Guillaume Piard est aux antipodes des clichés habituels sur les banquiers. Ancien structureur ayant débuté sa carrière chez Lehman, sa passion pour la finance et les projets ayant du sens lui ont permis de constamment aller de l’avant, jusqu’à créer Nalo, une fintech spécialisée dans la gestion d’épargne. Dans cette interview il couvre un large spectre de sujets en nous parlant notamment de son parcours, de conseils pour devenir Structureur, de sa remise en question professionnelle qu’a entraîné la chute  de Lehman Brothers et de la naissance, donc, de Nalo.

 

Bonjour Guillaume, merci d’avoir accepté de répondre à nos questions.

Pouvez-vous décrire votre parcours ?

J’ai fait un bac S en France puis je suis directement parti faire un Master en Physique en Angleterre à Imperial College London. La recherche ne m’intéressait pas spécialement car je ne me voyais pas passer des années dans des laboratoires ; je voulais créer des choses. J’ai alors été recruté en finance, un domaine qui m’intéressait particulièrement car c’est un monde en perpétuel changement. J’ai travaillé pendant 10 ans en salle des marchés à Londres et à Paris sur différents métiers aussi bien techniques que commerciaux ou de conseil. Au bout de 10 ans de carrière et après la crise de 2008, j’en ai eu assez de ce milieu donc j’ai commencé à réfléchir à ma reconversion. C’est à ce moment-là que j’ai décidé de partir faire un MBA à Chicago et j’y ai découvert un nouveau monde qui m’a immédiatement passionné : celui des fintechs. Ce fut une réelle révélation dans ma vie professionnelle. Pendant mon MBA j’ai préparé un business plan puis je suis rentré en France pour me lancer et créer ma propre fintech Nalo.

 

Vous avez travaillé en Structuring une bonne partie de votre carrière, pouvez-vous expliquer à nos lecteurs le métier de Structureur ?

Le Structuring est un métier que j’ai trouvé absolument passionnant car il m’a apporté une très grande stimulation intellectuelle. Le Structureur est un petit peu le chef d’orchestre d’un métier assez compliqué : celui de fabriquer des produits financiers sur-mesure pour des clients institutionnels. Le Structureur doit avoir non seulement des qualités de communication pour être capable de parler le langage de tout un tas de personnes (avocats, vendeurs, traders, etc.) mais aussi des qualités techniques pour optimiser ce sur quoi ces personnes travaillent : le marketing, les contraintes réglementaires et juridiques, le risque, etc. Par exemple, le Structureur doit être suffisamment expert pour comprendre l’impact des contraintes juridiques sur les prix et le risque pour ensuite inventer des structures financières répondant à un besoin précis (externalisation de risque d’un bilan, gestion complexe de trésorerie, financement d’actifs illiquides, structure d’investissement avec des profils de rendements complexes, …).

L’image du chef d’orchestre m’est venue car la particularité d’un Structureur est d’être très rigoureux, organisé et communiquant afin de s’assurer que les choses se font en temps et en heure malgré les fluctuations du marché et les envies des clients.

Les deals sur lesquels travaillent un Structureur sont plus ou moins longs : d’un jour à plusieurs mois. Pour ma part, le projet le plus long sur lequel j’ai travaillé a duré 15 mois.

 

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Pourquoi ce métier ne recrute quasiment que des étudiants avec un background très quantitatif ?

Pour commencer, je voudrais rappeler qu’un Structureur n’est pas un Quant i.e. qu’il ne rédige pas nécessairement des algorithmes mathématiques (bien que j’ai eu l’occasion de travailler sur des outils d’optimisation). Le rôle premier d’un Structureur n’est pas de plonger dans des théories mathématiques mais de les comprendre et de les traduire en béotien. C’est ce besoin de compréhension très technique qui pousse, selon moi, à recruter des étudiants avec un background très quantitatif. Quand on est Structureur, tous les domaines deviennent très techniques et il faut savoir en faire une synthèse et une optimisation. Je me souviens encore du plaisir que j’ai eu à travailler dans le détail juridique, sur les contraintes de portefeuille, sur la complexité de la comptabilité de grandes institutions bancaires, … afin d’en sortir des produits carrés d’un point de vue juridique et répondant aux contraintes des clients.

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Vous étiez Senior Associate chez Lehman Brothers en 2008, pouvez-vous nous raconter l’ambiance à l’époque ?

Je n’ai pas trop envie de rentrer dans le détail de cette période car la crise de 2008 reste un sujet très sensible. La crise des Subprimes a été pour moi le début d’un profond questionnement personnel sur l’utilité et le sens du métier que j’exerçais. J’ai toujours eu un intérêt très prononcé pour les Sciences car elles me permettent de comprendre le monde qui m’entoure et trouver des solutions pour améliorer ce monde. Après 2008, je ne savais plus pourquoi je me levais le matin, pourquoi j’allais au travail. Quand j’ai découvert l’univers des fintechs, je n’ai pas pu dormir pendant 2 jours tellement j’ai trouvé ça ingénieux et grandiose. En 2008, la machine s’est emballée mais la finance reste le moteur de l’économie. Il ne faut donc pas la voir seulement sous un prisme obscur et néfaste. Il faut continuer à construire le post-2008 à travers le développement d’une finance raisonnée. Et je pense que c’est cet objectif que poursuivent les fintechs qui naissent aujourd’hui d’une nouvelle génération influencée par l’urgence durable. Les fintechs cherchent à rendre la finance utile.

 

Vous avez ensuite travaillé chez Nomura, quelles étaient les grandes différences par rapport à Lehman ?

Il faut savoir que Nomura a repris toutes les activités européennes de Lehman Brothers après sa faillite en 2008. Ce qui m’a le plus frappé c’est la grande différence de culture d’entreprise entre Nomura, hégémonie japonaise et Lehman, fleuron des banques new-yorkaises. Même si j’ai travaillé avec les mêmes collègues dans ces deux banques, je sentais que la direction et l’influence générale des autres collaborateurs étaient différentes chez Nomura. Toutefois, ces entités sont difficilement comparables car j’ai travaillé chez Lehman Brothers au moment où les marchés financiers étaient les plus florissants alors que j’ai été banquier chez Nomura dans une atmosphère post-crise de vigilance réglementaire accrue, où l’ambiance était donc difficile, pesante et stressante.

 

On dit souvent qu’une carrière en finance de marché rend très difficile une reconversion (vs par exemple le M&A). Pensez-vous que cela soit vrai ? Quelles sont les alternatives, pour un sales, trader ou structureur, à part monter en séniorité sur son desk ou monter sa boite ?

Après la crise de 2008, peu de mes collaborateurs se sont vraiment reconvertis. Il me semble que le plus gros danger en salle de marché est de se laisser aller à une routine, sans challenges intellectuels, où on finit par faire les choses plus par automatisme que par réflexion. La salle des marchés peut vite devenir un milieu pauvre d’un point de vue intellectuel car on est tellement obnubilé par les deals et le profit que nous oublions d’ouvrir nos esprits à des passions extérieures (théâtre, musique, etc.). Et de mon point de vue, pour se recycler professionnellement il faut savoir se montrer capable de gérer un spectre élargi de situations, d’être de plus en plus ingénieux et à l’écoute, autrement dit de montrer une adaptabilité, ce qui s’acquière par la plasticité de l’esprit. Il est donc indispensable de se nourrir régulièrement de passions extérieures, et sans cesse de se sortir de sa zone de confort professionnelle. L’une des forces des ingénieurs est d’avoir cette curiosité intellectuelle pour trouver des nouvelles solutions à des problèmes et si on tombe dans un schéma robotique de routine intellectuelle alors c’est foutu.

 

Vous avez fait un MBA à Chicago Booth. De nombreux étudiants nous demandent souvent pourquoi on fait un MBA, avez-vous un élément de réponse à leur apporter ?

A l’origine le MBA est un concept très américain pour chapoter les études américaines de façon solide après quelques années d’expérience professionnelle. En France, les études post-bac en école sont généralement plus poussées sur la théorie, et intègrent directement un cursus Master 1 et/ou Master 2. Le réflexe peut-être de se dire que d’autres études ne seront jamais nécessaires. C’est une erreur d’analyse. Le MBA est justement une opportunité que toute personne devrait saisir pour capitaliser sur ses premières années d’expérience professionnelle, et catalyser sa progression de carrière. De nombreux français sont dubitatifs : pourquoi faire un MBA alors que je sors d’une Grande Ecole de Commerce ? Qu’est-ce-que cela va réellement m’apporter ?  Il faut comprendre que le MBA ne se fait pas en sortie d’études mais après cinq à dix années d’expérience professionnelle afin de faire le point sur sa carrière et d’élargir ses horizons futurs. Le MBA est l’occasion de sortir la tête de l’eau et de s’offrir 2 ans de vacances intellectuelles.

Quand je suis parti de Nomura pour faire un MBA à Chicago, des collègues se moquaient gentiment de moi en disant que j’avais assez d’ancienneté pour monter en hiérarchie, que c’était trop tard pour changer de voie, et que je perdrais mon temps. Pourtant j’y suis allé et cela a été un épanouissement personnel et professionnel que je ne regretterai jamais.

Ce qui vaut de l’or en MBA c’est notamment le fait de rencontrer des personnes venant de tous horizons : médecin, créateur d’un foodtruck, trader à Wall Street, militaire, … et de partager nos expériences ensemble. Un MBA permet de voir le monde sous différents prismes, d’acquérir de nouvelles compétences, d’apprendre à mieux se connaître et de découvrir des possibilité futures auxquelles on ne pensait même pas. Je pense que si le financement d’un MBA n’était pas un problème alors toute personne devrait en faire un tous les 10 ans.

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Comment vous est venue l’idée de créer Nalo ? Pouvez-vous nous en dire plus sur votre startup ?

Je suis parti de mon propre besoin d’un service financier simple, personnalisé, automatisé, pas chronophage pour créer Nalo. A l’époque, je ne trouvais aucun service satisfaisant pour optimiser mon épargne. Alors j’ai décidé de modéliser ma propre « usine à gaz » pour gérer mon épargne de manière simple et automatique. C’était à titre purement personnel. Puis, pendant mon MBA aux US, j’ai découvert le monde de la fintech, et plus particulièrement des robo-advisors (qui avait quelques années d’avance là-bas) et cela a été une révélation : la France avait besoin de ce genre de services. De plus, les français s’inquiètent de leur avenir financier et cherchent un moyen optimal de gérer leur épargne en fonction de leurs différents projets de vie. De ces deux réflexions a été créée Nalo, une fintech qui accompagne les particuliers sur la gestion de leur patrimoine de manière simple, sur-mesure et peu onéreuse. Finalement, l’objectif de Nalo est de faire mieux que le banquier.

 

Qu’est-ce qui change concrètement lorsqu’on devient patron ?

Pour citer un de mes employés « quand on devient patron, nos actes et nos paroles ont un impact direct sur la vie des gens ». Les patrons ont une grande responsabilité humaine. Ils s’occupent non seulement des projets de la boîte (comme tout salarié) mais aussi du bien-être des personnes. Ça, c’est véritablement une responsabilité qui me donne envie de me lever le matin. Humblement, j’ai encore des progrès à faire ! Ce n’est pas simple de composer entre les besoins de la boite et les différentes sensibilités de ses équipes. Etre dirigeant exige des compétences toutes autres que celles d’un salarié opérationnel : l’écoute et l’empathie sont des fibres indispensables à travailler.

 

Avez-vous des conseils pour nos lecteurs souhaitant s’orienter vers une carrière en Structuring ?

Il me semble que les qualités requises pour travailler en Structuring sont une attention très poussée aux détails, alliée d’une grande capacité d’écoute et de communication (synthèse, traduction des besoins, diplomatie) car c’est un métier très relationnel. Il faut également aimer l’optimisation et avoir plaisir à creuser des sujets dans le détail pour y trouver des failles donc des possibilités d’amélioration. Il me paraît plus simple de sortir d’une école d’ingénieur que de commerce pour devenir Structureur car c’est un métier très technique et ce qui anime le Structureur n’est pas forcément ce qui anime le Sales.

 

 

Ariane Guillaume, étudiante à l’EDHEC Business School et Responsable Editorial du blog AlumnEye