Jody Vender est l’un des pionniers du Private Equity en Italie. Diplômé de l’Université Bocconi, il commence sa carrière en 1974 au Bureau des Etudes de la Bourse de Milan. Pendant que le monde de la finance internationale se concentre sur le marché des capitaux, il opte pour un parcours différent afin réaliser ses ambitions. En 1977, il lance le fond d’investissement SO.PA.F, société opérant dans le secteur du Private Equity et Venture Capital, qu’il a gérée jusqu’en 2005. Professeur de Finance à la Bocconi entre 1975 et 2005, il opère aujourd’hui en tant que conseiller pour de nombreuses sociétés. Quant aux investissements italiens, il conseille le fond Chequers Capital. Nous l’avons rencontré pour en savoir plus sur l’origine du Private Equity, ses spécificités italiennes et ses perspectives futures.

 

Quelle est l’origine du Private Equity et quel est son rôle macroéconomique ?

Le Private Equity, en Europe et en Italie, opère sur deux grandes branches. D’abord, le capital-développement, qui s’occupe de guider des entreprises de taille intermédiaire dans un parcours de croissance afin de réaliser une plus-value à la fin de la période d’investissement. Ensuite, le LBO (Leveraged Buy-Out), focalisé sur la réalisation de la plus-value à travers des montages financiers particuliers, pour maximiser le rendement offert aux investisseurs au moment de la sortie de l’entreprise cible. Le capital-développement participe clairement au développement de l’économie réelle (activité de financement aux entreprises), alors que le LBO se compose d’opérations purement financières qui n’ont aucun impact stratégique pour les entreprises.

Le Private Equity est né en Italie au début des années 80 via le capital-développement mais a très vite laissé la place aux LBOs. Le capital-développement implique plusieurs difficultés de gestion qui rendent cette industrie très périlleuse. Les LBOs en revanche sont très attractifs pour les investisseurs, c’est pourquoi ils ont connu un développement beaucoup plus important, devenant aujourd’hui le principal secteur d’activité du marché.

En effet, dans le capital-développement, les fonds achètent en général des parts minoritaires dans les entreprises cibles (à travers des augmentations de capital), ce qui limite leur capacité à prendre des décisions stratégiques, en particulier lorsque les actionnaires majoritaires ont une vision différente. De plus, dans la tradition italienne, la figure de l’entrepreneur-actionnaire et du manager coïncident, tandis que dans les pays anglo-saxons, même les PMEs sont guidées par des managers professionnels, qui ont une vision plus objective de l’entreprise qu’ils gèrent. Les fonds dédiés aux LBOs n’ont pas ce problème de gouvernance : ils acquièrent exclusivement des parts majoritaires qui leur permettent d’orienter la direction stratégique, notamment en choisissant le management de la cible rachetée. Finalement, ce montage financier, qui implique un recours massif à la dette, dégage un effet de levier amplifiant le retour sur investissement. Les fonds LBO sont ainsi très attractifs.

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Comment le marché du Private Equity a-t-il changé depuis sa naissance en Europe ?

Aujourd’hui, en Italie et  plus généralement dans l’Union Européenne, les taux d’intérêt sont très faibles et la croissance économique modeste. Les marchés de capitaux et les actifs traditionnels ne sont plus capables d’offrir le même rendement qu’avant la chute des marchés en 2008. Pour cela, les préférences des investisseurs ont bougé vers des secteurs alternatifs d’actifs, dont le Private Equity fait partie. La demande pour ce genre d’actifs n’a jamais été aussi élevée, alors que le nombre de cibles potentielles se raréfie. Les règles de l’offre et de la demande s’appliquent aussi au Private Equity : le prix d’acquisition des entreprises cibles a fortement augmenté.

Cette situation a produit deux grands changements sur le marché du Private Equity : en premier lieu, les sociétés cibles sont très difficiles à acquérir. Un regard sur les chiffres le vérifie rapidement : 50-60 % des deals réalisés sont secondaires, ce qui témoigne de l’incapacité à convaincre les actionnaires de céder des entreprises opérant dans des secteurs attractifs. En deuxième lieu, le Private Equity risque de perdre sa caractéristique d’investissement à long terme : les sorties sont parfois réalisées après une, voire deux années d’investissement, tandis que l’horizon temporel classique du Private Equity est de sept ans. Les prix d’achat très élevés permettent d’accélérer le processus de vente.

Ces nouvelles tendances doivent se confronter à la situation de credit crunch, qui étouffe l’Europe aujourd’hui et, en particulier, le secteur des LBOs. Le levier financier occupe un rôle central dans le montage LBO, mais aujourd’hui les banques sont moins enclines à courir des risques. Le plafond de dette qu’elles sont prêtes à accorder se limite à 3-4 fois l’EBITDA de la cible, alors qu’avant la crise financière, il allait jusqu’à 6-7 fois. Pour pouvoir proposer aux investisseurs 15% de rendement en moyenne, les fonds de Private Equity parient sur la gestion opérationnelle de la firme, en recrutant les meilleurs managers et en faisant de la croissance.

Pour cela, le secteur du Private Equity est devenu très difficile. Il faut savoir identifier les entreprises cibles avec un potentiel de croissance très élevé et choisir les managers qualifié pour le projet, avec des stratégies de croissance interne ou externe. La gouvernance de l’entreprise est capitale : les fonds LBO recherchent les meilleurs managers pour guider leurs cibles, tandis que le capital-développement se focalise davantage sur des cibles guidées par des entrepreneurs alertes. Les fonds LBO sont les acteurs les plus résilients dans ce contexte, car les caractéristiques de leur business model leur permettent d’avoir une souplesse décisionnelle, contrairement au capital-développement. De plus, les IPOs (stratégie de sortie privilégiée par le capital-développement), ne sont plus si attractives. L’ensemble des opérateurs se concentre sur la vente à des opérateurs industriels ou à d’autres fonds d’investissement, ce qui a favorisé le développement du marché secondaire des LBOs.

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A quels bouleversements s’attendre pour le Private Equity ?

La dimension purement financière, spéculative, qui caractérisait le Private Equity s’est réduite au profit d’un recentrage sur une dimension opérationnelle. Les montages LBO offrent des niveaux de rendement moins élevés en raison du faible niveau de dette négocié avec les banques. La prudence des intermédiaires est selon moi positive car elle oblige les fonds à repenser les stratégies concurrentielles des entreprises en portefeuille. Le montage  financier ne suffit pour dans la réussite de l’opération. Aujourd’hui, il faut savoir être un bon actionnaire et prendre les décisions adéquat.

Toutefois, cette situation n’a pas profité aux fonds de capital-développement, mais plutôt aux fonds LBO, qui vont continuer à grandir, soit en nombre d’opérateurs, soit en chiffre d’affaires. On assiste encore une fois, donc, à une affirmation de la finance « pure » sur la finance positive; elle, liée à l’économie réelle.

Si le marché des LBOs est assez mature, en Italie comme en Europe, cela n’interdit pas sa croissance. Le marché du capital-développement, par contre, est un marché très jeune. Ainsi ses perspectives de développement sont beaucoup plus importantes. Le gouvernement peut aider le progrès de ces opérateurs à travers des mesures incitatives, fiscales ou économiques.

Que conseillez-vous à un étudiant qui s’oriente vers le Private Equity ?

Même si le Private Equity fait rêver la plupart des étudiants, je déconseille fortement un jeune diplômé de débuter sa carrière avec un premier emploi dans ce secteur. À mon avis, le Private Equity est la ligne d’arrivée d’un parcours. Il vaut mieux privilégier une expérience professionnelle permettant de comprendre les problèmes de gestion d’une entreprise. A titre d’exemple, travailler dans la direction financière d’un groupe, en M&A ou en tant que consultant en stratégie est tout à fait cohérent afin d’intégrer le Private Equity.

 

Valentina Guerra, étudiante à NEOMA Business School et contributrice du blog AlumnEye