Dans un précédent article (LA4Lire aussi : IPOs, l’alignement des planètes), nous avons étudié les raisons du regain du marché des IPOs lors de ce premier trimestre de 2017. Nous avons notamment vu que les incertitudes politiques en Europe et aux Etats-Unis se tarissaient, que le climat économique s’améliorait, que les régulateurs financiers se montraient favorables aux IPOs et que cette bonne tenue du marché était garantie par des opérations phares, telle l’introduction de Snap Inc. Pour compléter et conclure cette analyse du marché des IPOs, nous allons maintenant évoquer les innovations observées sur le marché des IPOs et les « hot issues » du moment.

 

Des techniques de vente innovantes

Pour se démarquer dans ce secteur concurrentiel où la visibilité compte pour la réussite d’une IPO, certaines sociétés n’hésitent pas à casser les codes de Wall Street et des autres places financières pour mettre en avant leur opération. YayYo, une start-up de comparaison de services de covoiturage a décidé d’adopter un marketing disruptif. Cette société a entrepris un marketing de son IPO à coups de spots publicitaires diffusés en parallèle sur CNBC – chaîne de télévision américaine spécialiste des marchés financiers – et sur la chaine grand public Fox News. On y retrouve une communication agressive et un call-to-action explicite : « Vous pouvez gagner des millions, comme les premiers investisseurs de Uber ». Cette campagne de publicité est clairement destinée aux investisseurs « bon père de famille ». L’apparition à l’écran de John O’Hurley – qui incarnait le personnage J. Peterman dans la série Seinfeld dans la décennie 90 – vient confirmer ce ciblage.

Ces techniques de communication posent des questions d’éthique et d’objectivité car la société YayYo n’a pas encore développé son produit fini. Pis, le CEO, Ramy El-Batrawi, est connu pour avoir travaillé avec des négociants d’armes tel Adnan Khashoggi (présumé impliqué dans le scandale Iran-Contra), et est accusé de manipulation de cours dans les sociétés cotées où il travaillait. De plus, alors que YayYo se vante d’avoir décroché des partenariats avec les leaders du secteur, Lyft a assuré avoir rejeté son offre et refuse de communiquer les données de ses utilisateurs, pourtant nécessaires au fonctionnement de la future application de YayYo. Pour finir, rappelons que la startup présente un risque d’illiquidité : elle ne compte que $160 000 de cash pour faire fonctionner son cycle d’exploitation. Un scénario similaire semble peu probable dans l’hexagone, à savoir un dossier compliqué d’IPO, médiatisé à coup de publicités à des heures de grande écoute sur des chaines de télévision grand public. C’est bien connu, les américains ont toujours été d’excellents vendeurs.

 

Un service connecté pour les investisseurs

Autre innovation, le service PRE-IPO, lancé par Invest Securities, propose aux particuliers de participer au tour de financement des PME en croissance quelques mois avant leur IPO, activité historiquement réservée aux investisseurs professionnels. Ainsi, les investisseurs particuliers pourront, avec un ticket minimal de 2 500€, investir directement via une plateforme de crowdequity dans le capital de ces entreprises. Ils pourront aussi participer à un « pool » d’investisseurs, constitué d’autres particuliers et d’investisseurs professionnels, pour prendre des participations dans une entreprise avant son introduction. Important à savoir, ces opérations bénéficient d’exonérations d’imposition et d’une exonération d’ISF via la dispositif TEPA.

 

De nouvelles clauses contractuelles

Les innovations sont aussi présentes dans la structure même de l’opération d’introduction en Bourse. Par exemple, certaines IPOs ont recouru à des « cornerstone investors » ou investisseurs piliers. Pratique commune et règlementée en Asie, elle est peu habituelle en Europe et est souvent le lot des petites introductions, du secteur des Biotechs par exemple. Il s’agit pour l’entreprise de garantir la cession d’une partie de son capital à certains investisseurs, avant même l’IPO, lors du « book building » ou établissement du livre d’ordres. Ainsi, ces investisseurs privilégiés bénéficient d’un prix de souscription préférentiel et échappent aux affres de la concurrence. En effet, lors d’IPOs « oversubscribed », les titres de la société sont très convoités car mécaniquement, quand la demande est supérieure à l’offre, les prix s’envolent. Néanmoins, ces investisseurs subissent le risque que l’IPO ne devienne pas effective. Selon le site d’information Dealogic, la part des « cornerstone investors » représentait 58% des montants levés en Chine en 2016 lors d’IPOs. En France, Showroomprivé (2015), Spie (2015), ou encore la Biotech Inventiva (2017) ont eu recours à ces pratiques.

Par ailleurs, certaines sociétés n’hésitent pas à proposer des conditions du moins inhabituelles lors de leur IPO. Ainsi, lors de l’introduction en Bourse de Snap Inc., ils ont consenti à renoncer à tout droit de vote pour se constituer actionnaire de la société. C’est ainsi qu’E. Spiegel et B. Murphy ont conservé le contrôle sur leur société (70% des droits de vote), tout en perdant la majorité au capital (45%). Google avait aussi en son temps proposé plusieurs classes d’actions, chacune possédant des droits différents. Cette pratique ne semble pas séduire les investisseurs européens, pour l’instant.

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Les « hot issues » à venir

Les spéculations vont bon train après la publication des données positives des IPOs pour ce premier trimestre de 2017. Le marché semble être dans l’attente de l’introduction de licornes afin de confirmer la bonne tenue du marché des IPOs. Ainsi, ci-après un tableau récapitulatif qui recense les rumeurs de marché. L’introduction de Saudi Aramco ne fait pas partie de cette liste, car son introduction n’est plus une rumeur et semble déjà actée.

 

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Ici, il est intéressant de noter que de nombreuses sociétés présentes dans cette liste ne sont pas encore profitables, ce qui remet en cause la viabilité de leur Business Model (Uber, Airbnb, etc.). Il convient donc aux investisseurs de ne pas succomber à l’attractivité prétendue de ces dossiers. En effet, les investisseurs ayant manqué certaines introductions capitales, telles celles des GAFA, s’avèrent moins prudents. De peur de voir l’histoire se répéter, ils sont enclins à investir dans des entreprises moins stables, à la visibilité financière inférieure. Rappelons tout de même qu’il existe des gabegies à la Twitter, dont l’action, au 12/09/2017, décote de plus 30% par rapport à son prix d’introduction.

 

Concluons en réaffirmant que le marché des IPOs est animé par des impulsions structurelles et conjoncturelles très positives, que les quelques réserves émises peinent à noircir. Ainsi, le marché des IPOs profite largement d’un effet report suite aux événements géopolitiques de 2016, d’un regain des fondamentaux économiques mondiaux, d’un contexte réglementaire faisant montre d’un intérêt manifeste au développement des opérations d’introduction en Bourse, ainsi que de la vigueur des marchés financiers et des opérations de fusions-acquisitions. Néanmoins, pour ne pas retomber dans les méandres spéculatifs des années pré-crises, il est indispensable que les investisseurs institutionnels et particuliers conservent leur esprit critique lors de ces opérations d’introduction et restent cohérents avec leurs objectifs d’investissement et leur profil de risque. N’oublions pas que les IPOs sont pétries de conflits d’intérêts entre la volonté de l’entreprise d’avoir une valorisation la plus élevée possible, celle de l’« underwritter » d’introduire le plus de sociétés possibles tout en percevant un maximum de commissions, le régulateur soumis à des pressions lobbyistes et motivé par des objectifs d’attractivité des entreprises ainsi que de protection des investisseurs et enfin des effets de mode toujours dévastateurs. Après une revue exhaustive du Business Model, des motivations des parties prenantes et des interactions entre elles, du secteur économique et de l’activité, les IPOs peuvent représenter des dossiers d’investissement très intéressants et retourner aux investisseurs des taux de croissance à deux, voire trois chiffres. Le tout est d’observer un des préceptes fondamentaux du bon investisseur, énoncé par W. Buffet : « Never invest in a business you can’t understand ».

 

Migwel Perrin, étudiant à Audencia et contributeur du blog AlumnEye