Zoom sur : Matthieu Pigasse, le punk de la finance chez Centerview Partners

Il fut longtemps l’oxymore vivant de la place financière parisienne. Un haut fonctionnaire converti à l’élite du M&A. Un banquier de gauche en costume noir, qui cite Nietzsche et joue à Zelda. L’énarque insomniaque qui rachetait Les Inrocks le jour, restructurait la dette grecque la nuit. Matthieu Pigasse est une figure à part, à la frontière mouvante entre stratégie et culture, pouvoir et contre-pouvoir.

Depuis 2020, il a troqué les ors de Lazard pour les lignes sobres de Centerview Partners, boutique d’élite venue de Wall Street, qu’il implante à Paris avec une ambition claire : bâtir un bastion français du conseil stratégique, à l’image de ce qu’il fut chez Lazard, mais en plus libre. Moins empire, plus commando.

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Un homme d’État passé à la banque

Matthieu Pigasse n’est pas tombé dans la finance par accident. Il l’a rejointe par glissement. D’abord haut fonctionnaire à la Direction du Trésor, conseiller technique de Dominique Strauss-Kahn, puis directeur adjoint du cabinet de Laurent Fabius, il fut de ces jeunes technocrates formés à piloter l’économie comme un organisme vivant. À 34 ans, en 2002, il entre chez Lazard. La banque ne le sait pas encore, mais elle vient d’embaucher son futur chef d’orchestre.

Là, il crée un groupe unique en son genre : le Sovereign Advisory Group, cellule dédiée aux dettes publiques. Pigasse devient rapidement l’homme des missions impossibles. Il renégocie la dette argentine (2002), puis celle de l’Irak post-Saddam (2004), avant de conseiller l’Équateur, la Grèce, la Bolivie. À l’heure où la plupart des banquiers fuient les États insolvables, lui y voit la grande politique économique, celle où l’on écrit l’histoire entre deux lignes de dette.

Parallèlement, il monte en puissance dans le M&A traditionnel. Il conseille Danone, GDF-Suez, L’Oréal, Vivendi, souvent dans des transactions qui redessinent le paysage industriel français.

En 2015, il prend les rênes mondiales du M&A et du Sovereign Advisory. Il est alors l’un des très rares Français à diriger une activité globale dans une banque d’affaires internationale. Une anomalie. Et comme souvent, il l’assume.

Centerview : la revanche tranquille

Mais les grandes maisons fatiguent les esprits libres. En 2019, Pigasse quitte Lazard. La rupture est discrète mais nette : il veut du neuf. Il choisit Centerview Partners, boutique new-yorkaise redoutée pour sa sélectivité. L’enseigne refuse les conflits d’intérêt, ne prête pas, ne trade pas. Juste du conseil. De la pensée, de la stratégie, de la parole.

À Paris, il monte une équipe resserrée avec Nicolas Constant (ex-Lazard aussi), installe ses bureaux avenue Hoche, et cible sans détour le CAC 40. Pari réussi. En 2021, Centerview devient numéro 1 du M&A en France par volume. Depuis, elle enchaîne les mandats auprès de Sanofi, Carrefour, LVMH, tout en développant une offre inédite en Europe : le conseil aux gouvernements, niche sur laquelle Pigasse revient en force.

Sous sa direction, Centerview Paris n’est pas une succursale. C’est un think tank transactionnel, où la géopolitique croise la finance d’entreprise. Où les stratégies d’État se rédigent avec les outils du M&A.

L’éternel punk de la République

Mais Pigasse n’est pas qu’un banquier. Il est une grammaire en soi. Depuis 15 ans, il investit dans les marges : la presse (Le Monde, Les Inrocks), la musique (Rock en Seine, Eurockéennes, Golden Coast), les médias jeunes (Vice, Deezer), les distributeurs alimentaires (Teract, avec Xavier Niel). Il lance même un SPAC culturel, I2PO, rare tentative d’unir finance et pop culture sur les marchés cotés.

Il dort peu, lit beaucoup, évite les dîners inutiles. Lorsqu’on l’interroge sur son positionnement politique, il préfère parler de « cohérence esthétique » plutôt que d’engagement partisan. Il ne veut pas convaincre, seulement exister pleinement.

Pigasse agace autant qu’il fascine. Mais personne ne nie sa trace. Chez Lazard, il a redonné un cap. Chez Centerview, il invente un nouveau modèle. Chez lui, la finance n’est pas un culte, c’est un instrument de puissance. Et c’est précisément ce que les étudiants, les candidats, les aspirants banquiers doivent comprendre : le banquier moderne n’est plus un exécutant. Il est un auteur.

Ses dates clés
  • 1968 : Naissance à Clichy (Hauts-de-Seine).
  • 1992 : Entrée à l’ENA après Sciences Po.
  • 1994 : À la sortie de l’ENA, il est nommé en tant qu’administrateur à la Direction du Trésor. Il est chargé de la gestion de la dette et de la trésorerie de l’Etat.
  • 1998 : Conseiller technique de Dominique Strauss-Kahn.
  • 2000 : Directeur adjoint du cabinet de Laurent Fabius chargé des questions industrielles et financières à 32 ans.
  • 2002 : Il est élu associé-gérant de Lazard à 34 ans.
  • 2003 : Il prend la tête de l’activité de conseils aux gouvernements, le Sovereign Advisory Group.
  • 2009 : Codirecteur général de Lazard France.
  • 2015 : Responsable mondial des activités M&A et Sovereign Advisory pour Lazard.
  • 2019 : Démission de Lazard pour poursuivre d’autres ambitions personnelles.
  • 2020 : Co-dirige le bureau parisien de la banque d’investissement Centerview Partners.

 

 

Hadrien Comte, étudiant à HEC Paris et Contributeur du blog AlumnEye

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