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Stephen S. Roach, ancien chef économiste de Morgan Stanley parle du quantitative easing ou QE comme étant l’expérimentation la plus audacieuse jamais entreprise par les banquiers centraux. De quoi s’agit-il ? C’est un programme d’achat massif de titres (« securities »), généralement de long termes, auprès d’investisseurs, lancé par la Federal Reserve (FED), la Bank of England (BoE) peu de temps après la crise de 2008, puis par la Bank of Japan (BoJ) en avril 2013 et par la BCE en mars 2015. Le but ultime étant de relancer l’activité économique et de freiner les pressions déflationnistes, lorsque les ressorts classiques de la politique monétaire, à savoir les taux directeurs, sont proches de 0%. Cette politique avait déjà été mise en place par le Japon en mars 2001 afin de faire face à la spirale de désendettement déflationniste qui menaçait alors le pays. Mais l’ampleur des programmes d’après crise dépasse largement cette première expérience. Ainsi, depuis le début de ces programmes de QE, 3700 milliards de dollars (22,5% du PIB américain 2014) ont été injectés par la FED, 13000 milliards de yen (27% du PIB japonais en 2014) par la BoJ, 375 milliards de livres (22% du PIB britannique) par la BoE et 1140 milliards d’euros (11,5% du PIB européen) par la BCE. Si les modalités d’exécution du QE dans ces différents pays ont des points communs, il existe tout de même des singularités propres à chaque banque centrale que nous prendrons en compte dans nos explications.

 

COMMENT FONCTIONNE LE QE ?

En tant normal, la politique monétaire est effectuée par l’intermédiaire des taux directeurs. Il en existe trois : le taux de rémunération des réserves obligatoires des banques commerciales auprès de la banque centrale (« Deposit rate »), le taux de réescompte (« Discount rate »), qui est le taux auquel la banque centrale refinance les titres de créances que les banques commerciales avaient déjà escomptées auprès de leurs clients et enfin, celui que l’on appelle souvent à tort taux directeur, le taux de refinancement (taux refi pour la BCE, repo ou « repurchase agreement » ou RPs pour la FED, Official Bank rate pour la BoE et Uncollateralised overnight call rate pour la BoJ).

La fixation du taux de refinancement a lieu lors des opérations d’open-market (OMO) au cours desquelles les banques centrales achètent ou vendent des titres auprès d’un nombre restreint de grandes banques commerciales (« primary dealers » pour la FED). Aux Etats-Unis, le taux de refinancement a pour but d’influencer le Federal Funds rate qui est le taux auquel les banques échangent leurs réserves excédentaires sur le marché interbancaire de New-York. Au début de l’opération, la FED fixe un taux cible. Si le Federal Funds Rate est au dessus du taux-cible alors la FED va augmenter la masse monétaire généralement via un « repo » (c’est à dire un prêt à court terme) et la diminuer si le Federal Funds Rate est en-dessous du taux cible. Le déroulement des OMOs est à quelques nuances près le même dans la zone euro, au Japon ou en Angleterre.

planche à billetPeu après la crise, le marché interbancaire s’est rapidement vu privé de liquidité. Les banques ne souhaitaient plus se prêter leurs réserves en excès (« hoarding of liquidity »). Elles ne désiraient plus non plus prêter aux ménages ou aux entreprises. La baisse des taux d’intérêts nominaux à 0% (« zero lower bound ») peu après la crise ne modifia pas la situation. Une première solution, étudiée dans un précédent article consiste à jouer sur l’anticipation des taux d’intérêts de court terme futur via le forward guidance. Une seconde solution est de mettre en place une politique d’assouplissement quantitatif ou QE. Lors d’un QE, la banque centrale met en place un vaste programme d’achat d’actifs ciblés, généralement d’obligations (ABS, MBS, agency securities, government securities, covered bonds…). Concrètement, la banque centrale va augmenter la taille de son bilan. En effet, l’actif acheté par la banque centrale vient s’inscrire à l’actif de son bilan et se traduire au passif par un accroissement égal des réserves des institutions financières qui détiennent un compte auprès de la banque centrale (« depositary institutions»). Ainsi, par exemple, si la banque centrale achète une obligation au prix de 100, cela va se traduire par une augmentation de 100 dans les réserves à la banque centrale de l’institution financière qui lui a vendue cette obligation Plus le taux de réserves obligatoire sera faible, plus la création monétaire potentielle sera importante. Ainsi, si le taux est de 10%, la banque pourra prêter pour un montant de 1000 à des ménages ou à des entreprises[1]. Plusieurs canaux de transmission ont été répertoriés par Joyce et al. (2011) ou Krishnamurthy et al. (2014)[2]. Il y a tout d’abord un effet de signal (« signalling channel ») : cette annonce d’achat d’actifs traduit une direction plus accommodante de la politique monétaire et ainsi on peut s’attendre à ce que les taux d’intérêts restent proche de 0% pour la durée du programme (Cf. Article sur le forward guidance). L’effet de rééquilibrage du portefeuille (« portfolio balance channel ») est particulièrement fondamental au Japon[3] : en achetant un certain type de titre, par exemple des bons du Trésor, la banque centrale augmente la demande et donc le prix de ces titres, le rendement ou taux de ceux-ci vont donc baisser. En conséquence, l’institution financière va devoir diversifier son portefeuille si elle veut conserver le même rendement : celle-ci va donc se tourner vers des actifs plus risqués tels que des obligations d’entreprises ou des actions. L’effet de richesse en découle : en augmentant le prix des actions et en baissant le taux des obligations, les conditions de financement des entreprises s’améliore et la richesse des agents augmente, ils devraient ainsi théoriquement consommer et investir d’avantage. L’effet de liquidité est notable : en injectant massivement des liquidités dans l’économie, la banque centrale contribue à réparer les canaux de financement classique (OMO) en augmentant les réserves des banques auprès de la banque centrale. Le QE a également un impact sur les contraintes de financement des Etats: en achetant massivement des obligations d’Etat, la banque centrale fait baisser le taux d’intérêt de celles-ci et ainsi desserre la contrainte de financement pour l’Etat en question. En outre, ce geste rassure les marchés financiers et éloigne les risques de spéculations. Enfin, le QE provoque un effet sur le taux de change : en augmentant la masse monétaire de l’économie, la banque centrale peut contribuer à la dépréciation de sa monnaie et ainsi à la relance des exportations. Ce dernier effet découle de deux mécanismes : d’une part en augmentant la quantité d’une monnaie relativement aux autres, celle-ci perd mécaniquement de la valeur, d’autre part à travers l’effet de portefeuille. Les institutions financières peuvent décider de remplacer les bons achetés par la banque centrale dont le rendement diminue par des actifs étrangers plus risqués, cela se traduit par une vente de monnaie locale donc par une dépréciation.

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LA4  Lire aussi : Comprendre les nouvelles politiques monétaires : le forward guidance

 

QUELLES SONT LES SPÉCIFICITÉS NATIONALES D’INTERVENTION ET QUELS ONT ÉTÉ LES RESULTATS SUR LES ECONOMIES ?

 

Aux Etats-Unis, cette politique de QE est appelée le large-scale asset purchase (LSAP). Elle a été mise en place par la FED, alors dirigée par Ben Bernanke, en novembre 2008 (LSAP 1) deux mois seulement après la faillite de la banque Lehman Brothers. 600 milliards de dollars de MBS (Mortgage backed securities) et d’agency securities (titres émis par les government sponsored entreprises ou GSEs, les deux plus connues étant Freddie Mac et Fannie Mae, il peut s’agir de MBS ou d’obligations) sont achetés par la FED. En mars 2009, le FOMC (Federal Open Market Committee) décide d’augmenter son programme d’achat d’actifs à 1250 milliards de dollars de MBS émis par les GSEs (agency MBS), 200 milliards de dollars de dettes d’agence et 300 milliards de dollars de dettes publiques de plus long terme. En novembre 2010, le FOMC annonce un achat de 600 milliards de dollars de dette publique de long terme (LSAP 2). En septembre 2011, le FOMC introduit une variation du LSAP, le MEP (Maturity Extension Program) qui s’est traduit par un achat de 400 milliards de dollars d’obligations publiques de long terme et par une vente d’obligations publiques de plus court terme. Il s’agit ici d’une opération Twist (OT), pas d’un QE car il n’y a pas de création nette de monnaie, ni d’augmentation du bilan de la banque centrale. La vente d’actifs de court terme sert à l’achat d’actifs de long terme. Le LSAP 3 est lancé en septembre 2012 et s’est achevé en octobre 2014. Il s’est traduit par un achat de 40 milliards de dollars d’agency MBS par mois, complété par un achat de 45 milliards de dollars par mois d’obligations publiques de long terme. En règle générale, les études empiriques effectuées montrent que ces mesures se sont traduites par des baisses sensibles des taux des obligations publiques de long terme. Trois études, Pandl (2012), Meyer & Bomfim (2012) et Li & Wei (2012) quantifient l’impact des deux premiers LSAP : ils auraient permis une baisse comprise entre 80 et 120 points de base sur les taux des bons du Trésor à 10 ans. De nombreuses études montrent également que les LSAP ont permis une baisse importante des taux des obligations d’entreprises et des MBS de même qu’ils auraient permis une hausse sensible des indices boursiers. À titre d’exemple, le S&P 500 a triplé de valeur depuis mars 2009.bernanke-helecopterDe manière plus générale, Chung & Al (2012) et d’autres montrent que les deux premiers LSAP auraient permis une augmentation du PIB de près de 3% et auraient permis la création de plus de deux millions d’emplois[4]. Du point de vue strictement bancaire, les résultats sont contrastés. Si les achats d’actifs risqués de la FED (notamment des dettes et MBS de Freddie Mac et Fannie Mae) ont pu assainir le bilan des banques commerciales il apparaît que la plupart d’entre elles aient souhaités conserver leurs réserves plutôt que de créer de nouveaux prêts.[5] Ceci est notamment dû à une mesure prise par la FED en octobre 2008 qui consiste à commencer à payer des intérêts sur les réserves, pour éviter un déversement trop rapide des liquidités dans l’économie. En juillet 2015, selon la FED, les banques disposent d’environ 2500 milliards de dollars de réserves en excès ce qui veut dire que la masse monétaire pourrait potentiellement augmenter de 25000 milliards de dollars (le taux de réserve obligatoire étant de 10% aux États-Unis). Il y a donc encore des marges de manœuvres pour relancer l’inflation qui est à 0,2% en juillet 2015. D’autres études ont examiné les effets hors des frontières américaines des politiques de QE. Parmi celles-ci, une étude récente parue en 2015 de la Bank for International Settlements (BIS) montre que les politiques de QE aux Etats-Unis auraient aidé les marchés financiers mondiaux à se stabiliser après la crise et auraient contribué à éviter à l’économie mondiale de chuter plus encore dans la récession et la déflation. Néanmoins, elle montre également que les effets ont été inégaux dans l’espace et dans le temps. Ainsi, ils auraient contribué de manière générale à aider dans une mesure plus grande les pays émergents que développés même si des nuances sont à effectuer. En 2010-2011, le QE américain aurait ainsi contribué à créer des pressions inflationnistes (« overheated economy ») en Chine et au Brésil[6].

LA4  Lire aussi : Quelles conséquences à la dévaluation du Yuan ?

En Angleterre, le premier programme de QE a été lancé par Sir Mervyn King en janvier 2009 et a pris fin en octobre 2012, son nom : l’Asset Purchase Facility (APF). Ce programme d’achat se concentre sur les titres souverains britanniques bien qu’il laisse également place à l’achat d’obligations d’entreprises. Il s’est élevé à 375 milliards de livres. Les effets ont été similaires à ceux observés aux Etats-Unis. Une étude de 2011 de la banque d’Angleterre montre que le QE a permis une baisse sur les rendements à 10 ans des obligations souveraines ce qui se traduit selon les modèles économétriques par une augmentation de 1,5 point de PIB et une hausse de 1 point de l’inflation. Plus récemment, Baumeister et Benati (2013) ont montré en utilisant des estimations contrefactuelles que sans le QE, l’inflation aurait chutée à -4% et le taux de croissance anglais au premier trimestre 2009 à -12%[7]. Il convient de souligner néanmoins que l’impact sur le taux de change de la livre a été dans le sens d’une appréciation contrairement à ce qui s’est passé dans les autres pays. Enfin, l’augmentation des crédits bancaires a été très modeste, tout comme aux Etats-Unis.

Au Japon, un premier QE a été lancé en octobre 2010, il s’agissait de l’APP (Asset Purchase Programme) qui s’est traduit par des achats d’obligations d’État japonaises et d’entreprises privées. Il a atteint un total de 72000 milliards de yens pour un objectif de 80000 milliards et fut interrompu en mars 2013. Pour le remplacer, un QE bien plus ambitieux, surnommé QQE (Quantitative and Qualitative Easing) a été lancé par le nouveau gouverneur de la BoJ Haruhiko Kuroda, en avril 2013. L’objectif est tout bonnement de doubler la base monétaire du Japon en deux ans. Nous détaillerons dans un prochain article les spécificités de cette révolution monétaire qui constitue une des trois flèches (« arrows ») des Abenomics du premier ministre actuel du Japon, Shinzo Abe. japanese-pm-shinzo-abeLe côté quantitatif provient donc du programme d’achats de 50000 milliards de yens (soit environ 411 milliards de dollars) par mois (QQE 1) puis de 80000 milliards de yens (soit environ 657 milliards de dollars) par mois à partir d’octobre 2014 (QQE 2). Il convient de noter que le QQE 2 est le seul programme de QE qui a été lancé pour une durée indéterminé (« open ended »). Le côté qualitatif provient de la hausse des achats d’obligations d’Etat mais aussi de la diversification du portefeuille de la BoJ qui s’est traduit par des achats d’actifs plus risqués tels que des effets commerciaux, des obligations d’entreprises, des titres d’OPCVM indiciels (Exchange Traded Funds ou ETFs, qui ont pour but de reproduire des indices boursiers, il s’agit donc d’une gestion passive de portefeuille) ou des titres de fonds de placement immobilier qu’on appelle des « Real estate investment trusts » ou REITs. Les études menées sur le QQE1 montrent que les rendements des bons du Trésor japonais (JGB pour Japonese Government Bond) ont baissé et que les marchés d’actions ont été poussés à la hausse. De plus, il a contribué à affaiblir le yen. Mais l’impact sur l’économie réelle et l’inflation ont été faibles. En effet, les exportations n’ont pas réagi à la dépréciation du yen et la demande de crédit des ménages et des entreprises est restée faible malgré des taux très bas (obligations et emprunts). En outre, malgré une multiplication par près de deux du cours des actions, l’effet de richesse est resté limité car peu de citoyens japonais sont détenteurs de titres[8]. Les anticipations d’inflation tendent néanmoins, selon des estimations récentes, à converger vers 1%[9] (pour un IPC de 0.387% en juillet 2015).

Euro signLe risque de déflation, soutenu par des taux de chômage encore élevés, dans la zone euro a encouragé la BCE à mettre en place à son tour une politique de QE. Afin de lutter contre l’inflation et relancer la croissance, La BCE avait tenté de mettre en place d’autres types de programme auparavant comme les 2 TLTROs (Targeted Longer-Term Refinancing Operations) de septembre et décembre 2014. Sur le modèle des LTROs qui avaient été lancés en 2011 et 2012 pour un montant de 1000 milliards d’euros, ces prêts de long terme – trois ans pour les LTRO et quatre ans pour les TLTRO – à des taux d’intérêts égaux à ceux des MRO (Main refinancing operations qui sont les OMOs de la BCE) plus 10 points de base[10], avaient pour but de palier à l’insuffisance de liquidité sur le marché interbancaire dans le cas des LTRO et de lutter contre l’inflation et de relancer la croissance dans le cas des TLTROs. L’opération s’est révélée décevante : seuls 212,6 milliards d’euros ont été utilisés par les banques sur un total de 400 milliards promis par Mario Draghi. De même, la diminution du taux de rémunération des dépôts qui est devenu négatif en juin 2014 (-0,1%, -0,2% aujourd’hui) n’a pas été très efficace. Notons d’ailleurs que cette innovation de la BCE a provoqué une diminution de plusieurs centaines de milliards d’euros des dépôts. Ce qui s’est donc traduit par une baisse du bilan de la BCE et ironiquement interprété comme un signe que la politique monétaire devenait moins accommodante[11] ! Deux annonces exprimées lors du conseil des gouverneurs (Governing Council) du 22 janvier 2015 allaient changer les choses. D’une part, le taux d’intérêts des TLTROs a été amputé des 10 points de base supplémentaires évoqués plus haut mais surtout la BCE a annoncé le lancement prochain et tant attendu d’un programme de QE surnommé Public sector purchase programme (PSPP). Un premier programme similaire avait été lancé en mai 2010 le Securities Markets Programme (SMP), la BCE avait acheté 220 milliards d’obligations du Portugal, de la Grèce, de l’Italie, de l’Espagne et de l’Irlande mais il fut accompagné par une opération de stérilisation. C’est-à-dire que peu après avoir injecté 220 milliards d’euros dans les réserves des institutions financières, la BCE a vendu des titres pour 220 milliards d’euros.mario-draghiIl n’y a donc pas eu d’augmentation de bilan. Le PSPP devait débuter en mars 2015 et soit s’achever en septembre 2016. L’ensemble des achats doit conduire à une hausse de 1100 milliards d’euros du bilan de la BCE. La BCE achètera des obligations sécurisées (covered bonds), des ABS (Assets Backed Securities), des titres souverains et des titres émis par des agences supranationales. La BCE prévoie des achats de titres pour un montant de 60 milliards d’euros par mois. Les titres achetés auront des maturités de 2 à 30 ans et contrairement au SMP, tous les pays de la zone euro sont éligibles à ce QE.[12] Selon le FMI, les rendements (ou les taux) des obligations souveraines à 10 ans en Allemagne, en Italie et en Espagne entre autres ont commencé a diminuer après le discours de Mario Draghi au Jackson Hole Symposium d’août 2014 au cours duquel il avait déclaré : « The Governing Council will […] use all the available instruments needed to ensure price stability over the medium term ». Les taux auraient continué de baisser après l’annonce officielle du lancement du PSPP en janvier 2015. En mars 2015, plus de 30% des obligations souveraines de la zone euro de court ou de long terme avaient des rendements négatifs. Le QE aurait également entraîné une hausse des marchés d’actions via l’effet du rééquilibrage de portefeuille ce qui pourrait conduire à une hausse de la demande via un effet de richesse[13]. Même si Stephen S. Roach note dans un article de 2015 que l’effet de richesse sera forcément plus réduit en Europe qu’aux Etats-Unis du fait de la relative faible proportion de détenteur individuel d’actions dans cette région. Enfin, le QE aurait eu un impact positif sur les anticipations d’inflations mesuré par l’évolution des taux d’intérêts des swaps d’inflation[14].

Toutefois, certains rapports comme celui réalisé par le Center for European Policy Studies (CEPS) reprochent aux précédentes études de n’avoir pris en compte que les aspects nationaux des QE. Or les marchés financiers mondiaux sont intégrés et en particulier les taux d’intérêts de long terme ont suivi une trajectoire baissière commune depuis les années 1990. En particulier, les auteurs montrent que les LSAP 1 2 et 3 menés aux États-Unis se sont traduits par des baisses de taux d’intérêt de long terme moindres que dans la zone euro alors que la BCE n’avait même pas encore lancée son PSPP. Les baisses de taux d’intérêt de long terme seraient dues à des évolutions de long terme indépendantes des politiques de QE. Ce dernier serait donc en fin de compte inefficace[15].

LA4  Lire aussi : Quel sera l’impact de la hausse des taux d’intérêts de la Fed ?

 

QUELS SONT LES RISQUES ASSOCIES AU QE ?

bon du trésorLors d’un discours exprimé lors de l’édition 2012 du Jackson Hole Symposium, Ben Bernanke identifiait plusieurs risques potentiels liés à cette politique[16]. Le QE pourrait tout d’abord entraver le bon fonctionnement des marchés d’obligations. En effet, les obligations telles que les bons du Trésor n’existent pas en quantité illimitée. Si la FED en achète trop, les échanges de bons du Trésor pourraient s’arrêter. Plus personne ne souhaitant acheter de bons du Trésor, la liquidité de ceux-ci diminuerait, c’est-à-dire la possibilité de convertir ces bons en argent, ce qui pourrait se traduire par une augmentation des primes de liquidité et donc par une augmentation des taux de long terme ce qui irait à l’encontre du QE. En outre, le QE pourrait menacer la stabilité financière. La baisse des taux de long terme pourrait en effet encourager les agents à s’endetter de façon inconsidérée et ainsi pousser à la hausse le prix des actifs, déjà soutenu par l’achat de titres des banques centrales (via l’effet de rééquilibrage du portefeuille notamment). La banque centrale pourrait également enregistrer des pertes dû à une baisse du prix des titres (ou hausse des taux d’intérêts de long termes) ce qui obligerait théoriquement les Etats à recapitaliser leurs banques centrales.

Un autre risque évoqué par Mario Draghi, toujours à l’occasion du Jackson Hole Symposium d’août 2014, est que la mise en place du QE pourrait amener les gouvernements à repousser la mise en place de réformes structurelles pourtant nécessaires au retour d’une croissance durable (flexibilisation du marché du travail dans la zone euro, féminisation du marché du travail au Japon, libéralisation de certains secteurs, stimulation de l’innovation).

Alexander Friedman, CEO du fonds de gestion d’actifs GAM Holding, évoque une autre menace. De nombreux investisseurs institutionnels tels que les fonds d’assurance vie ou les fonds de pension, qui n’investissent que dans des actifs non risqués tels que des obligations souveraines pourraient ne plus parvenir à obtenir des rendements suffisants. Une hausse de 1% des taux de long terme aurait permis un gain évalué entre 40 et 50 milliards de dollars par an pour ces investisseurs. Ces derniers ont dû se tourner vers des actifs plus risqués tels que les effets de commerce ou les actions (rééquilibrage du portefeuille). Or la volatilité des marchés d’actions constitue un risque majeur pour ces investisseurs. Le moindre choc, un arrêt du QE ou un krach boursier étranger (pensons à la Chine en ce moment) provoquera une chute douloureuse des marchés d’actions. Cette prise de risque très importante arrive en plus au moment où Europe, États-Unis et Asie sont touchés par le vieillissement démographique et donc par une demande croissante de rendement et de liquidité. Les États seront-ils capable de renflouer ces investisseurs étant donné leur niveau déjà très élevé d’endettement ? Rien n’est moins sûr[17]

Un dernier risque évoqué par de nombreux économistes et notamment par Raghuram Rajan, actuel chairman de la RBI (Reserve Bank of India), est celui de l’instabilité financière internationale qui pourrait découler des politiques de QE. L’internationalisation des capitaux a rendu les économies interdépendantes. Les politiques de QE, si elles se prolongent trop, peuvent engendrer des effets hors des frontières des pays émetteurs, notamment sur la volatilité du prix des actifs dans les pays émergents (Cf. l’étude de la BIS citée plus haut). Les taux de changes maintenus à la baisse par le QE participent également de politiques compétitives déstabilisantes pour l’économie mondiale. Il serait préférable de mettre en place une plus grande coopération entre les banques centrales et de sortir d’un chacun pour soi potentiellement dévastateur. Une telle coopération permettrait de mieux prendre en compte les potentiels dommages collatéraux liés à la sortie des QE. Ceux-ci ont déjà pu être tragiquement observés lors de la sortie annoncée puis effective du LSAP 3 sur les devises et spreads souverains de nombreux pays émergents[18]. Si la FED est effectivement sortie du QE il y près d’un an maintenant, l’augmentation des taux directeurs de la banque centrale américaine n’est toujours pas d’actualité. La décision prise par le FOMC le 16 et 17 septembre 2015 dernier soulève de nouvelles questions : y aura-t-il vraiment une augmentation des taux en 2015 comme le Commitee l’a laissé entendre ? Est-ce pertinent de ne pas les relever immédiatement au vu d’un taux de croissance prévu pour 2015 de près de 3,7% et d’un taux de chômage de 5,1% aux Etats-Unis ? Plus généralement, les banquiers centraux occidentaux ne devraient-ils commencer à envisager la mise en place de nouvelles politiques monétaires non accommodantes ?

 

Charles Dognin, étudiant à l’ESCP et Contributeur du blog AlumnEye

 

 

 

[1] NORBERT Michel and MOORE Stephen, BACKGROUNDER, « Quantitative easing, the Fed’s Balance Sheet and Central Bank Insolvency”, 2014
[2] OFCE, « Que peut-on attendre de l’assouplissement quantitatif de la BCE ? », 2015
[3] IMF, « Portfolio Rebalancing in Japan : Constraints and Implications for QE », 2015
[4] Bernanke Ben, “Monetary policy since the Onset of the Crisis”, 2012
[5] NORBERT Michel and MOORE Stephen, BACKGROUNDER, « Quantitative easing, the Fed’s Balance Sheet and Central Bank Insolvency” ,2014
[6] BIS Working paper, «Financial crisis, US unconventional monetary policy and international spillovers », 2015
[7] CEPS POLICY BRIEF, “Lessons from quantitative easing : much ado about so little?”, 2015
[8] IMF, « Portfolio Rebalancing in Japan : Constraints and Implications for QE »,2015
[9] IMF, Global Financial Stability Report, “Navigating Monetary Policy Challenges and Managing Risks”, Chapter 1, April 2015
[10] http://bruegel.org/2014/09/t-ltro-variation-on-a-ecbs-theme/
[11]CEPS POLICY BRIEF, “Lessons from quantitative easing : much ado about so little?”, p25, 2015
[12] OFCE, « Que peut-on attendre de l’assouplissement quantitatif de la BCE ? », 2015
[13] ROACH Stephen S, « The Lemmings of QE », Project syndicate, 2015
[14] IMF, Global Financial Stability Report, “Navigating Monetary Policy Challenges and Managing Risks”, Chapter 1, April 2015
[15] CEPS POLICY BRIEF, “Lessons from quantitative easing : much ado about so little?”, p25, 2015
[16] BERNANKE Ben, “Monetary policy since the Onset of the Crisis”, 2012
[17] FRIEDMAN Alexander, « Today’s Dark Lords of Finance », Project Syndicate, 2015
[18] RAJAN Raghuram, « Containing competitive monetary easing », Project Syndicate, 2014