L’acronyme LBO, pour désigner le terme Leveraged Buy Out, désigne une opération financière à effet de levier, c’est-à-dire l’acquisition d’une entreprise grâce à un recours significatif à la dette financière. L’intérêt de ce montage financier est de maximiser la rentabilité des capitaux investis lors de l’acquisition, en engageant le moins de fonds propres possibles. Pour rappel, l’effet de levier est la différence entre la rentabilité financière d’une entreprise et sa rentabilité économique, il s’obtient de la manière suivante : Rentabilité financière = Rentabilité économique+(Dette/Capitaux propres)*(Rentabilité économique – Taux d’intérêt)Ainsi, plus le rapport Dettes/Capitaux propres sera élevé, plus l’effet de levier sera important. Concrètement, la société holding appelée « Newco » remboursera la dette d’acquisition contractée grâce aux dividendes versés par la société achetée appelée « Opco ». Le but de ce présent article est de donner une présentation du mode de fonctionnement des LBO et de leur mise en pratique.

 

La naissance des LBO aux Etats-Unis et leur développement

 Les LBO sont nés aux Etats-Unis dans les années 1960 avec les premiers fonds spécialisés dans le rachat d’entreprises en ayant recours à la dette.Kohlberg_Kravis_Roberts_(logo).svg Jerome Kohlberg, Henry Kravis et George Roberts, sont par exemple les symboles des pionniers dans la pratique des LBO par l’intermédiaire de leur célèbre fonds KKR qui a réalisé deux des plus importants LBO de l’histoire avec le rachat notamment de TXU (45Md$) ou encore celui très célèbre de RJR Nabisco (30Md$). Aujourd’hui, les fonds de Private Equity américains les plus connus comme KKR, Blackstone, Carlyle ou encore Bain Capital détiennent les records des plus gros montants réalisés en LBO.The_Blackstone_Group_logo_(2).svg Selon Thomson Reuters, le plus important est celui réalisé par KKR avec TXU en février 2007 mais le nouvel ensemble a fait faillite en 2014. La pratique du LBO peut être parfois critiquée par les novices en finance qui lui reprochent de permettre à certains acteurs d’acquérir des entreprises alors qu’ils n’en ont pas les moyens seuls. Mais au contraire, par l’intermédiaire des opérations de LBO, les banquiers seniors ou les investisseurs souscrivant de la dette peuvent permettre à des industriels chevronnés ou des managers connaissant parfaitement leur secteur économique de reprendre une société qui a besoin d’un souffle nouveau.

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Le parfait exemple est l’un des premiers LBO réalisés par Mr William E. Simon, ancien Secrétaire au Trésor américain sous les mandats respectifs des présidents Nixon et Ford. Avant de rejoindre la politique, Mr Simon avait été un trader à succès à Wall Street, spécialisé dans les obligations. Après ce passage dans la vie politique, il devint investisseur  et créa au début des années 1980 aux côtés de son associé Raymond Chambers un fond spécialisé dans les LBO. Leur opération la plus médiatique fut notamment le rachat de l’entreprise Gibson Greetings, spécialisée dans la production de faire-part. Pour ce rachat d’environ 80 millions de dollars, les apports personnels estimés des deux associés furent seulement d’un million de dollars tandis que le reste de l’acquisition fut financé par de la dette. Plus d’un an après la reprise de Gibson Greetings, la société fut introduite en Bourse pour une valorisation de 290 millions de dollars. Alors qu’il avait investi à titre personnel 330,000 dollars en Equity, William Simon voyait son investissement passer à près de 65 millions de dollars !

Dans une opération de LBO classique, trois types d’intervenants sont généralement présents :

  • Des actionnaires aussi appelés sponsors qui apportent des capitaux propres aussi appelés equity
  • Des mezzaneurs apporteurs de quasi fonds propres en dette mezzanine (obligations convertibles, obligations à bons de souscription d’actions, dette subordonnée …)
  • Des prêteurs seniors c’est-à-dire des banquiers spécialisés en financements structurés

Il existe en outre différents types de LBO :

  • L.M.B.O (Leverage Management Buy Out) : rachat d’une société par ses cadres ou dirigeants salariés.
  • L.M.B.I (Leverage Management Buy In) : LBO dans lequel les investisseurs embauchent de nouveaux dirigeants pour assurer la gestion.
  • B.I.M.B.O (Buy-In Management Buy-Out) : l’équipe de repreneurs est composée à la fois de cadres de la société cible et de dirigeants extérieurs.
  • O.B.O (Owner Buy Out) : technique financière qui permet à un actionnaire personne physique de vendre sa société à soi-même en vue de réaliser une opération de cash-out qui lui permet de réaliser une partie de son patrimoine professionnel en convertissant une partie ou la totalité de sa participation en cash.

 

Les raisons du recours aux LBO

Ainsi, la dette sert donc à prendre le contrôle d’une société pour laquelle des capitaux propres seuls n’auraient pas suffi. L’endettement peut se faire sous forme de dette bancaire ou obligataire et implique une grande variété d’acteurs : chefs d’entreprise, fonds d’investissements, banquiers, auditeurs ou encore avocats. Un fonds peut par exemple se retrouver actionnaire d’une société rachetée sous LBO et intervenir également en tant que mezzaneur en détenant des obligations convertibles (OC) ou encore des obligations à bons de souscription d’actions (OBSA).numericable-operation-LBO-sfr Une banque peut décider seule ou au sein d’un pool bancaire d’accorder de la dette d’acquisition senior mais avec des garanties importantes. Pour ces raisons, les opérations de LBO nécessitent comme pour des opérations de fusions-acquisitions classiques des audits financiers et stratégiques mais aussi comptables, juridiques et fiscaux importants appelés due-diligence, mais le volet juridique est plus lourd dans le sens où une banque accordant de la dette senior va exiger des sûretés importantes et que les mezzaneurs assortissent leurs investissements de modalités contractuelles très spécifiques.

Différents leviers justifient le recours à un LBO :

  • Un levier financier : le LBO permet d’accroître la rentabilité financière de la cible ce qui n’aurait pas été possible sans le recours à l’endettement. Cependant, la condition à respecter est que la rentabilité économique de la cible soit supérieure au coût de l’endettement.
  • Un levier juridique : la création de holding permet de démultiplier le contrôle exercé sur la cible avec un apport moindre (technique de cascades de holdings par exemple). En effet, en détenant seulement plus de 50% du capital d’une holding ou la majorité des droits de vote et en faisant cela pour d’autres holdings que détiendrait la holding mère, l’investisseur peut limiter ses apports et démultiplier son contrôle sur une société qui sans ce mécanisme nécessiterait un investissement bien plus important pour être contrôlée.
  • Un levier fiscal : la holding et la cible peuvent former un groupe fiscal après intégration fiscale. En France, l’intégration fiscale est possible dès lors que la société mère détient 95% du capital de la société fille et la holding peut ainsi déduire ses frais financiers du résultat avant impôt de la cible ce qui permet par conséquent une économie fiscale.
  • Un levier social et humain : le LBO permet de fournir des outils d’intéressement et de motivation aux salariés de l’entreprise et notamment à ses dirigeants par l’intermédiaire de produits financiers comme les OBSA.

Cependant, si l’exemple de l’ancien secrétaire au Trésor des présidents Nixon et Ford nous montre que le recours au LBO permet de financer une acquisition qui n’aurait pas été possible sans dette, il apparaît évident que le LBO reste très encadré.

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Le process des LBO chez les différents acteurs

Les banquiers détenant de la dette senior qui,comme son nom l’indique, est  la première à être remboursée en cas de cessation de l’activité de l’entreprise-cible, donne son accord au cours d’un processus bien précis présenté ici dans ses grandes lignes :

1- Description et présentation de l’opération par l’emprunteur aux banques susceptibles d’intervenir en dette senior : la personne qui souhaite créer un holding pour racheter une entreprise devra présenter son projet et son business plan aux banques pour l’accord éventuel de prêts.

2- Engagement de confidentialité : Les deux parties signent un engagement de confidentialité pour éviter que les informations ne soient transmises aux concurrents.

3- Présentation par les banques de leurs offres : Cette opération dure entre 3 à 5 semaines. Les banques étudient alors le business plan et déterminent :

– La structuration de la dette

– La définition des marges

– Les garanties et covenants

– Les commissions de montage

Cette présentation vise également à définir le rôle de chacune des banques qui participent à l’opération, soit le rôle d’arrangeur soit celui de participant.

4- Navettes Emprunteur / Candidats Arrangeurs : Cette opération dure entre 2 à 3 semaines. Durant ce court laps de temps, le candidat emprunteur rencontre différents établissements financiers candidats à l’arrangement c’est-à-dire la supervision de la mise en place du prêt et qui donnera lieu à des fees pour le candidat choisi. Pour être choisi, les candidats négocient leurs conditions financières et discutent avec l’emprunteur futur de la stratégie de syndication qu’ils mettraient en place.

5- Signature des principaux termes et conditions : (Term Sheet) et du « Bon pour Mandat » / courrier séparé / commissions. La banque principale donne ses conditions qui ont été acceptées par l’emprunteur.

6- Rédaction du mémorandum destiné à la promotion du crédit.

7- Invitation des banques – 1 semaine / Mandat : dans la plupart des cas, la banque ne peut pas investir la totalité de la demande d’emprunt car elle doit éviter au maximum les pertes éventuelles en cas d’échec de l’entreprise. En effet, dans ce cas, elle ne serait pas capable de rembourser la dette bancaire.

8- Réponse des banques – 3 à 6 semaines

9- Répartition du crédit à l’intérieur du pool bancaire – 1 semaine

10- Validation de la documentation – 1 à 2 semaines

11- Closing et Funding (signature du contrat de crédit et déblocage des fonds)

Un investisseur corporate, c’est-à-dire un acteur ayant une stratégie industrielle, typiquement un chef d’entreprise évoluant dans le même secteur de la cible ou un autre type de candidat à la reprise d’entreprise par LBO peut se tourner vers des banques ayant des équipes spécialisées dans le financement d’acquisitions d’entreprises et qui, pour se répartir le risque, se regroupent fréquemment pour mener des opérations de crédits syndiqués.

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Les banques incluent souvent dans leurs contrats de dette senior des covenants qui sont des conditions que doivent respecter les dirigeants de la cible au risque d’être pénalisés financièrement. Ces covenants peuvent consister dans le respect de certains ratios comme celui du levier d’endettement (Endettement net/EBITDA) ou encore de couverture des frais financiers (Free Cash Flows/Frais financiers) ou encore sur l’actionnariat ou la politique d’acquisition et de cession d’actifs de la cible. Bien souvent, les banquiers seniors peuvent assortir leur dette senior d’autres types d’endettement comme des Revolving Credit Facilities (RCF) pour financer la saisonnalité du BFR ou des lignes bancaires pour financer des acquisitions (Acquisition facility) ou des investissements (Capex facility).

Les fonds d’investissement exigent eux aussi de leur côté une rentabilité forte par rapport au montant de leur investissement. Ceux qui investissent en dette mezzanine, située entre la dette senior et les capitaux propres dans l’ordre de remboursement, exigent souvent une rémunération d’environ 10 à 15%.

 

Société cibles : des critères de sélection très précis

Pour être attractive, une société cible doit présenter certaines caractéristiques tant financières que stratégiques afin de pouvoir supporter le risque de la dette.

Voici une liste non exhaustive des principaux critères :

  • Être une entreprise relativement mature : une dette senior s’étale généralement sur 7 ans, l’entreprise doit donc être stabilisée sur son marché.
  • Niveau élevé de cash-flows, des leviers d’amélioration : facteur primordial car les remontées annuelles de cash-flows doivent chaque année permettre de rembourser la dette. De plus, la dette d’acquisition peut être en plusieurs tranches dont une remboursable in fine d’où l’importance accordée à l’amélioration de la rentabilité. Un indicateur apprécié des investisseurs LBO est le taux de transformation de l’EBITDA en cash flow (EBITDA/FCF).
  • Clientèle variée et bien répartie, faible dépendance fournisseurs : de telles situations s’avéreraient risquées car le remboursement dépendrait en grande partie sur le maintien d’une ou de quelques relations commerciales.
  • Très peu de besoins en CAPEX
  • Un endettement initial faible
  • Maintien du management : Le succès d’une entreprise dépend de ses hommes clefs. D’ailleurs, les créanciers peuvent exiger en sûreté dans les covenants une garantie homme-clé les protégeant en cas de départ du manager acteur du projet.

 

Jusqu’en 2007, le marché des LBO était en pleine expansion et les montages se révélaient de plus en plus complexes. Ainsi, une dette senior unitranche était désormais remplacée par des financements avec des tranches A, B, C et plus obéissants à des modalités de remboursement différentes (niveau du taux d’intérêt, remboursement amortissable ou bullet/in fine c’est-à-dire remboursement uniquement à la fin de la durée contractuelle du prêt).

La suite a été plus compliquée pour le marché des LBO puisqu’avec la crise économique débutée en 2008, de nombreux montages ont dû être restructurés, les entreprises étaient prises en étau entre une baisse de leur activité et un endettement dont le remboursement était devenu plus important.

La crise de la zone euro en 2011 avait ensuite calmé le retour d’une possible embellie sur le marché des LBO en Europe mais avec la faiblesse des taux et l’appétence des investisseurs pour le marché des obligations à haut rendement, le marché reprend actuellement des forces. C’est aux Etats-Unis que la reprise semble la plus solide avec notamment en 2013 le 5ème LBO le plus important de l’histoire avec le rachat de Heinz par Berkshire Hathaway et 3G Capital pour 28 milliards de dollars.

Alors qu’aux Etats-Unis les très gros deals à plusieurs dizaines de milliards de dollars font la une, en Europe ce sont plus souvent des cas de LBO en difficulté qui défraient la chronique. L’exemple de Courtepaille est à cet égard frappant. Reprise en 2011 par un LBO ternaire, c’est-à-dire le troisième de son histoire, la chaîne de restaurants a vu s’opposer ses actionnaires de reprise, dont le majoritaire Fondations Capital, à leur créancier, le fonds de PE britannique ICG. En vertu d’un bris (non respect) de ratio d’endettement, ICG s’était approprié 85% du capital de la société Courtepaille. Ayant donné lieu à d’importants revirements financiers et juridiques, ce dossier a marqué le paysage français des LBO.

Les banques ne sont pas en reste et se livrent une concurrence féroce pour être conseil et arrangeur sur les transactions tant en valeur qu’en volume et tout comme les fusions-acquisitions, les LBO donnent lieu à une véritable volonté d’apparaître en tête dans les fameuses league tables.

Finalement, le marché du LBO a encore devant lui un avenir important car il permet de réduire les conflits d’agence entre actionnaires et dirigeants grâce aux outils d’intéressement mis en place et d’autant plus que l’on se trouve dans un contexte de taux d’intérêt historiquement bas. Cependant, il ne faut pas s’y tromper, seule une équipe dirigeante de qualité, à la stratégie cohérente, peut assurer la réussite économique d’un LBO.

 

Jean-Baptiste Bourbier, étudiant à l’ESCP-Europe et Contributeur du blog AlumnEye

 

BIBLIOGRAPHIE

  • http://www.nytimes.com/2000/06/05/us/william-e-simon-ex-treasury-secretary-and-high-profile-investor-is-dead-at-72.html
  • http://www.optionfinance.fr/entreprises-finance/financement-des-entreprises-et-tresorerie/comment-le-dossier-courtepaille-a-tourne-au-vinaigre.html