turquie et le Japon. Il s’affirme depuis comme le leader mondial des véhicules à batterie électrique, et possédait 58% des parts de marché des automobiles zéro-émission en 2014.

 

RNA doit aujourd’hui son aura au fait qu’elle a réussi à concilier avec brio deux entreprises anciennes, fières, innovantes mais issues de cultures nationales, managériales et industrielles radicalement différentes, et à adopter ce qu’il y avait de meilleur dans chacune d’elle sans les uniformiser. En somme, une union à haut risque réalisée par un marieur et manager hors pair qui demeure une figure très respectée du capitalisme nippon : Carlos Ghosn.

Vincent Ode, étudiant à HEC Paris et Contributeur du blog AlumnEye

Bibliographie

  • Barmeyer, Christoph ; Mayrhofer, Ulrike : « Management interculturel et processus d’intégration: une analyse de l’alliance Renault- Nissan », in Management & Avenir 2009/2 (n◦22), pp. 109-131.
  • Blanchot, Fabien ; Kalika, Michel, « L’alliance Renault-Nissan », CCMP, 2002.
  • École de Paris du Management, « L’alliance Renault-Nissan au quotidien : coopération et acculturation des équipes de terrain », colloque du 13 décembre 2010, compte-rendu rédigé par Élisabeth Bourguignat.
  • Kittilaksanawong, Wiboon ; Palecki, Caroline, « Renault-Nissan Alliance : Will Further Integration Create More Synergies ? », Case Study, Richard Ivey School of Business Foundation, Ivey Publishing, 2015.
  • Portères, Pascale (dir.), « Réussir une fusion : d’abord une histoire d’hommes », Les Cahiers Bernard Brulhes (n◦17), Les Publications du groupe BPI, décembre 2006.
  • Renault-Nissan Alliance, Alliance Facts and Figures, 2014. Disponible sur : www.nissan- global.com/en/document/pdf/alliance/hand- book/2014/BookletAlliance2014_GB.pdf (consulté le 31 décembre 2015).
  • Weiss, Stephen ; Marjollet, Christian ; Bouquet, Cyril, « Perspective d’analyse en négociation : l’alliance Renault-Nissan », in : Revue française de gestion, pp. 211-234, 2005.

 

[1] La France est en effet considérée au Japon comme une puissance industrielle faible et les groupes français comme des partenaires modérément fiables.

[2] Source : Booklet Alliance Renault Nissan 2014.