Considéré comme aussi populaire que les grandes ligues professionnelles telles que la NFL avec le football américain, la NBA avec le basketball ou encore la MLB avec le baseball, le  sport universitaire aux Etats-Unis tient une place importante dans la culture Américaine. D’après la National Collegiate Athletic Association, le sport universitaire Américain génère un chiffre d’affaires total en 2019 de presque 19 milliards de dollars grâce notamment aux droits de diffusion des matchs, aux donateurs, aux subventions publiques, aux ventes de billets et aux recettes de merchandising. Les compétitions sont organisées par des conférences supervisées par la National Collegiate Athletic Association. Une conférence est un regroupement de plusieurs équipes universitaires afin de former un mini-championnat dans les différentes disciplines. Parmi les conférences les plus médiatisées, on peut citer la Big Ten, la Big 12, la Southeastern Conference, la Pac-12 ou encore l’Atlantic Coast Conference. Alors que par le passé, le Private Equity – ou capital investissement – semblait peu impliqué dans le sport universitaire américain, on observe ces dernières années un intérêt grandissant de la part des investisseurs pour ce domaine. Cette évolution soudaine pousse à se questionner sur les raisons de cette réticence passée et sur les motivations actuelles de cet engouement. 

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Private Equity et sport universitaire : pourquoi cette frilosité ?

Des obstacles significatifs ont traditionnellement entravé la participation du Private Equity dans le domaine du sport universitaire aux Etats-Unis. La plupart des institutions majeures de ce secteur sont des universités publiques soumises à des réglementations rigoureuses en matière de sources de financement en comprenant notamment le respect des lois nationales, des règlements sur les organisations à but non lucratif, et des normes institutionnelles. Ces contraintes ont jusqu’ici limité les investissements directs, qui sont souvent en retard par rapport à ceux observés dans le domaine professionnel. 

De nombreuses transactions de Private Equity dans le domaine sportif sont conçues autour d’une participation minoritaire dans une équipe et autour de la distribution de certains flux de revenus en échange de la mise de fonds initiale. Dans le domaine des sports universitaires, la nature particulière de l’activité rend ces accords traditionnels plus complexes. En plus du statut public de nombreuses universités, la complexité des transactions potentielles est accentuée par le fait que les droits commerciaux des départements sportifs de la plupart des  écoles sont déjà liés à des tiers. Par exemple, des dizaines d’universités sont actuellement associées à des sociétés externes de vente et de marketing telles que Learfield et Playfly Sports. Les activités de ces sociétés couvrent un large éventail de domaines comme la billetterie, le merchandising ou encore les médias numériques. 

Le processus décisionnel au sein des universités représente également un obstacle potentiel à certaines transactions. Les directeurs sportifs, les présidents d’université, les conseils d’administration et les comités de donateurs sont des parties prenantes importantes et chacun de ces groupes détient une autorité spécifique et des intérêts propres. Des conflits peuvent donc facilement éclater autour de la gestion des équipes sportives. 

Enfin, la National Collegiate Athletic Association, l’autorité chargée d’établir les règles relatives à l’organisation des compétitions, n’a pas encore précisé ses règles concernant les sources de financement extérieures, laissant les investisseurs dans l’incertitude. 

Pourquoi cet enthousiasme si soudain ? 

Les membres des conférences ont vu leurs revenus liés aux compétitions sportives s’envoler depuis plusieurs années. En effet, d’après une étude de USA Today, 49 universités ont dépassé les 100 millions de dollars de revenus sur l’année 2022, avec en tête l’université d’Etat de l’Ohio, membre de la Big Ten, qui a généré 252 millions de dollars sur cette période, essentiellement grâce à l’exposition de son équipe de football américain et de  basketball. A titre de comparaison, en 2012, l’université du Texas était en tête avec 163,3 millions de dollars de recettes totales soit une augmentation de 88,7 millions de dollars en une décennie. Cette croissance remarquable ne manque pas d’attirer l’attention du Private Equity. 

De plus, des évolutions récentes ont contribué à transformer ce paysage et à accroître l’attractivité envers les investisseurs extérieurs. En effet, des conférences telles que la Big Ten et la Southeastern Conference vont prendre de plus en plus de poids avec l’intégration à venir des universités de Washington, de l’Oregon, de Californie à Los Angeles et de Californie du Sud au profit de la première et des universités du Texas et de l’Oklahoma au profit de la seconde.

Jusqu’à présent, l’une des principales expositions du Private Equity au sport universitaire s’est faite par le biais d’investissements dans des sociétés telles que Learfield, propriété de Fortress, Charlesbank et Clearlake. D’après le Financial Times, ces trois fonds de Private Equity ont injecté 150 millions de dollars en août 2023 dans cette société de marketing sportif qui détient les droits multimédias de 55 des 65 universités appartenant aux 5 plus  grandes conférences. À titre d’exemple, Learfield a acheté en 2014 les droits multimédias de l’Université de l’Alabama pour 10 ans dans le cadre d’un accord d’une valeur de 15 à 16  millions de dollars par an. Selon Sportico, L’Université d’État de Floride envisage de recourir directement à des investissements privés pour lever des fonds à hauteur de 30 millions de  dollars, une initiative alors inédite dans le milieu du sport universitaire Américain.  L’Université travaillerait depuis cet été avec la banque d’investissement JP Morgan et le  fonds de Private Equity Sixth Street dans l’espoir d’obtenir un accord d’ici le printemps 2024. 

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Pourquoi avoir recours au Private Equity ? 

diplome_private_equityLes disparités de revenus entre les universités les plus prestigieuses et les universités les  moins en vue ne font que s’accentuer, intensifiant ainsi la quête de sources alternatives de  financement. L’écart entre la Big Ten, la Southeastern Conference et les trois autres grandes conférences devrait se creuser grâce à de nouveaux accords de diffusions lucratifs. En 2020, la Southeastern Conference a conclu avec la chaîne ESPN un accord exclusif de dix ans portant sur les droits de diffusion pour la période 2024-34, d’une valeur estimée à 3 milliards de dollars. La Big Ten lui a emboîté le pas en 2022 en signant un accord de sept ans avec  NBC, CBS et Fox Sports, qui couvre la période 2023-30 et représente plus de 7 milliards de  dollars, ce qui est considéré comme le contrat le plus lucratif de l’histoire du sport universitaire. 

Cette problématique n’est pas nouvelle dans le domaine du sport universitaire aux Etats Unis. D’après Bloomberg, les préoccupations liées à l’écart croissant des revenus ont par exemple incité la conférence Pac-12 en 2019 à solliciter en vain la banque d’affaires The Raine Group pour explorer la possibilité de lever des fonds auprès d’un fonds d’investissement  privé. Cette opération avait pour but de compenser la perte de revenus suite à la renégociation à la baisse du contrat de diffusion entre la conférence et les chaînes ESPN et Fox Sports. 

Cette démarche, devenue courante en Europe, témoigne de la tendance croissante des  équipes professionnelles à se tourner vers le Private Equity pour résoudre leurs défis en termes  de compétitivité et de revenus. Le FC Barcelone, géant du football mondial endetté à plus de  1,3 milliard d’euros en 2021 a, par exemple, revendu une partie de ses futurs droits télévisés  au fonds Sixth Feet. D’après Reuters, en cédant un quart de ses futurs revenus, le club a ainsi  obtenu plus de 500 millions d’euros. Selon la même source, le club a également prévu une  introduction en bourse de sa filiale Barça Media afin de disposer d’un levier financier.  L’opération prévue sur le Nasdaq se fera via un Spac. Cette opération sera menée via le fonds suisse Mountain Partners d’ici la fin de l’année 2023. 

L’environnement du sport universitaire aux États-Unis a toujours favorisé une compétition intense, incitant à une escalade des investissements. Les investissements colossaux dans les départements sportifs atteignent des niveaux sans précédent et semblent en constante augmentation, entraînant inévitablement la nécessité de trouver de nouvelles sources de financement. Si le sport universitaire américain est devenu une affaire importante il y a déjà bien longtemps, la tendance ne ralentit pas et son évolution du point de vue financier ne se fera probablement pas sans la présence active du Private Equity. 

 

Maxime Dangelser, étudiant en licence d’économie-gestion à Strasbourg