Deal Prada x Versace

Rachat de Versace par Prada : zoom sur l’acquisition dans le luxe italien

Au printemps 2025, Prada a frappé un grand coup en annonçant le rachat de 100 % de Versace pour 1,25 milliard d’euros, auprès de Capri Holdings. Entièrement financée en cash, cette opération marque le retour de Versace sous pavillon italien, sept ans après son rachat par Michael Kors. Finalisation prévue à l’automne, une fois les régulateurs passés.

Mais cette opération dépasse largement le simple périmètre financier. Elle vient réorganiser le paysage du luxe européen, et repositionner l’Italie comme puissance industrielle capable de faire jeu égal avec LVMH ou Kering. Depuis des années, les grandes maisons italiennes tombaient les unes après les autres dans l’escarcelle des conglomérats français. Cette fois, c’est l’inverse : Prada reprend la main.

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Versace, une icône fragilisée

Longtemps incarnation du glamour baroque et flamboyant, Versace souffrait depuis plusieurs saisons. Chiffre d’affaires en repli de près de 20 %, rentabilité négative, ADN trop voyant pour l’époque du « quiet luxury », et difficultés à convaincre la clientèle chinoise. Le départ de Donatella Versace, annoncé en mars 2025, a scellé la transition. Elle cède sa place au discret mais prometteur Dario Vitale, transfuge de Miu Miu.

Versace, pourtant, conserve une puissance de marque inestimable. Un logo reconnaissable, une histoire forte, une notoriété mondiale. Pour Prada, c’est une opportunité : celle de relever une maison mythique, en lui offrant rigueur, stabilité opérationnelle et une plateforme industrielle intégrée. En reprenant le contrôle, Prada ne rachète pas qu’une maison : elle rachète un potentiel, et mise sur sa capacité à le raviver.

Ce pari repose sur une approche qui tranche avec les logiques de synergies brutales. Prada a affirmé d’emblée ne pas chercher à restructurer Versace à court terme. Pas de réduction de personnel, pas de fermeture massive de boutiques. Le mot d’ordre est clair : patience, cohérence, respect de l’ADN.

Ce positionnement s’inscrit dans une dynamique de montée en puissance du groupe Prada. Avec Miu Miu et Versace, il dépasse désormais les 6 milliards d’euros de chiffre d’affaires. L’écart avec les géants du secteur reste significatif, mais l’ambition de Prada n’est pas de les imiter. Il s’agit de construire une alternative italienne crédible, enracinée dans un écosystème créatif spécifique.

Lecture d’un deal intelligent

Pour Prada, l’acquisition de Versace s’inscrit dans une stratégie de long terme visant à créer un champion italien du luxe capable de rivaliser avec les géants français. Le rapprochement de Prada (et sa marque sœur Miu Miu) avec Versace donnera naissance à un groupe réalisant plus de 6 milliards d’euros de chiffre d’affaires, mieux armé pour affronter des concurrents tels que LVMH ou Kering sur la scène mondiale. Cette opération va à contre-courant de la tendance observée ces dernières années, qui voyait de nombreuses maisons italiennes passer sous contrôle étranger (Gucci, Fendi ou Bottega Veneta ayant été rachetés par des groupes français). Prada affiche la volonté inverse : rapatrier une marque italienne emblématique et consolider le luxe made in Italy sur un socle national fort.

D’un point de vue stratégique, Prada souligne la complémentarité entre les univers des deux marques. « Il n’y a aucun chevauchement en termes de créativité ni de clientèle », a expliqué Lorenzo Bertelli, directeur marketing du groupe Prada. Prada est réputé pour son esthétisme minimaliste et avant-gardiste, tandis que Versace incarne un style baroque, opulent et flamboyant – deux identités très différentes qui peuvent coexister sans se cannibaliser. Versace apportera à Prada une clientèle nouvelle, amatrice de glamour audacieux, et bénéficie d’une notoriété mondiale considérable (la marque Versace figure parmi les plus reconnues du secteur). Prada compte ainsi diversifier son portefeuille et réduire sa dépendance au seul label Prada ou à Miuccia Prada elle-même, dont la vision créative a longtemps été le pilier du groupe.

L’objectif affiché par Prada est de relancer la croissance de Versace en s’appuyant sur les atouts du groupe sans dénaturer l’ADN de la marque. « Nous achetons une marque au potentiel énorme, à l’esthétique très reconnaissable », souligne Lorenzo Bertelli. Prada assure vouloir préserver l’ADN et l’authenticité culturelle de Versace, tout en lui fournissant une plateforme industrielle et opérationnelle solide pour accélérer son expansion. Patrizio Bertelli (président de Prada) insiste sur la convergence de valeurs entre les deux maisons, créativité, artisanat, héritage – et se dit prêt à « écrire une nouvelle page de l’histoire de Versace » en lui apportant le soutien d’un groupe intégré (usines, distribution, savoir-faire opérationnel). Le directeur général Andrea Guerra ajoute que ce rapprochement vise avant tout à stimuler une croissance durable des revenus et à renforcer l’identité de Versace, plutôt qu’à rechercher des économies de coûts à court terme. En clair, Prada mise sur une stratégie de revitalisation et d’investissement patient : « Le voyage sera long et nécessitera une exécution disciplinée et de la patience », note Andrea Guerra, qui inscrit l’opération dans une vision à long terme malgré les incertitudes du marché.

Enfin, il est à noter que cette acquisition permet aussi à Prada de renforcer le poids de l’Italie dans l’industrie du luxe. « La fusion renforce la position de l’Italie dans une industrie du luxe jusqu’ici dominée par des conglomérats français », observe Reuters. En réunissant deux grandes maisons milanaises, Prada entend bâtir un groupe italien incontournable, susceptible à terme de servir de contrepoids face aux empires du luxe européens. Cette dimension patriotique et culturelle n’est pas anodine, alors que le gouvernement italien s’est montré ces dernières années attentif à la préservation de ses joyaux industriels, y compris dans la mode. Miuccia Prada et Donatella Versace entretiennent d’ailleurs de longue date des liens amicaux, et Donatella a salué le fait de « voir la maison fondée par son frère rejoindre une famille italienne de confiance », assurant être « absolument ravie de faire partie de la famille Prada ».

Un « game changer » pour le luxe italien et européen

Ce mariage Prada–Versace constitue un tournant pour le marché du luxe en Italie. Pour la première fois depuis des décennies, un groupe italien indépendant va réunir plusieurs grandes marques de mode sous la même bannière, alors que beaucoup d’acteurs transalpins avaient été rachetés par des intérêts étrangers. Avec Prada, Miu Miu et Versace, l’Italie voit émerger un nouveau pôle de luxe intégré, susceptible de retenir localement des marques emblématiques et de concurrencer les conglomérats français sur certains segments. Certes, le nouveau groupe Prada (6 Mds € de CA) reste de taille modeste face à LVMH (près de 80 Mds € de CA) ou Kering (20 Mds €), mais il pourrait agir comme un « champion national » capable de fédérer d’autres maisons italiennes à l’avenir. D’ailleurs, cette opération intervient alors que la consolidation s’accélère dans le secteur : le groupe Kering a pris une participation dans Valentino (autre marque italienne) en 2023 et LVMH multiplie les acquisitions dans les vins, joaillerie, hôtellerie, etc.

Pour Versace, son intégration dans Prada Group devrait idéalement lui donner les moyens de redécoller. Isolée au sein de Capri Holdings, la marque souffrait d’un manque de synergies avec Michael Kors ou Jimmy Choo. Désormais, en rejoignant un acteur purement axé sur le luxe haut de gamme, Versace va pouvoir exploiter le réseau de contacts de Prada en Europe et en Asie, profiter du savoir-faire manufacturier italien du groupe, et potentiellement élargir sa distribution (nouvelles boutiques, omni-canal). L’opération s’inscrit dans une logique de « rapprochement culturel » : Versace retrouve un propriétaire italien sensible à son héritage, ce qui pourrait faciliter certaines décisions (par exemple, relocaliser une part de la production en Italie, ou collaborer avec d’autres marques du groupe). Au-delà du cas Versace, ce rachat confirme la tendance à l’intégration verticale dans le luxe : de plus en plus, les grands groupes préfèrent acquérir des marques établies pour compléter leur portefeuille plutôt que de lancer des lignes ex nihilo. Cela permet d’additionner des clientèles aux goûts variés (ici le style Versace vient compléter l’offre Prada) et de peser face à des concurrents tentaculaires.

Sur le plan de la concurrence internationale, l’alliance de Prada et Versace va certainement intensifier la bataille sur certains marchés clés. En Chine, aux États-Unis ou au Moyen-Orient, Prada-Versace pourra mener des stratégies coordonnées pour gagner des parts de marché, là où chaque marque individuellement restait de taille moyenne face aux mastodontes. Les analystes estiment toutefois que l’impact concurrentiel sera limité à court terme, Versace étant en phase de redressement et Prada déjà bien établi. Néanmoins, à moyen terme, si Versace retrouve une croissance à deux chiffres sous l’égide de Prada, le duo milanais pourrait gagner des positions significatives dans le top 10 mondial du prêt-à-porter et de la maroquinerie de luxe. Cette perspective n’est pas anodine pour des groupes comme Kering, dont l’une des principales marques – Gucci – est historiquement en rivalité avec Versace sur le terrain de l’esthétique flamboyante. En Europe, le rachat n’a pas suscité d’opposition des pouvoirs publics : au contraire, en Italie il a été perçu positivement comme un geste de « reconquête » industrielle (« Bravo à l’Italie » a commenté un lecteur dans la presse nationale. Les autorités de concurrence européennes devraient valider l’opération, Prada et Versace n’ayant pas une position dominante dans un segment précis qui menacerait la concurrence – surtout face aux géants multi-marques déjà en place.

D’un autre côté, certains experts insistent sur le fait que Versace reste une maison en difficulté et que la remettre sur le chemin de la rentabilité ne sera pas aisé. En effet, les précédentes acquisitions de Prada (Jil Sander, Helmut Lang dans les années 2000) n’avaient pas abouti au succès escompté, ce qui incite à la prudence sur l’exécution de ce nouveau rapprochement. La direction de Prada en est consciente : Andrea Guerra a prévenu qu’il faudrait avancer « pas à pas, avec discipline » pour faire évoluer Versace sans précipitation. La réussite de l’opération se mesurera donc à la capacité de Prada à restaurer la croissance de Versace dans les prochaines années. Les synergies ne seront pas tant dans les coûts (peu de fermeture de boutiques ou de réduction d’effectifs prévues) que dans la montée en gamme des produits Versace, l’amélioration de ses marges et l’expansion sur de nouveaux marchés grâce au réseau de Prada. Les régulateurs, de leur côté, n’ont pas exprimé de réserve publique à ce stade, et l’on s’achemine vers une approbation formelle au deuxième semestre 2025, conformément au calendrier prévu.