De la crise de 2008, on a retenu la faillite retentissante de Lehman Brothers et la fragilité du système financier international. La finance a pu tirer des leçons de cela en cherchant une plus forte robustesse des institutions et établissements financiers mais, il reste à savoir si le système financier est aujourd’hui assez solide pour pouvoir résister à une possible nouvelle crise.

 

Des risques liés aux réformes gouvernementales et à la situation macroéconomique occidentale…

 

La crise des subprimes a entraîné un marasme continu pour l’activité économique occidentale avec un recul plus prononcé en Europe, acculée par le surendettement des pays sud-européens également. Dès lors, les gouvernements et les banques centrales ont cherché à favoriser la reprise économique à travers différents canaux de transmission : politique budgétaire, conjoncturelle, etc. Une des stratégies a été d’abaisser les taux d’intérêt afin de favoriser une reprise de l’économie via la demande puisqu’une baisse des taux d’intérêt entraîne des taux d’emprunt plus faibles donc une offre de crédit moins rigide a priori. Ainsi, la FED a laissé les taux d’intérêt américains à un niveau quasi-nul de façon quasi-systématique quand la BCE a attendu cinq ans pour mettre en place une stratégie semblable. Cette politique monétaire a été renforcée par une politique non-conventionnelle de rachat d’actifs des établissements financiers appelée Quantitative Easing, permettant une plus forte liquidité sur les marchés financiers tout en intensifiant la circulation d’actifs financiers dans ces derniers. De facto, la sphère financière est dopée et un premier risque apparaît : le détachement de cette sphère à la sphère réelle qui mène à des bulles spéculatives et à des crises plus ou moins systémiques.

De plus, les taux d’intérêt faibles mènent à une frénésie de recherche de gains de la part des acteurs financiers dans un contexte difficile ce qui amène invariablement à la prolifération de « titres pourris » (junk bonds) à fort effet de levier. Ainsi, les entreprises risquées peuvent facilement emprunter à taux bas et cela renforce le risque systémique, notamment si on s’appuie sur l’évolution de tels titres sur les marchés financiers : on comptait 3,5 trillions de dollars de junk bonds entre 1998 et 2008 contre 8,7 trillions de dollars depuis 2009.

 

Outre la promotion de politiques conjoncturelles non-conventionnelles, les gouvernements ont opté pour des réformes salutaires en termes de robustesse des établissements financiers. En effet, ils encouragent l’afflux de liquidités des filiales à la maison mère pour les banques tout en mettant en place des mécanismes de reconversion de titres financiers en equity pour apporter du capital frais en cas de stress financier. Ceci a permis d’établir une confiance stable au sein des marchés financiers avec des coûts d’emprunt faibles pour les grandes banques. Seulement, cette réforme louable mésestime le risque d’aléa moral de la part des banques [Roubini, 1999] : les grandes banques sont certaines d’être sauvées par les gouvernements et la banque centrale, ce qui favorise logiquement les prises de position risquées des établissements financiers. Seulement, cette croyance n’est pas systématique puisque rien ne dit que les institutions voudront sauver la banque en question (comme ce fut le cas aux Etats-Unis pour Lehman Brothers) ; in fine, le risque systémique est bien présent.

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…Auxquels on ajoute ceux inhérents aux marchés financiers et à leur évolution

 

Toutefois, les banques semblent s’être écartées des activités de forte spéculation pour se concentrer sur les activités de détail. Une concentration des activités bancaires s’est effectivement faite après 2008 avec une restructuration dominée par les activités de dépôts puisque ces dernières représentent aujourd’hui 47% des activités des grandes banques contre 29% en 2007 alors que la part des activités spéculatives court-termistes ont baissé de 22 points sur la même période (22% contre 44%) pour les mêmes établissements. Ce changement majeur est corrélé à l’exigence des régulateurs prudentiels qui se veulent plus fermes : aux Etats-Unis, les fonds propres exigés sont passés en moyenne de 2,5% à 6,6% ce qui contraint les grandes banques à ne pas dériver vers les activités à haut risque et donc à forts rendements. De facto, les banques sont limitées dans leur croissance et les fusions-acquisitions n’arrivent pas à pallier ce problème : elles sont condamnées à simplifier leurs structures et à avoir une taille limitée à l’avenir. Seules les banques chinoises arrivent encore à croître (régulation faible dans les pays asiatiques) et deviennent de véritables fleurons de l’industrie bancaire puisque cinq établissements chinois figurent parmi les plus grandes banques mondiales.

On pourrait croire alors que les banques sont épargnées d’une possible crise du fait de l’essoufflement de leurs activités spéculatives : rien n’est moins sûr. On se souvient qu’une des sources de l’instabilité financière des années 2000 était l’excès de titrisation de la part des banques et la promotion des produits dérivés complexes : ces derniers étaient échangés au gré à gré entre les banques et les intermédiaires financiers (fonds d’investissement, private equity, hedge funds etc.) dans la plus grande opacité. Un des titres phares était le CDO (Collateralized Debt Obligation) qui est aujourd’hui remplacé par le CLO (Collateralized Loan Obligation) dont le marché a doublé en dix ans (on est passés de 250 milliards de dollars en 2008 contre 520 milliards de dollars aujourd’hui) ; il s’agit d’un montage financier semblable mais dont les tranches peuvent être revendues séparément, permettant ainsi une plus grande sûreté financière. Quoiqu’il en soit, ces titres contribuent à la croissance du Shadow Banking, la finance de l’ombre, portée essentiellement aujourd’hui par les intermédiaires financiers qui ont repris les activités spéculatives des banques au cours de la dernière décennie. Seulement, le lien entre ces derniers et les banques est toujours tenace et donc n’épargne pas celles-ci du risque systémique engendré par le Shadow Banking. En effet, les grandes banques restent les principaux acteurs du marché des produits dérivés puisque les six premières banques américaines représentent 35% des contrats des dérivés aujourd’hui (env. 180 trillions de dollars) et donc l’opacité ne s’est pas dissipée avec la régulation prudentielle. On peut de même relever l’idée que la remontée latente des taux d’intérêt (aux Etats-Unis) favorise l’attractivité des MMF (Money Market Funds) – qui ont largement financé les banques dans leurs activités de spéculation lors de l’ère post-2008 – puisque les flux de capitaux pourraient se diriger de nouveaux vers eux : tout ce qui a été bâti depuis pour une meilleure robustesse financière pourrait in fine s’évanouir.

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Finalement, l’heure est à l’expectative à propos de la résilience du système financier actuel : des améliorations notables ont été réalisées pour assainir les bilans des banques mais, les liens qui les unissent avec la finance de l’ombre laissent présager un risque systémique latent. Il se pourrait donc bien que le système financier actuel succombe à une prochaine crise aigüe.

 

Ulysse M’Bouti, étudiant à l’EDHEC Business School et contributeur du blog AlumnEye