Alors que le monde du Private Equity se réjouissait encore de la structuration du huitième flagship de PAI Partners à 7,1 milliards d’euros en novembre, le gestionnaire canadien d’actifs Brookfield vient de clôturer la collecte pour son fonds Brookfield Infrastructure Fund V valorisée à près de 30 milliards d’euros, dont 2 pour les instruments de co-investissement. Sam Pollock, PDG de Brookfield’s Infrastructure Group, a commenté : « Avec un élan significatif dans le secteur grâce à des modèles d’investissement sur plusieurs décennies, nous sommes enthousiastes à l’idée de déployer le capital restant du Fonds et de créer de la valeur à long terme pour nos investisseurs ». Ces perspectives reflètent non seulement la confiance dans la trajectoire actuelle du secteur, mais signalent également l’approche proactive de Brookfield visant à tirer parti d’enjeux industriels durables au profit de ses investisseurs.

Brookfield Asset Management en un coup d’œil

Le fonds d’investissement originaire de Toronto est l’un des gestionnaires d’actifs alternatifs les plus importants et à la croissance la plus rapide au monde. Le fonds co-fondé en 1899 par les ingénieurs ferroviaires Mckenzie et Stark Pearson se distingue par plus de 100 ans d’histoire d’investissement en Real Estate et en infrastructures. Les 1 200 investisseurs qui composent le groupe possèdent, exploitent et investissent dans 30 pays à travers les 5 continents dans des actifs liés à l’immobilier, aux énergies renouvelables et à l’électricité, aux infrastructures et au capital-investissement. L’entreprise dispose de plus de 850 milliards de dollars canadiens ( soit environ 589 milliards de dollars américains) d’actifs sous gestion et opère depuis leur siège à Ontario dans la région EMEA, les Amériques et l’Asie-Pacifique par l’intermédiaire de ses bureaux aux États-Unis, au Canada, au Royaume-Uni, en Inde, en Chine, aux Émirats arabes unis, en Australie, en Colombie et au Brésil. Si Brookfield A.M. ne figure pas – pour le moment – dans le top 10 des gestionnaires d’actifs à travers le monde, il n’en reste pas moins un concurrent de taille dans le secteur des infrastructures ! En effet, le groupe alloue près de 25 % du montant total de ses actifs à des investissements au sein de quatre divisions clé : les transports, les TMT (Technologies – Media – Télécommunications), les Utilities (Énergie et services publics) et le Midstream (Industrie intermodale).

Portfolio Infrastructure de Brookfield A.M.

Pour illustrer cet intérêt pour le secteur des infrastructures, il serait judicieux de se pencher sur le portfolio de Brookfield A.M. en infra.

— Dans les transports : En 2020, dans le cadre d’une transaction valorisée à environ 6,4 milliards de dollars, dette comprise, l’opérateur ferroviaire Genesee & Wyoming (G&W) Inc. a été racheté par un consortium de fonds de Private Equity composé de Brookfield Infrastructure et du fonds souverain singapourien GIC. Avec un portefeuille de 120 chemins de fer de courtes distances, G&W fournit des services d’infrastructure de transport essentiels sur plus de 26 000 kilomètres de voies ferrées. G&W donne accès à sa base de clients bien diversifiée principalement en Amérique du Nord, et des exploitations en Europe et en Australie.

— Dans les TMT : En 2019, dans le cadre d’une transaction d’un montant de 1,8 milliard de dollars, le fonds américain de Growth Equity Great Hill Partners a cédé l’opérateur brésilien de data centers Ascenty à Brookfield Infrastructure. Ce dernier s’est associé au REIT (Real Estate Investment Trust) Digital Realty Trust spécialisé dans la gestion locative des data centers pour finaliser la participation. Le consortium acquéreur a établi un plan de financement sur 10 ans pour investir 425 millions de dollars supplémentaires afin de financer les projets de développement de data centers pour les géants de la Big Data américaine. Brookfield s’est engagé à hauteur de 49 % du capital de cette société.

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— Dans les Utilities & le Midstream Stage : L’une des transactions les plus importantes pour Brookfield Asset Management dans le segment des pipelines est la vente prévue de sa participation majoritaire dans l’entreprise brésilienne de travaux publics Nova Transportadora do Sudeste (NTS). Selon un teaser obtenu par le média BNamericas qui couvre les deals M&A de la région sud-américaine, la transaction devrait osciller entre 4,7 et 5,7 milliards de dollars. Brookfield avait dirigé un consortium d’investisseurs qui a acheté 90 % de NTS en 2017 à Petrobras pour environ 5 milliards de dollars. NTS exploite un réseau de gazoducs de 2 000 kilomètres et d’une capacité de 158,2 millions de m³/j, desservant la région du Sud-Est, qui concentre plus de la moitié de la demande nationale de gaz. Son réseau de gazoducs est certainement le plus puissant de la région. Compte tenu de la qualité et de la rareté de cet actif, il pourrait à la fois attiser l’intérêt chez de grands gestionnaires de capitaux et investisseurs institutionnels. Cependant, la taille pourrait être un problème pour les investisseurs stratégiques qui pourraient voir leurs ambitions freinées par les autorités anti-trust pour entrave à la concurrence. Le groupe Brookfield a déjà rencontré des difficultés pour vendre des actifs au Brésil par le passé. Au début de l’année, il a suspendu le processus de vente de sa société d’énergie Elera après avoir reçu des offres bien en deçà de ses attentes.

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Une levée de fonds à contre-courant ?

Alors qu’en octobre dernier le bon du Trésor américain à 10 ans – US10Y – a atteint des niveaux records ayant dépassé pour la première fois le cap symbolique des 5%, la levée de fonds de Brookfield A.M. peut sembler étrange au vue de la conjoncture. En effet, la hausse des taux d’intérêt a redirigé une partie des investisseurs « Value » vers le marché obligataire où les rendements ont atteint des niveaux très élevés.

Le Value investing est une stratégie qui repose sur des investissements sur le marché des actions dont les fondamentaux sont solides (résultats, dividendes, flux de trésorerie) et qui cotent à un prix bas étant donné leur qualité. Or, l’augmentation des taux d’intérêt a conduit à un bond en avant du Risk Free Rate (taux sans risque). En vertu de quoi, une partie des investisseurs Value s’est délaissée de ce segment originel qui avait du mal à être rentable et à se financer pour se réfugier dans le marché obligataire et monétaire qui se portait mieux. En outre, l’augmentation des taux d’intérêt favorisait principalement les entreprises riches en liquidités, telles que les GAFAM, qui étaient en mesure de tirer parti de la valeur générée par leurs excédents de trésorerie. Cette observation pourrait laisser supposer que la remarquable levée de fonds de Brookfield Asset Management dans le domaine des infrastructures va à l’encontre de cette tendance.

Pour autant, il s’agit d’un investissement refuge. Force est de constater que ce record intervient au moment même où les autres gestionnaires d’actifs ont levé de nouveaux fonds conséquents en infrastructure. Pour n’en citer que quelques uns : Blackstone, KKR, et les investisseurs spécialisés dans les infrastructures, tels que Global Infrastructure Partners, se fixent des objectifs ambitieux pour de nouveaux fonds. À cet égard, GIP vise 25 milliards de dollars pour son dernier fonds d’infrastructure prévu pour le premier semestre 2024.

Dès le début de l’année dernière, quand les banques centrales ont commencé à faire grimper les taux d’intérêt mondiaux pour tenter de juguler l’inflation, de nombreux investisseurs institutionnels et Value ont considéré les infrastructures comme un refuge contre les tendances à la hausse des prix. En effet, ces actifs ont des revenus souvent indexés sur l’inflation bien qu’ils soient financés par une dette à taux fixe. Les investissements en infrastructures présentent alors une corrélation négative avec le marché des actions, c’est ce qui en fait une valeur de couverture par excellence.

En clair, la levée de fonds record de Brookfield A.M. en infrastructures ne sera probablement que la première d’une longue série

Cet investissement intervient à un moment doublement opportun : sur le temps long, il est question d’accélération des re-localisations des activités stratégiques en Occident tandis qu’à court terme, ce sont les objectifs prévus par la COP 28 tenue actuellement à Dubaï. Présidée par Sultan Al Jaber, patron de la compagnie pétrolière Émiratie Adnoc, cette conférence a vu la naissance d’Alterra, premier fonds de financement privé dédié aux investissements ESG dans les infrastructures. Altéra compte parmi ses partenaires privilégiés BlackRock, GIP et Brookfield A.M. et espère lever à terme 250 milliards de dollars. Cela laisse présager que d’autres levées de fonds en infrastructures ne sauraient tarder, pulvérisant de facto le record tenu à date par Brookfield A.M.

Zakaria Bennis, étudiant à l’EM Lyon et contributeur du blog