Ces personnalités passées de la finance à la politique : Emmanuel Macron, Georges Pompidou, Michael Bloomberg

La frontière entre les coulisses de la haute finance et les sommets du pouvoir est parfois si ténue qu’elle en devient presque invisible. Banquiers devenus ministres, Premiers ministres reconvertis en banquiers d’affaires, ces trajectoires autrefois étonnantes sont aujourd’hui monnaie courante. On dit souvent que l’argent est le nerf de la guerre en politique, et certains l’ont pris au pied de la lettre en naviguant d’une carrière dans la finance vers les hautes fonctions de l’État, ou inversement. À Londres, Paris comme à Washington, les allers-retours entre Wall Street et les institutions publiques illustrent un véritable « ballet » entre l’argent et le pouvoir. Ce phénomène est si répandu qu’au Royaume-Uni, le retour d’un responsable politique vers la finance est qualifié de « chemin bien balisé » pour les anciens dirigeants qui exploitent leur expérience politique dans le monde de la finance.

    PRÉPARE TES ENTRETIENS TECHNIQUES EN CORPORATE FINANCE

Découvre gratuitement les questions techniques en entretien de M&A, Private Equity, etc., corrigées par un pro.

Le Royaume-Uni, de la City à Westminster

Au Royaume-Uni, le passage de la finance à la politique (et vice-versa) est presque une tradition tant les exemples abondent. La City de Londres, cœur historique de la finance mondiale, a souvent servi de tremplin vers Westminster. Rishi Sunak en offre l’exemple récent le plus frappant. Fils de pharmacien, diplômé d’Oxford et Stanford, Sunak entame sa carrière comme analyste chez Goldman Sachs au début des années 2000. Après un passage par les fonds spéculatifs, il quitte la finance pour embrasser la politique dans les années 2010 et se fait élire député en 2015. Son ascension est fulgurante : il devient Chancelier de l’Échiquier (ministre des Finances) puis, en 2022, Premier ministre du Royaume-Uni, à seulement 42 ans. Après avoir mené son parti à une cuisante défaite électorale en 2024, Sunak a quitté Downing Street… pour mieux retourner à ses premières amours. En 2025, il rejoint à nouveau Goldman Sachs en tant que conseiller senior, renouant ainsi avec ses racines financières. Cette reconversion illustre parfaitement le va-et-vient entre public et privé : après avoir géré les finances d’une nation, Sunak est reparti conseiller la haute banque, bouclant la boucle de son parcours atypique.

George Osborne a lui aussi emprunté la route reliant Whitehall aux banques d’investissement. Chancelier de l’Échiquier de 2010 à 2016, il a supervisé l’austérité budgétaire du gouvernement Cameron. Après son retrait de la vie politique, Osborne s’est tourné vers le secteur financier : il a d’abord été recruté comme conseiller par le géant de la gestion d’actifs BlackRock, avant de rejoindre en 2021 la banque d’affaires Robey Warshaw en tant qu’associé. Il illustre comment l’expertise acquise aux commandes de l’économie britannique peut se monnayer dans le privé, les banques valorisant le carnet d’adresses et l’expérience des anciens ministres.

Sajid Javid constitue un autre exemple emblématique de ce phénomène outre-Manche. Issu d’un milieu modeste, son père était chauffeur de bus, Javid se fraie un chemin jusqu’à la haute finance : à 25 ans il est déjà vice-président chez Chase Manhattan Bank, puis fait une brillante carrière de 18 ans chez Deutsche Bank où il finit membre du comité exécutif. Entré en politique en 2010, il gravit rapidement les échelons du Parti conservateur et occupe plusieurs portefeuilles ministériels (Culture, Intérieur), jusqu’à devenir Chancelier de l’Échiquier en 2019. Après avoir quitté le gouvernement, Sajid Javid est retourné vers le secteur financier. En 2020, il a rejoint la banque américaine J.P. Morgan comme conseiller – un véritable come-back dans son domaine d’origine – puis il est devenu en 2023 partenaire du fonds d’investissement Centricus. Là encore, le « revolving door » (la porte tournante) entre Westminster et la City continue de tourner : l’ancien banquier Javid avait mis ses compétences au service de l’État, et c’est fort de son expérience de ministre qu’il est reparti vers la finance privée.

En France, des banquiers d’affaires aux hautes sphères de l’État

En France aussi, on trouve des figures politiques de premier plan passées par la case finance. De l’après-guerre à nos jours, plusieurs dirigeants ont fait leurs classes dans les banques d’affaires avant de prendre les rênes du pays. Emmanuel Macron en est l’exemple contemporain le plus connu. Avant son ascension éclair en politique, Macron a travaillé comme banquier d’affaires chez Rothschild & Co de 2008 à 2012. Durant ce passage dans la haute finance, il se distingue en pilotant en 2012 un méga-rachat : l’acquisition par le géant suisse Nestlé de la division nutrition infantile du groupe pharmaceutique Pfizer pour un montant de 9 milliards d’euros, une opération qui, dit-on, l’a rendu millionnaire du jour au lendemain. Fort de ce succès retentissant, et d’un bonus estimé à plus de 2 millions d’euros, Emmanuel Macron met sa connaissance des milieux financiers au service de l’État dès 2012 comme conseiller économique de l’Élysée, puis ministre de l’Économie en 2014. En 2017, à seulement 39 ans, il devient le plus jeune Président de la République de l’histoire française. Son parcours, du parquet feutré de la banque Rothschild aux dorures de l’Élysée, illustre la compatibilité entre expertise financière et destin politique au plus haut niveau.

Historiquement, cette passerelle entre banque et pouvoir n’est pas nouvelle en France. Georges Pompidou (1911-1974), Président de la République de 1969 à 1974, avait lui aussi un solide passé de banquier. Normalien agrégé de lettres, Pompidou rejoint la Banque Rothschild dans les années 1950 comme directeur général, poste qu’il occupe de 1956 à 1958. Ce banquier d’affaires, qui conseillait le général de Gaulle pendant sa « traversée du désert », devait ensuite devenir son Premier ministre puis son successeur à l’Élysée. Le cas de Pompidou montre qu’au-delà des compétences technocratiques, le réseau et la vision acquises en banque pouvaient déjà servir de tremplin vers la magistrature suprême.

Plus récemment, on observe également le chemin inverse chez certains hauts fonctionnaires français. Par exemple, Pierre-Olivier Chotard, un énarque ayant fait carrière dans la finance publique (Trésor, Agence des participations de l’État), a été secrétaire général du Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI) jusqu’en 2025. Il a quitté la fonction publique cette année-là pour rejoindre la banque Rothschild & Co comme associé-gérant, spécialisé dans le conseil en fusions-acquisitions. Ce passage du service de l’État vers la banque d’affaires montre que les liens entre haute administration et finance privée restent d’actualité. La « grande porte » de Bercy mène parfois directement… à l’avenue Messine.

Aux Etats-Unis, la politique est un chemin d’influence cohérent

Aux États-Unis, terre du capitalisme triomphant, le va-et-vient entre la finance et la politique est un phénomène bien ancré. Wall Street et Washington entretiennent depuis longtemps une relation symbiotique, souvent décrite par la métaphore de la revolving door – la porte tambour par laquelle on entre dans l’arène politique pour en ressortir dans le privé, et vice-versa. Michael Bloomberg incarne parfaitement cette double réussite. Issu d’une formation d’ingénieur, Bloomberg débute en 1966 comme trader chez Salomon Brothers, une banque d’investissement de Wall Street. En 1981, il quitte Salomon avec une indemnité de départ de 10 millions de dollars, qu’il investit pour fonder sa propre entreprise de services financiers, Bloomberg L.P. Le succès est au rendez-vous : son entreprise de terminaux d’information financière révolutionne le secteur et le rend multimilliardaire. Fort de sa notoriété et de sa fortune, Michael Bloomberg se lance en politique et est élu maire de New York en 2001. Il dirigera la plus grande ville des États-Unis pendant trois mandats consécutifs (de 2002 à 2013), tout en restant une figure influente de Wall Street. Rares sont ceux qui, comme lui, auront excellé au point d’être à la fois membre du club très fermé des hommes les plus riches du monde et un serviteur public apprécié dans la « capitale du monde ».

Mitt Romney est un autre exemple marquant d’un financier devenu leader politique. Fils d’un ancien gouverneur, Romney se fait un prénom dans le monde des affaires : en 1984, après un passage par le conseil en stratégie, il cofonde le fonds d’investissement Bain Capital. Ce fonds de capital-investissement obtient des résultats spectaculaires et devient l’un des plus puissants du pays. La réussite professionnelle de Mitt Romney est indéniable – il amasse ainsi une fortune personnelle estimée à plus de 230 millions de dollars grâce à Bain Capital. En 2002, cet homme d’affaires prospère décide de mettre son expertise au service du public : il est élu gouverneur du Massachusetts (2003-2007) où il s’illustre notamment par une réforme innovante du système de santé. En 2012, Romney porte les couleurs du Parti républicain à l’élection présidentielle face à Barack Obama, faisant campagne sur ses compétences de gestionnaire. Battu de peu, il rebondit quelques années plus tard en étant élu sénateur de l’Utah en 2018. Son parcours souligne combien, en Amérique, une carrière dans la haute finance peut servir de tremplin vers les plus hautes fonctions politiques, conférant crédibilité économique et réseau d’influence au candidat.

 

Jon Corzine offre, lui, un cas d’école du grand banquier devenu responsable politique. Né dans l’Illinois rural, Corzine gravit les échelons de Wall Street pour intégrer la firme Goldman Sachs en 1975. Il y brille et est nommé partner (associé) en 1980, puis co-président directeur général en 1994. Figure phare de Goldman, il supervise la transformation de la banque d’affaires en société cotée et la quitte en 1999 auréolé de son succès. Animé par la volonté de servir le bien public, Jon Corzine se tourne alors vers la politique élective : en 2000, il est élu sénateur démocrate du New Jersey, apportant son expertise financière au Sénat des États-Unis. Il poursuit sur sa lancée en remportant l’élection de gouverneur du New Jersey en 2005, fonction qu’il occupera de 2006 à 2010. Sa trajectoire illustre de façon spectaculaire comment l’expérience acquise à la tête d’une institution financière de premier plan peut mener aux plus hautes responsabilités dans l’appareil d’État.

Notons que la “porte tournante” Wall Street–Washington ne concerne pas que les élus. Plusieurs responsables économiques américains ont fait le saut depuis la finance privée vers des postes de décision publique. Pour ne citer qu’un exemple, Henry Paulson, ancien PDG de Goldman Sachs, fut secrétaire au Trésor des États-Unis de 2006 à 2009, chargé de piloter la politique économique du pays en pleine crise financière. De même, l’administration de Donald Trump comptait d’anciens de Goldman Sachs comme Steven Mnuchin au Trésor. Ces cas, tout comme ceux de Bloomberg, Romney ou Corzine, témoignent de l’entrelacement étroit entre les sphères financière et politique aux États-Unis.

Un mariage de raison entre argent et pouvoir

Que ce soit à Londres, Paris ou Washington, ces parcours individuels illustrent l’osmose entre la haute finance et le pouvoir politique. Dans chacun de ces pays, des personnalités influentes ont su tirer parti de leurs compétences financières pour naviguer dans la sphère publique, ou inversement ont capitalisé sur leur expérience gouvernementale au sein du secteur privé. D’aucuns y verront un cercle vertueux, où l’efficacité de la gestion financière bénéficie à l’État, et où la connaissance des affaires publiques éclaire le monde des affaires. D’autres dénonceront une confusion des rôles – la fameuse revolving door – et s’inquiéteront de l’influence grandissante de la finance sur les décisions politiques. Quoi qu’il en soit, l’argent et la politique forment un couple inséparable sur la scène internationale. De la City au Capitole, en passant par Bercy et Wall Street, la valse des élites entre banques et gouvernements semble promise à continuer, tant la recherche de talents capables de parler le langage de la finance et celui de l’État reste un enjeu majeur du monde contemporain. Les étudiants et observateurs de la vie publique auront donc tout intérêt à suivre ces trajectoires hybrides, révélatrices des équilibres, et parfois des tensions ,entre intérêts privés et intérêt général. Chaque passage d’une salle de marché aux arènes du pouvoir raconte en filigrane l’histoire de notre époque, où l’or et le verbe gouvernent souvent de concert.