Le 14 Septembre 2016, la firme allemande Bayer annonce le rachat du très controversé fabricant de pesticides et autres OGM, Monsanto, pour un montant de 66 milliards de dollars. Retour sur cette fusion qui fait déjà scandale.

 

L’histoire sulfureuse de deux géants

La firme Bayer, fondée en 1863, est aujourd’hui un leader mondial des secteurs chimique et pharmaceutique. C’est notamment à la commercialisation de l’aspirine qu’elle doit cette position dominante. Si Monsanto fait bien plus de vagues, la réputation de la firme allemande reste marquée par les zones d’ombre de son histoire. Bayer est en effet issue de IG Farben, qui n’est autre que le fournisseur de Zyklon B – gaz tristement célèbre pour son utilisation dans les camps de concentration – de l’Allemagne nazie. Ce conglomérat s’est par ailleurs adonné au trafic d’êtres humains en achetant des déportés du camp d’Auschwitz afin de réaliser des expérimentations médicales. Si Bayer n’a pas été directement poursuivie, IG Farben fut démantelée et son personnel dirigeant limogé à la suite du procès de Nuremberg. Malgré ce passé, Bayer est aujourd’hui une entreprise puissante aux 30 milliards de dollars de chiffre d’affaires et 100 000 employés à travers le monde, intéressée par Monsanto avec l’ambition de croître davantage.
Champion de l’agrochimie, Monsanto est le numéro 1 des semences, mondialement connu pour son Round Up : désherbant ultra puissant commercialisé depuis 1975. Cette star des ventes est pourtant décriée pour ses effets potentiellement cancérigènes, et plusieurs pays envisageraient d’en interdire la commercialisation. roundupLa mauvaise réputation de Monsanto n’est pas un secret : la firme a d’ailleurs gagné le surnom « d’entreprise la plus détestée du monde » à force de scandales sanitaires.
Depuis octobre 2016, elle est jugée par le « Tribunal Monsanto » – fondé par des juristes avocats et ONG – pour « écocide ». Chaque année est même organisée une « marche mondiale contre Monsanto », dont la dernière édition s’est tenue le 21 Mai 2016 dans plus de 500 villes à travers le monde. Pour autant, la firme américaine reste performante avec 2,3 milliards de dollars de bénéfice net en 2015.

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Un deal aussi coûteux que dangereux

La tentative de rapprochement entre ces deux géants ne fut pas chose facile et a nécessité plusieurs mois de négociations. C’est le nouveau PDG de Bayer, Werner Baumann, qui, dès son arrivée à la tête de l’entreprise, n’a pas caché son intérêt pour Monsanto. Les offres vont alors se succéder dans l’espoir de convaincre les actionnaires de l’agrochimiste. Initialement fixée à 122 dollars par action, puis 125, ça n’est qu’à partir du 6 septembre et une proposition de 127,50 dollars par action que la firme américaine s’est montrée encline à négocier, permettant à Bayer d’accéder à ses comptes détaillés. Afin de conclure un contrat déjà bien engagé, Werner Baumann propose 128 dollars par action, soit une prime de 44% par rapport au cours prévalant au début des négociations.

Racheter Monsanto pour un prix aussi élevé constitue un réel risque pour Bayer. La firme américaine subit de plein fouet la baisse du prix des matières premières et donc des revenus des agriculteurs – affaiblissant la demande en OGM et pesticides. Cela s’ajoute à une contestation de plus en plus virulente de la part des consommateurs.

Cependant, cette fusion représente une occasion unique pour Bayer de dominer le marché agricole mondial, avec 23 milliards de chiffre d’affaires cumulé. La firme allemande mise sur la vigueur du secteur agricole, afin de satisfaire les besoins d’une population mondiale en forte croissance. L’acquisition de Monsanto lui permettra de fournir directement une offre globale aux agriculteurs et de contrôler les 1700 brevets et licences détenus par l’américain. Les nouvelles ventes de semences, d’engrais et de pesticides augmenteront alors l’influence du nouveau géant auprès des agriculteurs.

Le jackpot pour Morgan Stanley

Les actionnaires de Monsanto ne sont pas les seuls grands gagnants de ce rachat. Pour Morgan Stanley – choisie par Bayer comme conseiller sur le deal – cette opération constitue un véritable jackpot. La banque touchera 120 millions de dollars, soit la deuxième plus grosse commission de l’histoire pour un deal M&A. Pour rappel, Merrill Lynch avait touché 122 millions de dollars en 2007, lors du rachat d’ABN Amro par la Royal Bank of Scotland pour 101 milliards de dollars. Il a été décidé que la commission de Morgan Stanley soit payée en trois fois : 24 millions de dollars à la décision de l’accord entre les deux parties, 24 autres millions lors de l’approbation de la fusion par les actionnaires de l’américain, et les 72 millions restants versés à la fin de l’opération prévue d’ici fin 2017.

Comme le fait remarquer le Wall Street Journal, ce joli chèque permettra à Morgan Stanley d’oublier les 60 millions de dollars sur lesquels elle a du faire une croix lors de la fusion avortée entre Pfizer et Allergan. Le mega-deal Bayer-Monsanto fait office de vitrine à l’établissement, qui s’offre la troisième place dans le classement des banques en M&A. Avec 1,2 milliards de dollars générés, elle se place ainsi juste derrière Goldman Sachs et JP Morgan. La société Ducera Partners se « contentera », quant à elle, d’une commission de 45 millions pour son rôle de conseil auprès de Monsanto.

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Un secteur en pleine transformation

L’agrochimie est un secteur en pleine mutation où les fusions se multiplient grâce à la faiblesse des taux d’intérêts qui permettent aux entreprises de s’endetter afin de financer des fusions colossales. Monsanto a, jusqu’à son rachat, joué un rôle de prédateur dans le secteur.

Aujourd’hui, l’agrochimie est un secteur de plus en plus concentré : six entreprises se partagent 75% du marché mondial des pesticides, estimé à 60 milliards de dollars. Pour preuve, Syngenta – un temps la proie de Monsanto – a finalement été rachetée par le chinois ChemChina, les américains DuPont et Dow Chemical ont, quant à eux, fusionné.

Ces mastodontes du secteur jouissent d’un poids accru face aux gouvernements, qui sont alors plus enclins  à autoriser la commercialisation de leurs produits, tout en réduisant l’offre proposée aux agriculteurs. Affaire à suivre donc, d’autant plus que certaines des transactions citées attendent l’approbation de l’autorité de la concurrence.

 

Thomas Henry, étudiant à l’EDHEC et contributeur du blog AlumnEye