Qatar Sports Investment : comment le Qatar utilise le sport, et le PSG, comme outil économique et d’influence ?
En 2011, le Qatar faisait son entrée dans le monde du football en rachetant 70 % du PSG pour environ 70 millions d’euros via son fonds d’investissement dédié au sport : le Qatar Sports Investments (QSI). Quatorze ans plus tard, le sacre du club en Ligue des Champions symbolise la réussite d’un projet mené avec persévérance par Nasser Al-Khelaïfi, tant sur le plan sportif que financier. Retour sur l’histoire d’un fonds, d’un homme et d’un projet dépassant le cadre sportif.
Les prémices : un émirat dynamique en quête de diversification
Au début des années 2000, le Qatar est l’un des pays les plus dynamiques du Golfe. Tirant parti de ses importantes réserves en hydrocarbures et en gaz naturel, l’émirat enregistre d’importants excédents budgétaires: 17% du PIB en 2001, 20% en 2002 et un taux record de 30% en 2004. Afin de diversifier son économie, l’émir Hamad ben Khalifa Al Thani fonde en 2005 le Qatar Investment Authority (QIA), le fonds souverain de l’État.
Le QIA se décline alors en trois branches aux objectifs d’investissement distincts: Le Qatar Diar, dédié à l’investissement immobilier, qui déploie près de 60 millions d’euros au cours des trois premières années. Le Qatar Holding LLC, un véhicule d’investissement destiné à prendre des participations dans de grands groupes. Enfin, le Qatar Sports Investments (QSI), un fonds tourné vers les secteurs du sport, des loisirs et du divertissement.
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Nasser Al-Khelaïfi, l’architecte du développement de QSI
Ancien joueur de tennis professionnel, Nasser Al-Khelaïfi est un passionné de sport. Proche du prince héritier Tamim Al-Thani qui est nommé à la tête du QIA par son père en 2005, il commence sa carrière au sein de la chaîne sportive du groupe Al Jazeera avant de prendre la direction du QSI à sa création. Il participe alors à la définition des grandes lignes de la politique sportive du Qatar.
La stratégie de QSI repose sur trois piliers :
- Investir dans des actifs rentables, tout en développant un écosystème dans lequel les entreprises du QIA peuvent être représentées par des figures sportives emblématiques.
- Renforcer la visibilité internationale du Qatar, le sport sert de levier diplomatique au service du soft power de l’émirat.
- Préparer la Coupe du Monde 2022, événement phare de la stratégie d’influence du pays.
Le rachat du Paris Saint-Germain à Colony Capital en 2011 pour 70 millions d’euros constitue la première brique concrète de cette stratégie. Nasser Al-Khelaïfi est alors nommé président du club.
Le développement du Paris Saint-Germain, clé de voûte de la stratégie qatarie
À son arrivée, Nasser Al-Khelaïfi fixe trois objectifs : bâtir un club capable de devenir un cador du football européen, développer une marque mondiale dépassant le simple cadre sportif, et faire du PSG un levier pour la stratégie globale du Qatar, notamment en vue de la Coupe du Monde.
Sur le plan sportif, le club investit massivement en achetant plusieurs joueurs stars comme Javier Pastore, Edinson Cavani ou encore Neymar et Kylian Mbappé pour des montants records de 222 et 180 millions d’euros lors du mercato estival de 2017. Une mise en place d’un cadre d’exception accompagnent ces investissements, à l’image du nouveau Campus PSG à Poissy, un complexe haut de gamme regroupant centre d’entraînement et de formation pour plus de 300 millions d’euros, ou du recrutement d’entraîneurs de renom comme Carlo Ancelotti ou Luis Enrique.

L’image du club est également développée à l’international. Des collaborations sont nouées avec des marques et des figures influentes : Beyoncé s’affiche par exemple avec un maillot du club orné de cristaux Swarovski, aussi des partenariats sont signés avec des marques comme Jordan en 2018 et Dior en 2021, qui devient le tailleur officiel du club, une première pour la maison de luxe.
Sur le plan économique et diplomatique, le PSG devient surtout une vitrine du Qatar. Le club promeut des entreprises nationales via des contrats de sponsoring (Qatar Airways, Qatar National Bank, Ooredoo), mais aussi des marques où le QIA est actionnaire, comme Accor (près de 9 % du capital). Le PSG joue aussi un rôle dans la diplomatie sportive, en mettant en avant les événements liés au Qatar : Coupe Arabe, Coupe d’Asie ou Coupe du Monde.
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QSI au-delà du PSG : une stratégie d’envergure mondiale
Toujours dans le football, QSI poursuit son expansion avec l’acquisition de 21 % du Sporting Clube de Braga en 2022 pour un montant estimé de 80 millions d’euros, et prévoit une prise de contrôle du club espagnol de Malaga pour près de 100 millions d’euros, en vue de la Coupe du Monde 2030 organisée conjointement par l’Espagne, le Portugal et le Maroc.
QSI diversifie aussi ses investissements dans d’autres sports. Il développe les sections handball et judo du PSG, investit près de 200 millions de dollars pour environ 5% du capital de Monumental Sports & Entertainment aux États-Unis, qui détient des franchises de NHL et de NBA, et rachète en 2023 le World Padel Tour, avec l’ambition de devenir un acteur référence de ce sport en plein essor. En 2024, à l’occasion du Grand Prix de F1 de Doha, le QIA annonce aussi une prise de participation minoritaire dans Sauber Holding AG, future écurie Audi en 2026.
Enfin, le beIN Media Group, anciennement branche sportive d’Al Jazeera, incarne le développement qatari sur le secteur médiatique. BeIN Media Group exploite des droits sportifs de premier plan comme la diffusion de la Ligue 1 (€98,5 M/an), Champions League, Premier League et revendique plus d’1,2 milliard de vues lors de l’Euro 2024. La chaîne permet aussi la diffusion des autres institutions sportives détenues par QSI comme le World Padel Tour. Présent dans 43 pays et employant 2 500 personnes, le groupe n’est pas seulement rentable : c’est une vitrine géopolitique qui renforce l’influence qatarie dans le sport mondial.
Des investissements au cœur d’ une stratégie ESG de façade
L’un des fondements de la politique d’investissement du Qatar repose sur la construction d’un soft power destiné à projeter une image plus lisse de l’émirat. En combinant sport, loisirs et divertissement à celle d’un État moderne, moteur du changement et respectueux des critères ESG, le Qatar cherche à renforcer sa légitimité sur la scène internationale. Pourtant, de nombreux spécialistes dénoncent une stratégie de façade, dissimulant des problématiques structurelles toujours bien présentes.
Sur le plan environnemental, malgré des efforts visibles de greenwashing, le Qatar ne remet pas fondamentalement en question son modèle économique. Le pays affiche l’un des plus hauts taux d’émissions de CO₂ par habitant au monde, avec près de 30 tonnes par habitant en 2023, contre environ 4 à 5 tonnes en France. Cette empreinte découle directement d’une économie largement dépendante des hydrocarbures, qui représentent encore plus de 60 % du PIB.
Sur le plan social, le pays reste régulièrement pointé du doigt pour ses pratiques vis-à-vis des travailleurs étrangers, qui au nombre d’environ 2 millions constituent la quasi-totalité de sa main-d’œuvre. Certes, sous la pression d’organisations internationales telles que l’OIT ou la FIFA, le Qatar a entrepris plusieurs réformes : suppression de l’obligation pour les travailleurs d’obtenir une autorisation de leur employeur pour changer d’emploi ou quitter le pays, introduction d’un salaire minimum national, ou encore mise en place de comités de résolution des conflits. Mais ces évolutions, instaurées dans les textes, peinent à se traduire concrètement sur le terrain.
Les mauvaises conditions de travail, l’absence de liberté syndicale, et des abus persistants ternissent ce bilan. En 2022, Amnesty International qualifiait d’ailleurs ces réformes de « vitrine », dénonçant la persistance d’une exploitation systémique.
Quel bilan tirer, vingt ans après la création de QSI ?
La victoire en Ligue des Champions, le 31 mai dernier, symbolise l’aboutissement du projet sportif du PSG sous l’ère QSI. Certains critiquent toutefois l’ampleur des moyens déployés, questionnant le retour sur investissement. Le fonds a en effet dépensé plus de 2,2 milliards d’euros : 100 millions pour racheter l’intégralité des parts, environ 420 millions en injections de capital, et plus de 1,6 milliard sur le marché des transferts.
Les revenus du club ont été multipliés par dix, portés par les droits TV, les recettes commerciales, les contrats de sponsoring et des reventes de joueurs qui permettent aussi d’amortir les dépenses comme Neymar (vendu en 2023 pour plus de 90 millions à Al-Hilal). Cela n’empêche pas que de nombreux exercices sont déficitaires, notamment lors de la crise du Covid ou durant des saisons sportivement décevantes, comme en 2021-2022.
Le principal gain réside surtout dans la valorisation du club, passée de 100 millions en 2011 à plus de 4 milliards d’euros en 2025 selon Forbes. Les autres investissements du QSI sont encore trop récents pour être pleinement évalués.
Au-delà du sport, le QSI a renforcé les relations bilatérales entre la France et le Qatar, facilitant de nombreuses synergies économiques. Le Qatar investit massivement dans le pays via le QIA : dans l’immobilier et l’hôtellerie via Qatar Diar (Royal Monceau, Peninsula), participations dans Lagardère ou Vinci via Qatar Holding, ou encore le fonds France-Qatar, doté de 300 millions d’euros depuis 2012 et réactivé en 2023 et 2024 pour soutenir les PME françaises innovantes.
Enfin, le Qatar a su renforcer son soft power à l’échelle mondiale, à travers la réussite de la Coupe du Monde 2022 et l’image internationale du PSG, qui continue de faire briller la vision portée par Nasser Al-Khelaïfi.
En perspective : QSI face aux autres fonds du Golfe
Le développement de QSI peut être comparé à celui d’autres fonds souverains de la région. Le Public Investment Fund (PIF), le fonds saoudien, investit depuis moins longtemps dans le sport, mais déploie des moyens encore plus importants : après avoir racheté Newcastle United, il développe une stratégie de développement autour de son championnat national. Le fonds Mubadala d’Abu Dhabi suit une stratégie proche en détenant 78% du City Football Group, un groupe administrant les clubs du portefeuille (Gérone, Palerme, Troyes) et centré autour de Manchester City, un club où le parcours est comparable à celui du PSG. Enfin, Mumtalakat, le fonds souverain de Bahreïn, opte pour une vision différente et mise sur le sport comme un actif de prestige avec sa participation dans le groupe McLaren, notamment via l’écurie de F1.
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11 avril, 2019