Le Cercle des banques disparues

 

Barings, Drexel, Salomon Brothers… AlumnEye vous invite à un voyage dans le temps qui sent bon le début des années 90 et les « golden boys » de la finance en passant par les excès pré-crash de 2008. Avec ce dossier rétro, nous vous proposons une collection des banques disparues aux logos vintage. Au programme, grandeur et misère de la finance.

 

Barings

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Le 16 janvier 1995, le jeune trader basé à Singapour Nick Leeson coule la plus vieille banque d’investissement d’Angleterre. Leeson a compromis sa banque essentiellement sur deux opérations : une position « long » pour une valeur totale d’environ 7 milliards de dollars en dérivés sur des valeurs japonaises à rendement variable ; mais surtout une position « short » pour environ 20 milliards de dollars en dérivés de taux eux-mêmes conditionnés par l’évolution de l’indice Nikkei. Leeson est nettement sorti de son mandat qui était d’arbitrer entre les bourses de Singapour et du Japon, il s’est lancé dans la spéculation pure.

C’est à ce moment que se produit un évènement inattendu : le tremblement de terre de Kobé. Le marché s’effondre mais Leeson, persuadé que le marché va se redresser rapidement, s’entête et parie encore davantage pour couvrir les premières pertes. À l’encontre de toutes les règles de l’arbitrage, il va utiliser toutes ses ressources pour acheter de nouveaux contrats au lieu de couvrir ses positions. Leeson perd son pari et aggrave ses pertes. Celles-ci atteignent alors un niveau abyssal (1,4 milliards de dollars), soit plus du double du capital de la banque âgée de 233 ans qui est en situation de faillite. En effet, ses capitaux propres sont insuffisants pour absorber les pertes générées par Leeson. Leeson prend la fuite, mais il sera rattrapé et condamné à 6 ans et demi de prison. Cet épisode aura néanmoins permis d’augmenter la régulation et de créer de nouveaux métiers tels que les « compliance officers », pour renforcer le contrôle des risques dans les banques d’investissement et instaurer une véritable muraille entre les fonctions Front, Middle et Back Office.

 

Bear Stearns

 

Créée en 1923, Bear Stearns se spécialise rapidement dans le trading obligataire. Dans les années 1970, Bear Stearns développe une réputation de franc-tireur parmi les banques d’investissement américaines. La plupart d’entre elles sont encore à l’époque très imprégnées de la culture WASP. Elles sont dirigées par les diplômés des meilleures universités et doivent l’essentiel de leur chiffre d’affaires aux opérations de conseil en M&A ou de placement de titres. Bear Stearns, à l’inverse, est avant tout une société de trading et se montre très ouverte sur son recrutement. L’ancien président de la banque Alan Greenberg, dira plus tard : « Nous n’avons rien contre les MBA mais ce que nous recherchons, ce sont des PSD (poor, smart and with a deep desire to become very rich) ».bear stearns faillite

Malgré ou à cause de cela, Bear Stearns est une pépinière de talents. Sandy Weill, celui qui fera de Citigroup la plus grande banque du monde, y débute sa carrière. C’est aussi là que se rencontrent Jerome Kohlberg, Henry Kravis et George Roberts, les fondateurs de KKR, un des plus grand fonds de Private Equity au monde.

Dans les années 2000, Bear Stearns s’impose comme la cinquième banque d’investissement du pays, derrière Goldman Sachs, Morgan Stanley, Merrill Lynch et Lehman Brothers. Fin 2006, Bear Stearns a plus de 14 000 employés et son bilan total atteint 400 milliards de dollars. L’action cote alors à 172$. Néanmoins les ennuis commencent en 2007 quand la banque doit sauver deux de ses hedge-funds spécialisés dans les CDO. Les CDO ou « Collateralized Debt Obligations » sont des produits financiers titrisés adossés à des crédits hypothécaires. C’est lorsque Moody’s dégrade la note de nombreux CDO en mars 2008 que la banque voit ses réserves de trésorerie fondre et son cours de bourse chuter. La valse des repreneurs commence et c’est finalement J.P. Morgan qui rachète la banque avec l’aide de la Fed pour 2$ par actions le 16 mars 2008. La chute de Bear Stearns préfigure complètement celle de Lehman Brothers quelques mois plus tard en septembre 2008.

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Drexel Burnham Lambert

 

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Bienvenue au cœur du Wall Street flamboyant de la fin des années 1980, le marché des « junk bonds », littéralement des « obligations pourries » bat son plein. Ce marché de la dette risquée représentera, en 1989 à son apogée, plus de 200 milliards de dollars. Un homme est à la manœuvre, il s’agit de Michael Milken. Fraîchement diplômé de Wharton, Milken intègre la petite banque d’affaires Drexel Firestone au début des années 70. En 1973, Drexel fusionne avec Burnham, un courtier modeste aux pratiques agressives et déjà très discutables. Milken comprend très vite que l’avenir se trouve dans le marché des « junk bonds », il comprend aussi qu’en les combinant de manière astucieuse il peut créer un portefeuille finalement bien diversifié, performant et peu risqué. Sur la route de Milken se trouve le célèbre trader Ivan Boesky, ensemble ils enfreignent toutes les lois boursières en vigueur dans le pays : délit d’initiés, évasion fiscale, manipulations des cours du marché… En 1987, l’année du krach boursier, Milken touche un bonus longtemps inégalé de 550 millions de dollars. C’est pourtant Boesky qui va le perdre puisque ce dernier collabore avec le FBI depuis 1986 pour sauver sa peau. Dans le viseur de la justice, Milken s’engage dans une bataille juridique jusqu’en 1990 qui entraîne sa chute et celle de Drexel qui fait faillite la même année.
 

Lehman Brothers

Le 15 septembre 2008, Lehman Brothers se déclare en faillite. Avec 639 milliards de dollars d’avoirs, une dette de près de 619 milliards de dollars et 25 000 employés dans le monde, Lehman était la quatrième banque d’investissement américaine.

Étant donné sa puissance financière, la faillite de Lehman Brothers est la plus importante de l’histoire. La banque est la plus grosse victime de la crise des « subprimes » de 2008 et sa chute l’a intensifiée. Pourtant rien ne prédestinait cette honorable maison fondée en 1850 à une fin si brutale.

A partie de 2003, le marché immobilier américain est en plein boom. À cette époque, Lehman Brothers achète cinq sociétés de prêts hypothécaires, dont certaines spécialisées dans les crédits « subprimes » comme BNC Mortgage ou Aurora Loans Services. Ces établissements octroient des emprunts Alt-A qui sont accordés sans requérir une documentation complète des emprunteurs. On parlera même de prêts « NINJA » pour « No Income, No Job, No Assets ».

Au début, ces acquisitions semblent profitables et les revenus de Lehman dans l’immobilier lui permettent une croissance de 56% sur les marchés financiers entre 2004 et 2006. A la mi-2007, le marché immobilier s’effondre et l’importance de la crise se révèle au grand jour avec la fermeture de deux hedge funds spécialistes des « subprimes » de la banque Bear Stearns. Bear Stearns sera rachetée en mars 2008. Alors qu’elle maintient une forte activité sur le marché des « subprimes », Lehman semble être la prochaine banque à tomber et le titre chute en bourse. lehman brothers bankruptcyDurant l’été 2008, la situation financière de Lehman empire et la banque annonce des résultats désastreux. Début septembre 2008, l’agence de notation Moody’s annonce son intention de dégrader Lehman si elle ne s’adosse pas à un partenaire stratégique. Tout cela conduit à une baisse de 42% du titre le 11 septembre 2008.

Il ne reste plus qu’un milliard de dollars de liquidités à Lehman et les négociations de rachat avec Barclays et Bank of America échouent.

Ainsi, Lehman Brothers se déclare officiellement en faillite le 15 septembre après la dégringolade de l’action de 93% entre le 12 et le 13 septembre 2008. C’est le début de la pire crise financière internationale depuis celle de 1929.

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Salomon Brothers

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Salomon Brothers est une banque mythique immortalisée dans le livre de Michael Lewis Liar’s Poker. Lewis, lui même ancien de Salomon Brothers, rapporte que les traders de la banque se surnommaient entre eux les « Big Swinging Dicks » et se retrouvaient pour des parties de poker menteur aux mises colossales. La culture de Salomon se rapprochait d’une fraternité étudiante où l’on vouait un culte à la virilité et à la prise de risque. Le trading floor de Salomon, à l’époque parmi les plus grands de Wall Street, était connu sous le nom de « The Jungle ».

Fondée en 1910, Salomon Brothers se spécialise dans le trading des bonds du Trésor américain. L’apogée de Salomon survient dans les années 1980 lorsque s’amorce une hausse des taux d’intérêt spectaculaire sous l’impulsion du gouverneur de la Fed Paul Volcker. La banque innove alors sur tous les marchés de taux d’intérêt et propose une ingénierie financière inédite. Elle invente le premier swap de taux d’intérêt multidevises entre la Banque mondiale et IBM en 1981. Nous devons aussi à Salomon Brothers la première titrisation de CDO adossé à des crédits hypothécaires, un produit grandement responsable de la crise financière de 2008. Le trading pour compte propre ou Prop Trading sur les marchés financiers devient largement prépondérant dans son activité et ses résultats, loin devant ses fonctions traditionnelles de banque d’investissement.

En 1991, la banque est prise en flagrant délit de manipulation d’une vente de bonds du Trésor américain alors qu’elle tente d’acheter plus d’obligations que ne l’autorise la loi durant une certaine période. « Les Maîtres de l’univers », surnom que les traders de la banque avaient gagné à Wall Street plaident coupable.

 

En 1992, l’amende record de 290 millions de dollars infligée à Salomon Brothers est considérable. Une nouvelle équipe de management s’installe sur les ordres de l’actionnaire principal Warren Buffet. Très affaiblie, Salomon ne se relèvera pas jusqu’à sa cession à Travelers en 1997, futur membre du géant Citigroup. La banque est ensuite fusionnée dans la galaxie Citi, les activités de Prop Trading sont fermées.

Néanmoins, l’influence de Salomon Brothers n’est pas morte aujourd’hui et le Wall Street Journal relatait en 2009 que les investisseurs qui contactaient Citi se fendaient souvent d’un laconique « Passez-moi Salomon ».

 

ABN Amro

 

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ABN Amro c’était l’héritage de la puissance commerciale du Siècle d’or hollandais, de la fameuse Vereenigde Oost-Indische Compagnie ou Compagnie des Indes Orientales pour les profanes. C’était le fruit de fusions entre plusieurs banques hollandaises aux noms imprononçables fondées par les rois – qui se souvient de la Nederlandsche Handel-Maatschappij ou NHM ? – pour finalement aboutir à une banque à l’acronyme tout aussi obscur. Oui mais ABN Amro s’est faite racheter en 2007 pour 70 milliards de dollars (une des transactions les plus importantes dans le secteur de la banque), par un consortium composé de Royal Bank of Scotland (RBS), Fortis et de Banco Santander.

 

C’est un cadeau empoisonné pour ces trois banques qui ont payé cher cette acquisition à la veille de la crise de 2008. Ainsi, la banque Belgo-Néerlandaise Fortis se fait secourir et démanteler par le gouvernement des Pays-Bas en 2008. Depuis, la branche commerciale de Fortis aux Pays-Bas a été renommée ABN Amro par le gouvernement et sera privatisée fin 2015. Les Pays-Bas démontrent encore une fois leur attachement à la devise nationale – Je maintiendrai -, ABN Amro n’est pas morte !

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BONUS

 

Banco Ambrosiano

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Le 17 juin 1982, le directeur de Banco Ambrosiano Roberto Calvi est retrouvé mort pendu sous un pont de la Tamise à Londres. Suicide ou assassinat ? La faillite retentissante de la « Banque de Dieu » – la Banque du Vatican était l’actionnaire principal de Banco Ambrosiano – est une affaire digne d’un bon Largo Winch. Un prélat aux pratiques douteuses, une pseudo-loge maçonnique visant le noyautage des grands corps de l’Etat, des industriels sans scrupules, l’ombre de la Mafia… Le scandale de Banco Ambrosiano réunit tous les démons de l’Italie d’après-guerre. La République des réseaux parallèles, des magistrats corrompus, des policiers véreux et du Saint Siège complice. À l’été 1982, une rumeur enfle : Banco Ambrosiano serait en faillite. Les comptes de la banque sont désastreux, des prêts octroyés à des sociétés panaméennes n’ont jamais été remboursés. Or ces sociétés seraient contrôlées par la Banque du Vatican, dirigée par le cardinal américain Mgr Marcinkus. Enfin, des hommes politiques, des hauts fonctionnaires et des magistrats italiens sont compromis dans ce scandale sur fond de blanchiment d’argent en raison de leur appartenance à la Loge maçonnique P2 dont Roberto Calvi était un membre éminent. La banque ferme en 1982 et laisse des milliers d’épargnants ruinés. En 2007, des centaines de millions de dollars disparus sont retrouvés dans les Bahamas.

 

 

Stratton Oakmont

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Inutile de présenter la maison de courtage Stratton Oakmont depuis la sortie du film de Martin Scorcese Wolf of Wall Street, avec Leonardo DiCaprio incarnant le fondateur de Stratton Oakmont, le fascinant Jordan Belfort. Mais le « loup » de Wall Street n’en était pas vraiment un puisque Stratton Oakmont – au nom spécialement pompeux sensé inspirer la confiance à ses clients – était basée à Lake Success. Cette petite bourgade au nom évocateur se trouve à Long Island, bien loin de Manhattan.

C’est volontairement là-bas que Belfort développe son empire en 1989 : loin des projecteurs de Wall Street, surtout de ceux des régulateurs de la SEC. Stratton Oakmont promet des millions à des jeunes du coin souvent à peine sortis du lycée. Ignorée par les étudiants de la Ivy League, Stratton Oakmont transforme ses traders en vendeurs experts des « penny stocks », des titres peu onéreux d’entreprises obscures vendus comme des investissements au potentiel insondé.

Devant les nombreuses plaintes de clients trop crédules, l’arnaque de Belfort s’essouffle et le FBI et la SEC s’intéressent de plus près à Stratton Oakmont. En 1996, la maison de courtage ferme, Belfort est condamné en 1998 à 22 mois de prison et au remboursement de 100 millions de dollars.

 

 

Pierce & Pierce

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Cette banque d’investissement élitiste a fermé en 1994 suite à la condamnation d’un de ses banquiers, Patrick Bateman, pour assassinat.

Ps : Ceci est une blague.

 

Hadrien Comte, étudiant à HEC Paris et Contributeur du blog AlumnEye

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