En 2015, 273.1 milliards d’euros étaient émis sur le marché primaire de la dette en Europe. En un an, les volumes sont en hausse de 10%, et de 114% en 5 ans. Pour s’occuper de ces levées, les entreprises font appel aux banques d’affaires et plus particulièrement à leur département Debt Capital Market, également appelé DCM. Afin de mieux comprendre ce métier transverse, nous avons interviewé un VP du département DCM d’une banque anglo-saxonne qui vous livre son regard sur le métier.

Qu’est-ce le Debt Capital Market ?

Le Debt Capital Market est régulièrement évoqué en même temps que le métier d’Equity Capital Market – couvrant les besoins de financement des entreprises via les marchés actions. Au sein des banques d’investissement, le DCM couvre, lui, les besoins de financement des entreprises via l’émission de dette – sous forme de prêts comme d’obligations. Le DCM propose une alternative à l’émission d’actions tout en s’adressant à un panel de clients plus large que l’ECM, en offrant des solutions de financement aux Etats, fonds souverains et autres clients institutionnels.
Il se situe à mi-chemin entre Finance d’entreprise et Finance de marché. D’une part, l’originateur DCM accompagne les directions financières des sociétés. Chaque émetteur a une qualité de crédit qui lui est propre car dépendante de perspectives microéconomiques. D’autre part, la banque mandatée pour une émission distribue les obligations aux investisseurs sur les marchés. Plus généralement, la classe d’actifs fixed-income est directement influencée par les perspectives macroéconomiques (i.e. le prix d’une obligation baisse si les taux montent).

DebtLe choix d’un financement par emprunt bancaire ou émission de dette – et au détriment des marchés actions – permet à l’emprunteur (dans le cas d’un corporate) de se financer sans transfert de propriété. Les intérêts versés étant déductibles dans le calcul du résultat net, contrairement aux dividendes, ce choix est fiscalement intéressant. Toutefois, contrairement aux dividendes dont le versement n’est pas obligatoire, les intérêts doivent être payés, et ce à échéances régulières. Ces exigences liées aux remboursements de la dette et de son poids dans le bilan accroissent les risques de défaut et de dépôt de bilan, notamment en cas de chute de l’activité.

Le DCM permet aux acteurs incapables d’intervenir sur les marchés actions, de trouver une source de financement via l’émission d’obligations. Les Etats, les institutions supranationales ou encore les fonds souverains ne peuvent en effet céder une partie de leur capital ; ils trouvent dans le marché obligataire une source de liquidités. Traditionnellement, les pays offrant des garanties solides quant aux versements des intérêts et du remboursement de l’obligation – Etats-Unis, Allemagne, France – constituent les plus gros acteurs sur les marchés obligataires. Aux Etats Unis, le gouvernement américain et les institutions qui lui sont rattachées – FANNIE MAE et FREDDIE MAC pour les plus connues, émettrices des fameux Mortgage-Backed Securities – constituent les plus gros émetteurs obligataires des Etats-Unis.

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Comment s’organise un département DCM ?

Le département DCM des banques d’investissement comporte généralement 3 branches. Comme en ECM, l’origination est en charge d’une partie des relations commerciales et du pitching des clients. Cette phase consiste ici principalement à analyser les besoins de financement des clients, de leur dette existante, et de leur rating – notation de la dette contribuant au pricing futur des obligations via le taux d’intérêts rattaché à l’obligation. L’origination implique par ailleurs de déterminer la juste proportion de dette à émettre au vu des conséquences de celle-ci dans le bilan.

structuringLa structuration est en charge de la construction de produits plus sophistiqués nécessitant de répondre à des contraintes davantage techniques. Le service principalement proposé par les équipes en structuration est l’émission de dette hybride. Instrument financier relevant de la dette, la structuration reprend certaines caractéristiques des capitaux propres : possibilité de conversion de la dette, de suspension des intérêts… Elle permet notamment à l’émetteur de revoir le calcul de certains ratios.

Enfin, l’équipe en charge de la syndication – mode de financement mis en lumière par Jimmy Lee – fait office d’intermédiaire entre l’entité ayant des besoins de financement considérables, et un groupe de banques se partageant le prêt accordé. Dans ce cas, la taille dudit prêt comporte un risque trop important pour être couvert par une seule banque et c’est l’établissement en charge de la syndication qui organise la création du pool d’investisseurs et définit les modalités du financement.

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Comment s’articulent tes journées ?

Il n’y a pas de journée type, mais les matinées sont plutôt dédiées aux exécutions et mises à jour de données de marché, alors que les après-midis permettent plus facilement de pitcher ou d’effectuer un travail en chambre. La charge de travail fluctue en fonction de l’activité des marchés et de l’époque de l’année : le marché primaire est traditionnellement au ralenti en août ou décembre. Je définirais les horaires comme étant à mi-chemin entre finance de marché et finance d’entreprise, avec des journées débutant à 08h30, et durant en moyenne 11h-12h.

Qu’est ce qui t’a fait opter pour le DCM, comparé à d’autres métiers de la banque d’affaires ?

Contrairement au M&A et à l’ECM, le DCM offre des contacts clients tôt dans une carrière. Il expose à un grand nombre d’opérations – pour schématiser, chaque émetteur a une seule action mais plusieurs obligations – et est mécaniquement influencé par l’environnement macroéconomique. Les horaires de travail sont relativement réguliers et prévisibles. Le DCM peut être une étape avant d’autres postes en banque – Sales en finance de marché et équipe Coverage en finance d’entreprise – ou avant des activités comparables au sein des sociétés émettrices d’obligations, qu’elles appartiennent au secteur privé ou publics.

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L’apprentissage théorique reçu en école diffère-t-il beaucoup de ton travail quotidien ?

Je pense que mon savoir-faire DCM au quotidien provient davantage d’une formation « sur le tas » que d’ouvrages théoriques étudiés en école. Toutefois il existe des cas pouvant être vus en cours d’un bon niveau de détails et de mise en situation. Les DCM sont des « techniciens » de la finance (j’emploie « techniciens » plutôt que « scientifiques ») et les questions pratiques qui se posent pour chaque émission obligataire peuvent être parfois fidèlement retranscrites en cours. Par exemple, les différences entre les segment types “Investment Grade” – Obligations dont la note attribuée par les agences de notations garantit un faible niveau de risque – et « High Yield » – obligations offrant un coupon plus élevé à cause d’un risque de défaut plus important.

 

On dit aujourd’hui que les métiers de la dette sont des métiers « booming ». Quel est ton avis sur la question ?

financialLa taille des banques en Europe (~ 3 fois le PIB) est en effet importante par rapport à leurs homologues américains (~ 1 fois le PIB) où la désintermédiation des financements est beaucoup plus avancée. Le sens de l’histoire en Europe nous mène certainement vers plus de désintermédiation (i.e. moins d’endettement purement bancaire), avec notamment plus de titrisation. Le projet de Capital Markets Union des instances européennes porté par Jean Claude Juncker à son arrivée à la tête de la Commission Européenne va dans ce sens. Il a pour objectif à moyen terme (2019) de favoriser le financement désintermédié des entreprises. Cette modification du paysage des financements européens favorise plutôt l’emploi du terme « developing » que « booming », dans la mesure où cela favoriserait l’entrée de nouveaux acteurs (PME, projets d’infrastructures) sur les marchés de capitaux, et donc un accroissement de la demande.

 

Quelles sont les missions qui peuvent être confiées à un étudiant stagiaire en DCM ?

Cela dépend de la taille du département DCM et de la banque. Mais dans tous les cas, il y aura deux types de missions, chacun rattaché à deux composantes du métier. D’une part, des missions de veille des marchés de taux, visant à produire des analyses de marchés quotidiennes et hebdomadaires, des études sectorielles. Il s’agira également de maintenir les bases de données pour le suivi de ces indicateurs et des updates demandées par le client sur les émissions obligataires, par exemple. De fait, on demande aux étudiants d’avoir d’excellentes capacités analytiques qu’ils exerceront lors de leurs études et reportings. D’autre part, la composante davantage commerciale a toute son importante : préparation des pitchs pour la partie origination, et présentations aux clients. En interne, l’étudiant travaillera au quotidien avec d’autres équipes de la banque, un excellent relationnel et une aptitude à travailler en équipe sont donc essentiels.

 

As-tu un conseil plus général pour les étudiants qui souhaitent travailler en banque d’affaires ?

Intéressez-vous à l’ensemble des métiers de l’Investment Banking. Ouvrez-vous l’esprit. J’ai l’impression que certains étudiants peuvent penser en priorité à leur premier poste, sans approfondir réellement quel serait le deuxième, le troisième etc. C’est un paramètre que l’on ne prend peut-être parfois pas assez en compte lorsqu’on débute une carrière, si bien que l’on peut se laisser guider vers tel acronyme de métier populaire, tel employeur prestigieux, pour finalement n’y passer que 2 ou 3 ans (et de nouveau se retrouver à réfléchir longuement sur l’orientation de sa vie professionnelle …).

 

Andrea BOSSETTI, étudiant à PSB et contributeur du blog AlumnEye

Jean-François RAT, étudiant à NEOMA et contributeur du blog AlumnEye