Avec une fortune s’élevant à plus de 61,7 milliards de dollar en 2015, Warren Buffett est un des hommes les plus riches du monde. Personnage pourtant méconnu du grand public, cet article analyse la place de sa philosophie de l’investissement dans sa réussite et retrace l’histoire de cet homme d’affaires d’exception.

 

Une prédisposition pour les affaires

« Règle n°1 : ne jamais perdre d’argent. Règle n°2 : ne jamais oublier la règle n°1.»[1] Warren Buffett

o-WARREN-BUFFETT-570Warren Buffett est né dans une riche famille américaine en 1930 à Omaha, dans le Nebraska, ville où il réside encore aujourd’hui. Son père était broker puis fut élu à la Chambre des Représentants. Warren Buffett démontre très jeune un sens inné du business. Encouragé par son père, il effectue sa première transaction financière à l’âge de 11 ans en achetant trois actions de Cities Services à 38$ par action pour les revendre ensuite à 40$ réalisant ainsi un honnête profit. Cependant, le cours de l’action continue son ascension jusqu’à atteindre 202$ quelques années plus tard. Cette expérience enseigne à Buffett l’importance de la patience et du long terme, valeurs qui conditionneront largement ses choix d’investissement par la suite. Quelques années plus tard, Buffett part étudier les sciences économiques à Washington où il crée son premier business. Le concept est simple : son associé et lui installent un flipper dans un salon de coiffure de Washington. Ce dernier permet aux clients de patienter en salle d’attente et les profits de la machine étaient ensuite partagés avec le propriétaire du salon. C’est un succès. Le jeune Buffett réinvestit ensuite sa part des gains pour acheter un second flipper et réitère l’opération dans un autre salon de coiffure, et ainsi de suite. L’activité croît rapidement, lui assurant une source de revenus régulière jusqu’à ce qu’il vende cette affaire pour 1200$ (environ 10 000$ en valeur actuelle). Warren Buffet venait d’expérimenter l’importance du rendement du capital et la valeur d’associés compétents.

 

L’investisseur intelligent

« Le prix est ce que vous payez. La valeur ce que vous achetez.» [2] Warren Buffet

Après des études à l’Université de Pennsylvanie et à l’Université du Nebraska, Warren Buffett découvre l’ouvrage de Benjamin Graham The Intelligent Investor (1949). Cette lecture est probablement une des plus déterminantes dans la construction du businessman que nous connaissons aujourd’hui. La théorie de l’investissement développée dans l’ouvrage le conduit à étudier l’économie à l’Université de Columbia, sous l’enseignement de Graham qui devint par la suite son mentor. Une fois ses études achevées, il travaille en tant qu’analyste dans le fonds d’investissement fondé par Benjamin Graham, Graham-Newman Corp, où il met en application et perfectionne cet enseignement. En 1956, Buffett retourne dans sa ville natale à Omaha où il crée Buffett Associates Ltd avec l’apport de capital de six investisseurs de sa famille proche et amis. La rémunération des investisseurs et des partenaires est singulière : un rendement de 4% fixes annuels est garanti par Buffett, ce dernier comblant de sa poche les éventuelles sous-performances du fonds. En revanche, si la performance excède 4%, alors 50% du surplus lui est reversé et le reste du montant revient aux autres partenaires. Buffett investit l’argent du partenariat avec talent, doublant la valeur du fonds après trois ans de gestion. Ce succès le conduit à se consacrer à la gestion d’autres partenariats, ce qui lui permet de gagner son premier million de dollars au début des années 1960. Il fusionne ces partenariats en 1962, créant ainsi Buffett Partnerships Ltd valorisée alors à plus de 7,2 millions de dollars à l’époque.

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La naissance d’un empire

« Il vaut bien mieux acheter une entreprise extraordinaire à un prix ordinaire qu’une entreprise ordinaire à un prix extraordinaire. »[3] Warren Buffett

hqdefaultLe modèle de valorisation de Graham conduit Warren Buffett à investir dans l’entreprise de textile Berkshire Hathaway dont il avait identifié le fort potentiel en dépit de sa faible cote. Il commence ainsi l’acquisition agressive des parts de l’entreprise via son partenariat en 1960 jusqu’à prendre le contrôle de la compagnie en 1967[4]. En dépit du succès de Buffett Partnerships Ltd (avec un rendement annuel de 29.5%), son fondateur liquide ses positions et dissout la société en 1969 pour se consacrer pleinement à la gestion de Berkshire Hathaway dont il entreprend la diversification. Autre moment fort de la vie de Buffett, cette décision marque alors le début d’un incroyable succès. Cette diversification de l’activité commence en 1967 puis se poursuit jusqu’à nos jours par l’acquisition de parts d’entreprises dans les secteur de l’assurance (Geico), des médias (Washington Post), de la banque, de l’énergie (MidAmerican Energy), de la communication, de la réassurance (General Re), de l’aérospatial (Precision Castparts), des boissons gazeuses (Coca-Cola), de l’informatique (IBM), de la restauration, des chemins de fer (BNSF), des bijoux de luxe etc. La compagnie devient ainsi l’immense conglomérat que nous connaissons aujourd’hui. En 2015, Berkshire est valorisée à plus de 354 milliards de dollars soit un rendement annuel moyen de 21,6% depuis sa reprise en main par Buffett[5] et cela en dépit des crises financières.

 

Les plus gros deals de Warren Buffett

Voici quelques deals de Berkshire Hathaway qui ont marqué l’histoire des marchés, Buffet accorde une importance particulière à la grande diversité des investissements dans l’activité du groupe :

  • Precision Castparts (37 milliards de dollars[6] en 2015, en cours)

Entreprise d’usinage de pièces métalliques pour le domaine de l’aérospatial, l’aviation, les turbines industrielles et des prothèses médicales.

 

  • Burlington Norther Santa Fe Corp (35,95 milliards de dollars en 2009)

Compagnie de chemin de fer américaine.

 

  • J.Heinz (27,5 milliards de dollars en 2013)

Multinationale agroalimentaire qui fabrique des sauces, des plats préparés et de la nourriture infantile.

 

  • General Re Corp. (16,15 milliards de dollars en 1998)

Société de réassurance dans les domaines dommage/responsabilité civile et vie/santé.

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Une réussite professionnelle reposant sur une vision de long terme de l’économie

« [Warren Buffett fait preuve] d’une patience presque surhumaine.»[7] Charlie Munger

La réussite financière de Warren Buffett depuis plus d’un demi-siècle doit bien moins au hasard des marchés qu’à l’application minutieuse des principes et valeurs propres à l’investisseur.

« Achetez uniquement ce que vous serez parfaitement content de posséder si le marché s’effondre pendant dix ans.»[8] Warren Buffett

0604_wealth-wizard-warren-buffet_650x455L’investissement de long terme est la clef du succès de Buffett. Sa stratégie d’investissement est largement inspirée de la théorie de Benjamin Graham selon laquelle l’investisseur intelligent acquiert les parts d’une entreprise cotée en deçà de sa valeur intrinsèque pour les posséder jusqu’à ce que le marché adopte un juste prix. Ainsi, la stratégie de Buffett consiste principalement dans l’identification et l’acquisition bon marché d’entreprises à fort potentiel. Cette valorisation est méthodique et rationnelle à l’image de l’investisseur. Une telle entreprise se doit d’être en mesure d’encaisser les bonnes comme les mauvaises périodes économiques, aussi certains avantages concurrentiels comme un nom de marque important sont valorisés. A titre d’exemple, Coca-Cola ou Heinz qui surperformeront en période de crise du fait de la résonnance médiatique du nom de ses marques. D’autre part, la valorisation d’une telle entreprise dépend de son apport au conglomérat Berkshire Hathaway en termes de synergie, selon les principes usuels du M&A. Cette philosophie du long terme se retrouve dans le type d’entreprises recherchées par Buffett, ce dernier considère uniquement les entreprises cotées depuis plus de 10 ans et dont il comprend parfaitement le fonctionnement. Ce dernier précepte l’a longtemps dissuadé d’investir dans le secteur des nouvelles technologies jusqu’à l’acquisition de Precision Castparts annoncée cet été. Une fois la perle rare identifiée, l’acquisition commence avec dans de nombreux cas un rachat total de l’entreprise par Berkshire toujours en accord avec cette logique d’un engagement durable.

logo Berkshire-Hathaway

L’importance des valeurs humaines

« Quand vous recrutez, recherchez trois qualités : l’intelligence, l’énergie et l’intégrité. S’ils n’ont pas la dernière, ne vous préoccupez pas des deux premières.»[9] Warren Buffett

La réussite pérenne de l’empire de Buffett repose en grande partie sur sa capacité à s’entourer d’excellents associés. Ainsi, Buffett accorde une place certaine à l’intégrité de ses collaborateurs et aux dirigeants des entreprises dans lesquelles son groupe investit. En effet, l’acquisition en cours de Precision Castparts énoncée plus haut n’a été annoncée qu’après que Warren Buffett ait eu la confirmation de la part du CEO de Precision Castparts que ce dernier resterait en fonction une fois le deal réalisé. Cette dynamique s’applique également à ses associés, parmi lesquels Charlie Munger, actuel vice-président de Berkshire Hathaway et ami de longue date de Buffett dont ce dernier reconnait l’extrême dévotion au travail. L’importance de cette relation humaine contribue fortement à la cohésion de son empire industriel.

 

L’homme philanthrope

« Plus vous donnez d’amour et plus vous en recevez. »[10] Warren Buffett

Quand un collégien étudiant en Géorgie a interrogé Buffett sur ses plus grands succès et plus grands échecs, ce dernier a répondu que le succès d’une vie se mesure à l’amour qui vous est donné par votre entourage. Grand philanthrope, Warren Buffett a fait don de plus de 2,8 milliards de dollars à la fondation Bill et Melinda Gates. De plus, 85% de sa fortune sera versée à des œuvres caritatives à sa mort. En qualité d’administrateur, il participe à l’élaboration de la vision de la fondation et des stratégies visant à éliminer les inégalités dans le monde.

 

Warren Buffett : un modèle toujours énoncé et moins souvent suivi

warren-buffett-at-white-house-with-obamaFigure du rêve américain, la popularité du businessman a cru à l’image des valeurs nobles qu’il incarne. Il est cependant primordial de ne pas dissocier l’image et le succès de Buffett des valeurs sur lesquelles ce succès repose : l’homme a beau être loué, son modèle d’investissement reste peu reproduit. L’image de l’investissement mesuré de long terme par opposition aux dérives spéculatives du système bancaire fait de Buffett un exemple pourtant rarement suivi. Comme le soulignait le Financial Times en mars 2015[11], le fonctionnement de Berkshire Hathaway reste peu imité en dépit des performances impressionnantes de l’entreprise. La patience, l’engagement de long terme et l’intégrité semblent des qualités encore peu reconnues dans le milieu de l’investissement en dépit de la formidable leçon de vie donnée par Warren Buffett à la finance de court terme.

 

Matthieu Martal, étudiant ENSAE-ESSEC et Contributeur du blog AlumnEye

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[1] “Rule n°1: Never lose money. Rule n°2: Never forget rule n°1.”
[2] “Price is what you pay. Value is what you get.”
[3] “It’s far better to buy a wonderful company at a fair price than a fair company at a wonderful price.”
[4] Buffett Partnerships Ltd contrôle 59.5% des parts de Berkshire Hathaway en 1967
[5] Source : Berkshire Golden Anniversary Letter to Shareholders
[6] Source : Financial Times 1e septembre 2015. Le deal est en cours, aussi le montant indiqué est indicatif.
[7] “[Warren Buffett shows] an almost inhuman patience.”
[8] “Only buy something that you’d be perfectly happy to hold if the market shut down for 10 years.”
[9] “Look for 3 things in a person: intelligence, energy and integrity. If they don’t have the last one, don’t even bother with the first two.”
[10] “The more you give love away, the more you get.”
[11]FT comments “How to follow in Warren Buffett’s big footsteps”. 4 mars 2015