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Après notre article rendant hommage à Jimmy Lee, nous nous penchons sur la vie de Jerome Kohlberg, cofondateur de KKR et décédé l’été dernier d’une longue maladie. Disparu le 30 juillet 2015 à l’âge de 90 ans, Jerome Kohlberg a lui aussi laissé une grande empreinte dans le monde du Private Equity ce qui en fait une figure incontournable de la profession.

 

Son héritage : les LBO et KKR

Ayant commencé sa carrière dans les années 1950 à la banque Bear Sterns, Jerome Kohlberg s’était fait une spécialité, les « bootstrap deals », ayant pour objet d’optimiser les charges fiscales que devaient supporter des fondateurs d’entreprise qui partaient à la retraite et vendaient leur société.

  • L’initiateur des « Leveraged Buy-Out »

Cette nouvelle technique financière passait par la création d’une entité juridique nouvelle, à laquelle des investisseurs apportaient du capital et des banques de la dette. Avec ces ressources, l’entité créée rachetait des entreprises dont les coûts étaient réduits drastiquement. Une fois la rentabilité beaucoup plus importante, les entreprises acquises étaient introduites en Bourse et revendues à un prix beaucoup plus élevé que l’investissement initial.

Cette pratique des LBO peut être combinée avec celle des crédits syndiqués que nous avons déjà évoquée dans un précédent article sur Jimmy Lee. Les crédits syndiqués sont ainsi souvent utilisés dans des montages LBO relatifs à des financements d’acquisitions d’entreprises.

Le schéma est le suivant : l’acquéreur crée une Newco, c’est-à-dire une holding spécialement créée et qui va porter juridiquement une dette dite senior accordée par les banques du pool bancaire. En plus de la dette senior, des investisseurs privés peuvent apporter en fonds propres ou en dettes mezzanines ou dites subordonnées, qui peuvent se matérialiser par des obligations convertibles en actions, des obligations à bons de souscription d’actions ou encore des obligations remboursables en actions. La dénomination des types de dettes est importante car elle reflète la hiérarchie des créanciers dans le remboursement. En cas de liquidation, les banquiers seniors sont les premiers remboursés avant les « mezzaneurs » et les associés.

 

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  • L’application des LBO au capital-investissement et le développement de KKR

kkrLe développement de cette activité dans les années 1970 est important et Bear Sterns était alors le leader dans le secteur des LBO. Cependant, après un refus de la banque de créer en son sein une entité spécialiste en LBO, Jerome Kohlberg quitte l’entreprise avec deux plus jeunes collaborateurs dont il était devenu le mentor, les deux cousins Henry Kravis et George Roberts, pour fonder le fonds Kohlberg Kravis Roberts and Co en 1976. KKR venait de naître. La firme commence avec un capital de 120 000 dollars et se développe très rapidement, si bien qu’en 1985 elle représente le tiers du marché du LBO aux Etats-Unis et fait 6 milliards de dollars de deals cette année-là. Une des acquisitions phares du groupe est par exemple celle d’Union Texas Petroleum pour 1,7 milliards de dollars.

En 1987, Jerome Kohlberg quitte KKR et fonde Kohlberg&Co avec son fils James, aujourd’hui président de la firme.

C’est l’année 1988, après le départ de Jerome Kohlberg, qui fut celle de la révélation au grand public de l’ampleur des LBO avec le rachat par KKR de RJR Nabisco. Cette opération fut à l’époque le plus gros LBO de l’histoire. Pour mémoire, R.J. Reynolds Tobacco Company et Nabisco Brands avaient fusionné en 1985 et donner naissance à RJR Nabisco, un groupe industriel spécialisé dans le tabac et l’alimentation. A l’automne 1988, KKR représenté par Henry Kravis se positionne pour mener une OPA sur RJR Nabisco pour une opération de rachat à 99 dollars le titre avec l’aide de la banque Drexel tandis que le management de RJR Nabisco préparait une offre à 75 dollars le titre en collaboration avec Shearson Lehman Hutton. Alors que le CEO de RJR Ross Johnson avait refusé le conseil et les sollicitations de Henry Kravis lui recommandant de faire un LBO, celui-ci se sentit trahi et attaqué. Une contre-offre très importante fut réalisée par les repreneurs managers avec une OPA à 112 dollars le titre. Mais faute de garanties suffisantes de la part de l’équipe de management et de Shearson, le conseil d’administration de RJR Nabisco accepta l’offre réévaluée de KKR à 109 dollars le titre, ce qui valorisait l’entreprise à près de 25 milliards de dollars. Cet épisode montrant la combativité des équipes de KKR fit la notoriété du fonds.

Ce LBO gigantesque a fait l’objet d’un ouvrage par Bryan Burrough et John Helyar: The Fall of RJR Nabisco : Barbarians at the Gate publié en 1989 qui a été suivi d’une adaptation à la télévision américaine sur la chaîne HBO. Pour les détracteurs de KKR et des fonds de LBO en général, ce deal symbolise un capitalisme sauvage dans lequel les emplois sont sacrifiés au profit de rapprochements pas toujours nécessaires ni réussis.

 

  • KKR, un poids lourd du Private Equity

Kohlberg_Kravis_Roberts_(logo).svgAujourd’hui encore, KKR compte parmi les meilleurs et les plus importants acteurs du Private Equity. Au second trimestre 2015, les profits de KKR se sont élevés à 376 millions de dollars. Sur les cinq dernières années, le taux de croissance du bilan du fonds a été de 18%. Son retour sur investissement a été de 16% l’an dernier ce qui place KKR dans le même groupe que ses concurrents Apollo, Blackstone ou encore Carlyle (1).

La capitalisation boursière s’élevait à près de 10 milliards de dollars au 31 mars 2015 pour des revenus annuels de plus de 7 milliards (2). Point important à souligner, la contribution aux profits des partners est plus importante que dans les fonds concurrents (3).

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Une personnalité à part

MI-CK940_KOHLBE_G_20150802181643Si Jerome Kohlberg avait décidé de ne plus s’associer à ses deux anciens « disciples », c’est parce qu’il avait des divergences de points de vue avec ses deux anciens associés. Au moment où les acquisitions devenaient de plus en plus agressives, souvent du fait des choix de Kravis et Roberts, Jerome Kohlberg défendait de son côté des acquisitions amicales sur des entreprises de taille moindre. Là où ce dernier ciblait des investissements dans des cibles dans lesquelles il croyait en l’équipe de management en place, les deux cousins n’hésitaient pas à mener une politique dite activiste. Cet activisme peut se caractériser par une politique d’actionnariat très vigilant vis-à-vis des dirigeants en place et voire même par un renvoi des dirigeants par le fonds en cas de performances insuffisantes. Enfin, le caractère le plus fort de cet activisme peut se caractériser dès l’intention de se porter acquéreur des titres de l’entreprise cible. Le fonds peut se déclarer intéressé en soulignant que le potentiel de l’entreprise est sous-exploité et cela en grande partie en raison de l’équipe en place. Cette stratégie, moins portée par l’attachement humain aux dirigeants ne convenait plus à la vision des affaires de Jerome Kohlberg. Le divorce avec KKR fut radical.

Ancien de Columbia et Harvard, il avait également combattu dans la Marine durant la Seconde Guerre mondiale. Les causes pour lesquelles il s’engageait étaient nombreuses et un de ces derniers combats était par exemple la réforme du financement des campagnes politiques.

Son mode de vie était resté relativement simple et sa personnalité était fortement appréciée. Henry Kravis et George Roberts n’ont pas manqué de lui rendre hommage comme l’atteste la déclaration de Kravis à l’annonce de sa disparition : « Jerry was a real visionary, having played an important role in developing the private equity model in the 1960s, and he was a true mentor to George Roberts and me ».

Après son décès en raison d’un cancer qu’il combattait depuis de longues années, ils ont rappelé la fierté d’avoir le nom de Kohlberg dans la dénomination de leur fonds.

 

Jean-Baptiste Bourbier, étudiant à l’ESCP et Contributeur du blog AlumnEye

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