Ce que cette prouesse révèle sur le métier

Quand des modèles d’IA réussissent à passer l’épreuve du Niveau III du Chartered Financial Analyst (CFA), cela soulève des questions fondamentales au sein de l’écosystème financier. Désormais, des algorithmes sont capables de traiter des cas complexes et de formuler des réponses construites, d’identifier les contraintes, de bâtir un IPS et d’élaborer des allocations pertinentes. La question n’est plus celle de la faisabilité, mais de la manière d’exploiter ce potentiel sans renoncer à l’expertise humaine.

Il est important de noter que ces résultats proviennent de simulations et de reconstitutions fidèles du format de l’examen. Même si le sujet officiel reste confidentiel, le message est limpide. La frontière entre analyse humaine et appui algorithmique recule. Il est possible d’en faire un avantage réel dès aujourd’hui.

Tests récents : des IA au-dessus du seuil du CFA Niveau III

En septembre 2025, une équipe de NYU Stern et de la plateforme Goodfin a publié une évaluation à grande échelle de 23 modèles génératifs sur des épreuves de Niveau III en conditions simulées (QCM et réponses construites). Les meilleurs modèles ont dépassé les standards de réussite de mock exams, y compris sur les essais évalués par des correcteurs humains. ft.com

Les auteurs rapportent notamment que des modèles de raisonnement de dernière génération (par ex. o4-mini, Gemini 2.5, Claude Opus) franchissent le seuil de réussite en quelques minutes lorsque la consigne structure la chaîne de raisonnement (« chain-of-thought »). cnbc.com

• Performances indicatives (composite) observées sur mock Level III : 79,1 % pour o4-mini et 77,3 % pour Gemini 2.5 Flash, selon la prépublication. arxiv.org
• Le guidage étape par étape améliore sensiblement la réussite aux essais (jusqu’à ~15 points selon le protocole rapporté).
• Pour limiter les risques de fuite de données, les énoncés provenaient de banques de questions payantes et ont été corrigés à la fois par des LLMs évaluateurs et par des correcteurs certifiés.

Point crucial : ces résultats concernent des examens blancs fidèles au format officiel, et non l’épreuve réelle (confidentielle) du CFA Institute. Ils doivent donc être lus comme une capacité à réussir des simulations robustes, pas comme une validation officielle par l’organisme certificateur.

Pour situer l’ordre de grandeur, les dernières sessions officielles publiées par le CFA Institute font état de taux de réussite humains autour de 48 – 49 % au Niveau III. cfainstitute.org

Pourquoi le Niveau III se prête à cet exercice

Le Niveau III est dédié à l’articulation et à la mise en œuvre. On y traite d’objectifs, de contraintes, de gestion du budget de risque. Il faut arbitrer entre long terme et besoins de liquidité, et c’est précisément dans ces exigences que les modèles d’IA excellent. Leur force réside dans leur capacité à ingérer une grande quantité d’instructions complexes, permettant une ingénierie précise et détaillée des consignes, ce qui les rend redoutablement efficaces sur ce terrain.

Il suffit de leur fournir un IPS précis et un contexte chiffré. L’IA teste différentes allocations, justifie le rebalancement, rédige rigoureusement, se relit et adapte la réponse aux verbes d’action exigés. Quand des modèles d’IA franchissent l’épreuve CFA Niveau III sur ce type de cas, ce n’est pas un hasard.

• Lecture rapide d’un IPS et identification des contraintes majeures,
• Proposition d’allocations argumentées et cohérentes,
• Repérage systématique des incohérences temporelles,
• Rédaction structurée, concise et au format réponse construite.

Limites actuelles à garder à l’esprit

L’IA demeure sensible à la formulation des instructions. Elle peut confondre horizon glissant et horizon fixe, négliger certains aspects fiscaux d’un mandat privé ou passer à côté de l’impact de l’order of returns sur un cash flow irrégulier, sans oublier sa propension à expliquer avec assurance une erreur de raisonnement.

Par ailleurs, la dimension éthique et la déontologie professionnelle réclament des subtilités que seuls les professionnels aguerris maîtrisent. La rigueur s’impose dans la vérification des références, l’usage des bons termes et la clarté structurelle des réponses. Même si l’IA progresse sur le plan du fond, la forme reste évaluée par l’œil humain.

Stratégie de préparation avec l’IA comme partenaire d’entraînement

Commencez par bâtir un corpus de cas crédibles, fondé sur des données valides et cohérentes. Fournissez à chaque outil un cahier des charges détaillé, exigez une synthèse construite plutôt qu’un texte bavard, limitez le temps de réponse et attendez des justifications ligne par ligne.

Travaillez ensuite la granularité : réclamez une version longue, puis une version condensée façon note télégramme. La comparaison mettra en évidence les verbes d’action essentiels et révélera les faiblesses du raisonnement. À ce niveau, la précision de vos consignes fait la différence.

Sur les investissements alternatifs, l’essentiel doit rester limpide. Concepts comme le capital call, la J-curve ou la distribution waterfall doivent être parfaitement maîtrisés. N’hésitez pas à vous appuyer sur des ressources de terrain, tel ce « vocabulaire du Private Equity expliqué, de LBO à carried interest ». Vous raffinerez votre expression et la rigueur dans vos réponses construites.

Ce que recherchent vraiment les desks

Côté gestion, on observe la capacité à structurer un mandat, la traduction d’objectifs en contraintes opérationnelles efficaces, et la rapidité de prise de décision rationnelle. L’IA peut soutenir l’analyse, mais son efficacité dépend du pilotage humain. À chacun d’assumer chaque chiffre, chaque hypothèse.

En buy-side, il faut passer d’un IPS à un portefeuille concret. En gestion de fortune, il s’agit d’expliquer un drawdown à un client exigeant. Côté asset management, il faut justifier une couverture taux ou devises. Lorsque des modèles d’IA franchissent l’épreuve du CFA Niveau III, le marché attend plus qu’une réponse automatisée. Il attend un professionnel capable d’en maîtriser les outils tout en sécurisant le mandat.

Exemple appliqué en conditions proches de l’épreuve

Le brief

Un couple proche de la retraite, horizon de 12 ans, taux marginal élevé, besoin net réel de 3 %, aversion au risque modérée, part d’actifs illiquides déjà conséquente via le private equity, indice de référence multi-actifs.

La démarche

Transmettez à l’outil l’IPS intégral. Exigez pour la réponse la distinction entre objectif nominal et réel, une classification claire et justifiée des contraintes, ainsi qu’une allocation cible avec fourchette de poids. Imposez une limite stricte de 10 % sur l’illiquidité.

Le rendu attendu

Une réponse construite, découpée, stricte, justifiant explicitement la tolérance au risque, proposant une allocation cohérente avec le besoin de liquidité, rappelant les principaux risques et détaillant les déclencheurs de rebalancement. Dans ce format, l’IA se distingue par sa capacité à formuler efficacement.

Rester maître du processus à chaque étape

Définissez le cadre, contrôlez les données, simplifiez les formulations, et assurez la cohérence temporelle. Refusez les approximations, surtout sur les aspects fiscaux ou de gouvernance.

Si la machine dévie, rectifiez immédiatement : exigez des justifications précises, un exposé des risques, et le lien direct entre chaque contrainte et le choix d’allocation. C’est ce niveau de pilotage qui demeure incontournable, même avec les meilleurs outils.

Et maintenant, passer à la pratique

Adoptez une routine resserrée : un cas d’entraînement quotidien, corrigé le soir, et une relecture critique le lendemain. Variez les profils clients, les schémas fiscaux, enrichissez progressivement votre palette de raisonnements, sereinement.

Le signal est clair : des modèles d’IA franchissent l’épreuve CFA Niveau III lors de simulations abouties, mais il n’y a là aucune baguette magique. La valeur ajoutée tient dans la lucidité des analyses, dans la maîtrise de la forme, et dans l’adaptation au besoin client.

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