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Les investisseurs chinois tirent le marché du M&A vers des sommets

Au 1er trimestre 2016, l’appétit de la Chine pour des actifs étrangers a propulsé la valeur totale des transactions M&A transfrontalières à 311 Mds$. Environ 30% de ce montant implique des acheteurs chinois, représentant 101 Mds$. Un niveau historique qui nous fait déjà oublier le record de 109 Mds$ réalisé sur la totalité de l’année 2015.

020150819143307Le conglomérat de chimie China National Chemical Corporation (ChemChina), l’assureur Anyang, ou encore le conglomérat Dalian Wanda, illustrent parfaitement cette tendance de début d’année. En effet, pendant que Dalian Wanda s’est engagé dans l’acquisition de la société de production américaine Legendary Entertainment pour 3,5 Mds$, Anbang a mis 6,5 Mds$ sur la table pour reprendre le groupe Strategic Hotels & Resorts à Blackstone, et ça seulement quelques semaines après s’être offert le légendaire hôtel Waldorf Astoria de New York pour 2 Mds$. Cependant, la transaction la plus marquante de ce premier trimestre 2016 restera de loin l’acquisition de l’agrochimiste suisse Syngenta par le groupe public chinois ChemChina pour 43,8 Mds$. Avec cette opération, ChemChina signe la plus grosse opération de tous les temps d’une entreprise chinoise à l’étranger.

 

De nombreux éléments à l’origine de cette fièvre acheteuse

Le premier, et non des moindres, est l’influence de Pékin et du parti communiste. Les leaders politiques du pays incitent les entreprises chinoises à acquérir des références internationales, afin de se repositionner sur des segments à plus forte valeur ajoutée. Cette tendance peut s’illustrer par le soutien des régulateurs, notamment la National Development and Reform Comission (NRDC), qui autorise désormais que de multiples acheteurs chinois participent à un même processus d’enchères afin de concourir pour l’acquisition d’une seule et même cible.783f90e8 Les autorités interdisaient auparavant cette situation afin d’éviter que des entreprises d’Etat aient à payer le prix fort après que deux entreprises chinoises furent entrées en concurrence. Cette réforme a donné lieu à une situation assez inédite où trois groupes chinois se battaient pour la même cible. En effet, en novembre dernier, nous avons trouvé Beijing Enterprises Water Group, Beijing Capital Group et China Everbright International tous trois enchérissant pour l’acquisition de EEW, spécialiste allemand de la gestion des déchets.

Le second facteur est lié à la politique monétaire. La banque centrale chinoise a baissé 6 fois consécutivement ses principaux taux d’intérêts sur ces deux dernières années. Le taux de prêt à un an est par exemple passé d’environ 6% à 4,35%, réduisant considérablement le coût de financement des entreprises chinoises.

Ces deux facteurs apparaissent dans un contexte de ralentissement économique. En effet, un banquier d’affaires londonien confirmait récemment cette tendance et affirmait au Financial Times le mois dernier que les investisseurs chinois étaient à la recherche de n’importe quelles opportunités, pourvu qu’elles soient source de « cash flow ». Une illustration parfaite de l’état d’esprit actuel des entreprises chinoises.

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Acquisition de Starwood : une bataille boursière menée par l’assureur Anbang au dénouement inattendu

Un autre fait marquant de ces dernières semaines a une nouvelle fois confirmé la détermination des groupes chinois à acquérir des actifs hors de leur territoire : l’agressivité d’Anbang dans le processus de vente du groupe Starwood. Mais cet évènement a également mis en avant les limites de cette politique. Retour sur cette récente bataille boursièrpic-d6452290c07b568c594a6132e71cc364e entre le consortium chinois mené par Anbang et Mariott International pour l’acquisition de Starwood, une surenchère qui aura coûté au groupe Mariott International un peu plus de 1,4 Mds$.

Le groupe Mariott International avait annoncé en fin d’année 2015 son mariage avec le groupe Starwood pour 12,2 Mds$ (en numéraire et en actions). Avec cette acquisition, Mariott International mettait la main sur un portefeuille d’enseignes prestigieuses telles que le Sheraton, le W ou encore le St. Régis, propulsant ainsi le groupe à la place de numéro 1 du marché de l’hôtellerie devant le groupe Hilton. Une opération qui s’est avérée bien plus compliquée qu’il n’y paraît pour le groupe Mariott avec l’apparition d’un trouble fait nommé Anbang.

Anbang est l’une des entreprises chinoises les plus connectées politiquement. En effet, Wu Xiaohui, le fondateur d’Anbang, est marié à la petite fille de Deng Xiaoping, un ancien leader du parti communiste chinois. En 2004, Wu Xiaohui a créé ce petit assureur automobile appelé Anbang qui est aujourd’hui devenu un conglomérat gérant plus de 125 Mds$ d’actifs. Cette ascension nous rappelle un certain Warren Buffet qui a transformé un assureur en un fonds d’investissement à la capitalisation boursière de 350 Mds$. Anbang est donc passé en quelque mois du statut d’assureur chinois quasiment inconnu, à celui d’un des acheteurs les plus agressifs sur le marché du M&A mondial depuis 2014 (acquisition de l’hôtel Waldorf Astoria pour 2 Mds$, 1,6 Mds$ payés pour l’assureur américain Fidelity and Guaranty Life ainsi que 6,5 Mds$ pour le groupe Strategic Hotels & Resorts, pour n’en citer que 3).

Anbang a une tactique bien précise lorsqu’il s’agit d’acquisitions : mettre en péril des accords déjà trouvés, comme cela a été le cas avec l’accord entre Mariott et Starwood, avec une surenchère totalement en numéraire. Anbang a donc fait une offre à 13 Mds$ entièrement en cash obligeant Mariott à améliorer son offre à hauteur de 13,6 Mds$, 1,4 Mds$ de plus que la précédente. Mais Anbang a surenchéri une nouvelle fois avec une offre à 14 Mds$. Le problème est que certains doutes ont été émis quant à la viabilité de l’offre d’Anbang, notamment vis-à-vis des régulateurs chinois. La « China Insurance Regulatory Commission » a alors mis en avant le fait qu’un assureur chinois ne doit pas investir plus de 15% de la valeur totale de ses actifs à l’étranger, ce qui serait éventuellement le cas pour Anbang. 10 jours après cette annonce, Anbang se retire et laisse le champ libre à Mariott International.

 

Un retrait aux conséquences néfastes pour les acquéreurs chinois

Les acheteurs chinois souffraient déjà d’un déficit de confiance vis-à-vis des vendeurs souvent dû à un manque de transparence, un tel épisode ne va faire que dégrader une nouvelle fois ce capital confiance si précieux pour conclure une transaction. Cela ne peut qu’augmenter le profil de risque des acheteurs chinois et les vendeurs vont donc exiger une plus grosse prime de leur part. En effet, les vendeurs occidentaux émettent des inquiétudes quant à la capacité des chinois à clôturer une transaction. Une chose est sûre, les vendeurs ne vont pas cesser de si tôt d’exiger des offres totalement en cash de la part des acheteurs chinois afin de compenser le fait que ces entreprises n’aient pas un niveau suffisant d’actifs ou que ceux-là ne soient pas de qualité satisfaisante.

Néanmoins, ces offres en numéraire font également le jeu des acheteurs chinois, une offre en actions obligerait les entreprises chinoises à dévoiler de plus amples informations sur leur actionnariat ainsi que sur leurs actifs. Finalement, tout va pour le mieux, sauf pour le groupe Mariott qui vient de perdre 1,4 Mds$ avec l’intervention d’Anbang.

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Des régulations lourdes pour les acquéreurs occidentaux

BNNWGT China Shanghai town city blocks of flats high-rise buildings city skyline Huangpu river flow Pudong evening travel travelingContrairement à ce que l’on pourrait penser, les compagnies étatiques (ou State Owned Enterprises) sont assez discrètes sur la scène M&A, la majorité des deals ayant été réalisé par des entreprises privées. En effet, les SOE n’ont été impliquées que dans 80 acquisitions de compagnies étrangères (+3% par rapport à 2014) contre 207 (+43% par rapport à 2014) pour les entreprises privées, en excluant les fonds de private equity et de venture capital. Ces derniers enregistrent d’ailleurs la plus forte progression entre 2014 et 2015 : augmentation de 169% pour le private equity (79% en volume) et 227% pour les fonds de venture capital (105% en volume). Les destinations préférées des acquisitions à l’étranger, que ce soit des acheteurs financiers, entreprises privées ou entreprises publiques, sont de loin l’Amérique du Nord et l’Europe, avec respectivement 113 et 110 deals. L’Asie est également à l’honneur (107 deals), sous l’impulsion du plan One Belt One Road. Ce plan a été mis en place en 2013 par la Chine dans le but d’améliorer les relations commerciales entre les différents Etats d’Eurasie.

À l’inverse, les entreprises occidentales se plaignent souvent des conditions de marchés en Chine : droit opaque, lourdeur administrative … Comme on peut le voir dans ce tableau d’un rapport du BCG (M&A in China : Getting Deals Done, Making Them Work), une entreprise occidentale souhaitant acquérir une entreprise chinoise devra faire face à de nombreuses administrations.

Avoir l’approbation du Ministère du Commerce est probablement la partie la plus délicate du processus. Si par exemple une transaction implique une marque connue, le Ministère du Commerce peut demander l’avis des acteurs du secteur et une forte opposition de ces derniers peut suffire à annuler le deal. Ce ministère va également prendre en considération l’opinion publique via les médias et internet. Par le passé, le Ministère du Commerce a annulé certains deals suite à des plaintes des concurrents et des consommateurs.

Aux yeux du Boston Consulting Group, les entreprises occidentales ne doivent pas négliger les autorités locales et doivent convaincre ces dernières du bien-fondé du deal. Le cabinet de conseil en stratégie cite l’exemple de la transaction entre Nestlé et l’entreprise alimentaire chinoise Yinlu. Dix jours après avoir accepté l’achat de ses parts par l’entreprise suisse, Yinlu a préparé un rapport destiné à rassurer les autorités locales : le siège de Yinlu resterait en Chine, l’usine locale allait être agrandie et les différents types de café-instantané de Nestlé allaient passer sous le management chinois. Le rapport indiquait également une estimation des futurs revenus ainsi que le montant des impôts qu’allait pouvoir récupérer Xiamen, la ville où se situe le siège de Yinlu.

Le gouvernement tient également une liste d’entreprises connues et d’entreprises historiques, c’est-à-dire des entreprises avec des savoir-faire ou des produits ayant traversé les générations. Cette liste contient environ 1000 entreprises, parmi lesquelles Go Believe, une entreprise de baozi, et Quanjude, spécialisée dans le canard laqué de Pékin. Si une entreprise occidentale tente d’acquérir une entreprise possédant au moins une marque de ces deux listes, il est possible que le Ministère du Commerce impose des règles plus strictes et demande en plus l’approbation d’autres organismes, comme la Commission Nationale du Développement et de la Réforme. Cette dernière a d’ailleurs publié conjointement avec le Ministère du Commerce un guide destiné aux investisseurs étrangers. Il divise les industries en trois catégories : celles où les investissements sont encouragés, restreints ou interdits. Ainsi, un investissement de plus de 50 millions dans la deuxième catégorie nécessitera l’approbation du Ministère du Commerce alors que seules les transactions de plus de 300 millions dans la troisième catégorie nécessitent son accord. Rajouté à cela, les participations d’entreprises occidentales dans une entreprise chinoise sont limitées selon le secteur (25% dans les banques commerciales ou 50% dans les assurances par exemple) et nous pouvons comprendre pourquoi les entreprises occidentales se plaignent des conditions parfois obscures en Chine.

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Des différences culturelles non-négligeables

Un autre facteur qui explique l’échec des entreprises occidentales dans l’Empire du Milieu est la différence culturelle. Dans un rapport de Booz & Company, l’entreprise, rachetée depuis par PwC, évoque quelques différences entre la culture d’entreprise chinoise et occidentale. Alors que ces dernières préfèrent un contrôle décentralisé et une délégation du pouvoir appropriée, leurs homologues chinois ont tendance à être très hiérarchisés et préférer un pouvoir centralisé, où les autorités d’approbation sont représentées par une ou deux personnes clés. De même, dans une entreprise américaine ou européenne, un salarié pourra progresser selon sa performance, la progression de la carrière d’un employé d’une entreprise chinoise se fera à l’ancienneté. Lors des négociations pour tout ce qui concerne les achats et le sourcing, les occidentaux ont tendance à privilégier la transparence et des appels d’offres ouverts alors que les chinois ont recours aux fameux guanxi, considérés, à tort, comme une sorte d’obscur système de réseau et de relations.

GuanxiLe système des guanxi est plus complexe que cela. L’expression signifie littéralement « trouver la porte des relations humaines ». En Chine, la société est organisée sur un mode collectif et l’individu se définit selon l’appartenance à un groupe. Les guanxi rassurent donc les chinois dans le sens où ils savent qu’ils peuvent compter sur leur réseau en cas de problème. Les guanxi permettent également de dépasser les relations hiérarchiques, empruntées au confucianisme, ainsi que l’administration omniprésente et l’absence d’Etat de droit. Attention toutefois, ne pensez pas vous faire un réseau en Chine sans un minimum d’effort. La relation personnelle et humaine, et non uniquement professionnelle, est à la base des guanxi. Il faut donc passer du temps avec vos homologues chinois pour créer et entretenir des relations : diners, karaokés, cadeaux et même repas alcoolisés …

Il faut également noter que dans toutes ces acquisitions faites par les compagnies chinoises, aucune grande banque de Wall Street n’est présente en tant que conseillère. En effet, HSBC et China Citic Bank mènent la danse, suivis par CICC. Seule Bank of America Merrill Lynch est présente dans le top 5. La présence de banques chinoises est simple à expliquer. Elles connaissent mieux le régulateur local, qui permet un gain de temps lorsque l’approbation des autorités est requise. Les banquiers chinois sont plus nombreux et moins bien payés que leurs homologues de Wall Street, permettant aux banques de demander des honoraires moins élevés. Elles doivent cependant se concentrer sur des deals impliquant des entreprises moins connues puisqu’elles n’ont pas encore les relations nécessaires pour être au cœur des grands deals mondiaux. Mais à la vitesse où se développent les banques et les entreprises chinoises, qui peut dire combien de temps cela va durer?

 

Alexandre Benazzouz, étudiant à l’EM Lyon et contributeur du blog AlumnEye