Patrick Drahi, Franco-Israeli businessman, Executice Chairman of cable and mobile telecoms company Altice and founder of Numericable, poses prior to a news conference in Paris

Devenu en moins de deux ans la troisième fortune française derrière Bernard Arnault et Liliane Bettencourt, Patrick Drahi est un homme qui fait sensation dans la planète financière. Sa méthode suscite autant d’admiration que d’interrogations. Les acquisitions successives d’Altice dans les télécoms largement financées par la dette ont fait beaucoup de bruit.

Mais qui est Patrick Drahi et quelle est sa stratégie ? Celle-ci est-elle trop risquée ou tout simplement audacieuse mais raisonnée ? Cet article permettra à chacun de pouvoir commencer à se faire une opinion sur le « phénomène » Drahi et de mieux connaître l’un des principaux acteurs du marché français des fusions-acquisitions de ces deux dernières années.

 

Sa vie et ses moments-clés :

Né en 1963 à Casablanca (Maroc), Patrick Drahi est le fils de deux professeurs de mathématiques. Il rejoint la France à l’âge de 15 ans à Montpellier avant d’intégrer l’école Polytechnique en 1983 puis l’Ecole nationale supérieure des télécommunications. Il rejoint ensuite Philips à sa sortie de Télécom puis le Suédois Kinnevik. Avant de fonder Altice et de lancer sa première société dans le câble, Patrick Drahi avait créé en 1993 une société de conseil spécialisée dans les télécoms appelée CMA (Communications Media Associates).

Sa première société créée dans le câble en 1994 est Sud Cablevision qui sera rebaptisée Sud Câble Services. Basé dans le Sud de la France à cette époque, Patrick Drahi convainc Intercom à l’époque un des opérateurs américains les importants du câble détenu par la famille Rifkin d’investir dans sa société. Dès 1995, il lance sa deuxième société dénommée Médiaréseaux qui raccorde Marne-la-Vallée et dans laquelle il convainc un autre « câblo-opérateur » important, UPC, d’y investir. Il y conserve une participation minoritaire à moins de 5% du capital (1).

1999 est une année charnière pour Patrick Drahi car il quitte Sud Câble Services et part vivre à Genève – où il réside encore aujourd’hui – pour devenir responsable des activités européennes de UPC. UPC décide d’acquérir beaucoup de petits opérateurs et sous la houlette de Patrick Drahi réalise près de 330 millions d’euros de transactions auxquelles il faut ajouter 100 millions d’euros de reprises de dettes (2). Le groupe devient le numéro 4 français du câble et obtient une des deux fréquences nationales de boucle radio, alors une grande innovation et un avantage comparatif certain.

Mais l’aventure UPC se termine pour Patrick Drahi avec la faillite du groupe dans lequel il s’était au préalable délesté de ses participations. Avec l’explosion de la bulle Internet, le câble devient un secteur en crise dans lequel plus personne ne veut investir, sauf Patrick Drahi.

En 2001, il crée Altice, son fonds d’investissement qui va alors débuter la consolidation du câble en France. En quelques années, il rachète 99% du réseau câblé français grâce à une succession d’acquisitions financées par LBO. Pour rappel, une acquisition par LBO (Leverage Buy Out) consiste à acquérir une société cible en finançant cette croissance externe par l’endettement. Les futurs cash-flows générés par la cible doivent permettre de rembourser le remboursement de cette dette d’acquisition et ses intérêts. Sa première acquisition est celle d’un petit opérateur alsacien, Est Vidéocommunication, en 2002.

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Pourquoi fait-il la une ?

Si Patrick Drahi fait désormais partie des entrepreneurs français les plus célèbres, c’est en raison de sa vague d’acquisitions éclairs depuis son rachat de Numéricâble et de SFR. En rachetant près de 99% du réseau câblé français, Altice réalise des acquisitions pour un montant de près de 2 milliards d’euros hors reprise de dettes. Ses acquisitions sont les suivantes : Numericable, UPC France, Noos, France Telecom Câble et TDF Câble. Patrick Drahi réalise de gros efforts d’intégration à l’intérieur de ce nouveau groupe pour créer des synergies et des économies d’échelle. Altice est soutenue par le fonds d’investissement britannique Cinven.

Numericable change d’actionnariat en 2008 avec l’entrée dans son capital du fonds de private equity Carlyle qui en détient 38%. Altice et Cinven réalisent une très belle opération de cash-out et Altice peut renforcer sa solidité financière et poursuivre sa stratégie de croissance externe.

Depuis l’introduction en Bourse de Numericable en 2013, Patrick Drahi a dû renoncer à sa discrétion. A l’époque, son nom n‘apparaît que très rarement dans les documents officiels et dans la presse. Mais depuis la vague d’acquisitions accélérée avec l’achat de SFR, sa stratégie fait beaucoup parler.

Pour donner une idée de ce que certains qualifient de « frénésie d’achats », voici la chronologie depuis 2014 des acquisitions réalisées par Altice :

  • Mars 2014 : rachat par Numericable soutenu par Altice de SFR à Vivendi pour près de 15 milliards d’euros
  • Mai 2015 : acquisition de 70% du capital de Suddenlink Communications qui est le 7ème opérateur du câble sur le marché américain pour 9,1 milliards de dollars, dans le même temps le cours de l’action Altice grimpe de 7,7% à Amsterdam et Altice confirme sa volonté d’acquérir Time Warner Cable mais cette tentative reste pour l’instant lettre morte (4)
  • Juin 2015 : acquisition pour 7,1 milliards d’euros du portugais Portugal Telecom suivie d’une proposition de 10 milliards d’euros pour acquérir Bouygues Telecom qui a été refusée notamment par Martin Bouygues
  • Septembre 2015 : acquisition de Cablevision aux Etats-Unis pour 17,7 milliards de dollars (15,5 milliards d’euros) dont 14,5 milliards de dollars financés par de la dette (6)

 

Patrick Drahi a également décidé de se lancer dans des secteurs complémentaires à celui du câble dans lequel il a toujours cru. Il a ainsi annoncé au début de l’été dernier qu’il s’associait avec Alain Weill, l’actionnaire de NextRadioTV, dans une nouvelle entité qui détiendra ainsi BFM TV et RMC. Alain Weill détiendra 51% du groupe NextRadio et une nouvelle filiale d’Altice en détiendra 49% d’un groupe valorisé à 670 millions d’euros (5). Alain Weill doit prendre la tête de la branche médias d’Altice dans laquelle officie déjà Bernard Mourad, ancien banquier d’affaires passé par Morgan Stanley, proche de M. Drahi et qui a déjà fait l’objet d’un article sur le blog Alumneye. Cette stratégie vise à diversifier les participations d’Altice et d’élargir le contenu de l’offre disponible pour séduire plus d’abonnés. Télécoms et médias sont dès lors résolument complémentaires pour Patrick Drahi.

Alors que les marchés financiers réagissaient jusqu’à présent de manière très positive aux acquisitions du groupe Altice, la dernière acquisition du groupe avec Cablevision a montré les limites de l’optimisme des investisseurs et des analystes dans la consolidation du câble. Les analystes de Goldman Sachs recommandent pour le groupe Altice une pause dans les acquisitions (6).

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patrick drahi

 

La stratégie d’Altice et pourquoi les marchés ont modéré leur optimisme

Les marchés jusqu’alors réagissaient très bien et les analystes recommandaient à l’achat les titres du groupe Altice et de SFR-Numericable.

Il faut expliquer pourquoi les marchés étaient enthousiastes vis-à-vis de la stratégie d’Altice. Comme dit précédemment, les acquisitions du nouveau numéro 2 français des télécoms sont principalement financées par la dette. Si le titre d’Altice réagissait à la hausse, c’est parce que les opérateurs font confiance à la capacité de Patrick Drahi et de son équipe pour améliorer la rentabilité des cibles acquises. En effet, alors que beaucoup d’analystes surveillent attentivement le ratio de levier d’endettement (Endettement net/EBITDA), celui-ci a connu une hausse limitée pour le groupe Altice. Si l’endettement global a augmenté pour atteindre 48,5 milliards d’euros, l’EBITDA augmente grâce aux méthodes de cost-killer de Patrick Drahi. 730 millions d’euros d’économies de coûts sont prévues pour SFR-Numericable tout comme 200 millions d’euros pour Portugal Telecom. Le polytechnicien est connu pour être un expert lorsqu’il s’agit de lire un bilan et de repérer les moyens d’augmenter la rentabilité financière d’une entreprise. Ses méthodes sont connues pour améliorer la trésorerie d’une entreprise comme l’augmentation des délais des crédits fournisseurs et la réduction des frais généraux. Ainsi, la rentabilité opérationnelle des entités d’Altice augmente malgré le fait que certaines connaissent des pertes d’abonnés importantes. Tout en profitant de taux d’intérêt bas et en améliorant son excédent de trésorerie d’exploitation, le remboursement des dettes d’acquisitions ne semblait pas poser problème.

Toutefois, la vigueur des titres d’Altice et de SFR-Numericable a souffert après l’annonce de l’acquisition de Cablevision. Pour financer cette acquisition, Altice a dû avoir recours à une augmentation de capital de 1,8 milliard d’euros qui a été mal accueillie par les investisseurs. De plus, l’émission obligataire prévue pour financer l’acquisition de Cablevision a été réduite en raison d’une saturation sur le marché des obligations à haut rendement. Le titre d’Altice a alors chuté de 9,4% à la Bourse d’Amsterdam le 29 septembre 2015 et de 7,5% le 1er octobre 2015 (7).

En ayant plus de mal à se financer et en ayant moins de confiance de la part des investisseurs, Patrick Drahi semble obligé de devoir marquer une pause dans ses acquisitions et d’autres critiques secondaires paraissent désormais plus importantes. Beaucoup reprochent par exemple à son groupe sa présence à Genève et aux Pays-Bas pour des raisons fiscales. Il avait aussi été critiqué, notamment par Arnaud Montebourg l’ancien ministre du Redressement productif, lors du rachat de SFR par Numericable qui lui reprochait l’opacité de l’ensemble de ses entités avec une avalanche d’holdings et de filiales et une forte présence dans des paradis fiscaux. Si certains journalistes ne peuvent s’empêcher de le comparer à Jean-Marie Messier qui avait été accusé d’avoir eu « la folie des grandeurs » lors de son passage chez Vivendi, cette comparaison est largement à nuancer par le fait que Patrick Drahi est beaucoup plus impliqué personnellement de par ses participations financières dans l’ensemble du réseau des télécommunications d’Altice.

Finalement, deux éléments peuvent nous permettre de résumer l’état d’esprit de Patrick Drahi. Selon Les Echos, ce dernier avait déclaré au début de l’été la phrase suivante : «  Pour moi les télécoms, c’est comme un flipper : tant qu’il y a des boules, je joue encore. ». On peut supposer que dès lors que le financement des acquisitions sera plus difficile comme maintenant, la vague d’acquisitions cessera et le potentiel d’économies étant énorme, le remboursement de la dette ne posera pas de problème et les inquiétudes diminueront. Le deuxième élément à prendre en compte est l’admiration de Patrick Drahi pour John Malone, le magnat américain des télécoms et qui a acquis à ses dépens Time Warner Cable qui a une capitalisation boursière de 45 milliards de dollars. Patrick Drahi dit avoir appris beaucoup de sa manière d’avoir développé son groupe par la dette.

Avec une équipe solide et très compétente, dont notamment Dexter Goei qui est son bras droit, le directeur financier d’Altice et ancien de Morgan Stanley comme Bernard Mourad, Patrick Drahi sait comment convaincre les investisseurs et pour l’instant la rentabilité opérationnelle des cibles acquises a été dopée par leur politique de limitation des dépenses. Les résultats suivent pour l’instant mais Dexter Goei a lui-même annoncé une pause dans la croissance externe du groupe pour environ deux ans, le temps que les premiers résultats probants soient incontestables.

 

Jean-Baptiste Bourbier, étudiant à l’ESCP-Europe et Contributeur du blog AlumnEye