Peter Thiel a récemment fait la une dans le cadre de la campagne présidentielle américaine pour ses positions pro-républicaines et pro-Trump. Relativement méconnu du grand public, c’est pourtant une véritable légende de la Silicon Valley. Le co-créateur de PayPal et business angel de Facebook, est en effet l’un des milliardaires de la Tech les plus influents au monde. Pour autant, Peter Thiel est loin des caricatures de milliardaires de l’Internet dépeints dans la série Silicon Valley ; loin aussi de son personnage dans le film The Social Network narrant la création de Facebook. Personnalité iconoclaste, c’est un critique acerbe de la société contemporaine et du progrès technologique. Pour preuve, le mot qu’il avait eu au sujet de Twitter : “We wanted flying cars, instead we got 140 characters.” Ses prises de positions fortes et assumées – création et investissement dans de nombreuses et diverses entreprises – en font un modèle pour de nombreux entrepreneurs et venture capitalists du monde entier.

 

Stanford : un électrochoc dans sa formation intellectuelle

Né à Francfort-sur-le-Main en 1967, Peter Thiel grandit en Californie dès l’âge de trois ans. Plusieurs fois champion régional d’échecs et élève brillant, il entame ses études supérieures à l’université de Stanford : lieu de rencontres déterminantes pour lui. Durant ses premières années, il y forgera la vision du monde qu’il défendra tant par la suite. Etudiant en philosophie, il obtient un Bachelor en 1989. Il découvre alors les écrits de l’un de ses professeurs, René Girard, acteur de poids dans la théorie du désir mimétique.9782246005193_p0_v1_s1200x630

Alors que des penseurs grecs tels que Aristote et Platon avaient affirmé que tout apprentissage ne peu être que la résultante d’une imitation, quand de plus récents comme Freud définissent l’homme en être guidé par le désir, René Girard dégage de la nature humaine une synthèse de ces deux notions. Ainsi, pour lui, le désir ne peut être que celui de l’autre : si l’homme désire quelque chose, c’est principalement parce que ses semblables désirent la même chose. C’est cette rivalité qui suscite des tensions et des violences au sein des sociétés. Dès lors, comme l’énonce René Girard en 1972 dans La violence et le sacré, chaque société doit créer et entretenir des traditions et des institutions afin de les canaliser. Cette philosophie sera particulièrement parlante pour Thiel lorsque, confronté à la compétition extrême de Wall Street – milieu professionnel qu’il a choisi sous la pression sociale – il décidera de retourner vivre en Californie pour suivre sa propre voie.

A Stanford, il crée également avec des amis un journal libertarien : The Stanford Review. Le courant libertarien dont Peter Thiel se revendique est un mélange de libéralisme et d’anarchisme. Il prône des libertés individuelles très larges et un rôle de l’Etat réduit à son strict minimum, voire inexistant. Peter Thiel publie en 2009 l’article The Education of a Libertarian dans le journal libertarien Cato Unbound. Il y rappelle son engagement philosophique, et explique que les mondes du 20ème siècle et du début des années 2000 vont voir s’affronter dans un combat à mort les démocraties modernes et la technologie.

LA4Lire aussi : Elon Musk : portrait d’un entrepreneur à part

 

L’après Stanford

A sa sortie de l’Université, Peter Thiel quitte la Californie pour Wall Street. D’abord avocat d’affaires au sein du célèbre cabinet Sullivan&Cromwell, il démissionne au bout de six mois et se lance dans le trading de produits dérivés chez Crédit Suisse, et ce jusqu’en 1996. Sa motivation première est alors d’entreprendre pour pouvoir changer le monde, et diffuser ses idées libertariennes. Il cofonde en 1998 avec son camarade de Stanford, Max Levchin, PayPal – que rejoindra Elon Musk. Le but initial de Thiel et Levchin PayPal est ambitieux : s’émanciper le plus possible des autorités nationales et des moyens de paiement qu’elles contrôlent. Grâce à PayPal, les utilisateurs découvrent un moyen de paiement aussi rapide et simple que le mail. C’est là un premier vers cette émancipation, et un exemple pour les acteurs de la Fintech qui développeront par la suite d’autres moyens de paiement alternatifs.

 

L’après PayPal et le pari gagnant de Facebook

En 2002, Thiel devient millionnaire à 35 ans en cédant sa participation dans PayPal pour 55 millions de dollars lors du rachat par eBay pour 1,5 milliard de dollars. Plutôt que de vivre passivement de ses gains de sortie, il en réinvestit une partie dans d’autres start-ups et crée un fonds de capital-risque. Parmi ses investissements, on compte en 2004 un tout jeune réseau social qui n’est autre que Facebook. Il investit 500 000 dollars contre 10% de l’actionnariat de la jeune pousse qui, après l’IPO de 2012, vaudra 1,5 milliards de dollars. Peter Thiel raconte que c’est la détermination de Mark Zuckerberg à vouloir « changer le monde » qui a fait la différence et motivé son choix. A l’époque, alors que de nombreux autres réseaux sociaux existaient, investir dans de telles entreprises était d’autant plus risqué que la viabilité de leur business model paraissait faible.

dkkdPeter Thiel fonde également Palantir en 2003, à l’aide de Founders Fund : son propre fonds de VC. La société – créée à l’aide de procédés anti-fraude développés chez PayPal et soutenue par le fonds spécialisé de la CIA In-Q-Tel – est spécialisée dans le Big Data à destination des services de renseignement, notamment en matière de lutte contre le terrorisme.  A titre d’exemple, elle aurait contribué à la localisation de Ben Laden ; d’où le caractère confidentiel de ses activités. En juin 2015, Palantir a été valorisée à 20 milliards de dollars ce qui en fait la troisième licorne la mieux valorisée au monde après Uber et Airbnb. Thiel est également gérant de son propre hedge fund : Clarium Capital Management – qui suit une stratégie global macro se fondant sur la prévision d’évènements macro-économiques – et de Founders Fund précédemment évoqué.  Ces deux outils lui ont permis de participer au développement de Linkedin, Yelp, Space X, Airbnb, Spotify ou encore Tesla Motors avec son confrère et ami Elon Musk. Ce cercle d’entrepreneurs liés depuis Stanford et les débuts de PayPal est d’ailleurs qualifié de « PayPal Mafia ». Si PayPal lui a permis d’appliquer sa philosophie, ses investissements (cf. Facebook), lui confère l’indépendance matérielle nécessaire au soutien de projets les plus ambitieux et iconoclastes.

 

Le fervent défenseur de causes personnelles

Partisan du Grand Old Party – parti républicain – il en finance largement les campagnes des candidats. A contre-courant de la majorité des autres entrepreneurs de la Silicon Valley, il affiche un soutien médiatisé à Donald Trump, jusqu’à prendre la parole en sa faveur durant la cérémonie d’investiture du parti.

Ce discours très controversé dans lequel il a affirmé sa fierté d’être un Américain gay, libertarien et républicain, vient s’ajouter à d’autres polémiques auxquelles Peter Thiel a pris part. Il investit dans des projets de villes flottantes dans les zones extraterritoriales : des micro-Etats où les communautés se réguleraient par elles-mêmes. Il défend des recherches visant à éradiquer le vieillissement et la maladie ; des rumeurs circulent d’ailleurs sur sa prétendue consommation de cellules sanguines à cet objet.  Les critiques de l’application de son modèle libertarien avancent que de tels projets relèvent d’un ultralibéralisme permettant uniquement aux plus aisés de profiter du progrès et de la technologie.

Enfin, Peter Thiel a été décrié pour avoir financé le procès de l’ancien catcheur Hulk Hogan contre le magazine Gawker. Il a alors démenti avoir agi par vengeance personnelle. C’est pourtant ce magazine qui, en 2007, avait dévoilé l’homosexualité du milliardaire, contre son gré. La revue laisse s’exprimer des opinions homophobes et défend leur publication par la nécessaire liberté d’expression dont doit jouir chaque individu. Si ses prises de position médiatiques ont quelque peu écorné son image auprès du grand public, Peter Thiel reste l’un des entrepreneurs proéminents de la Tech.

LA4Lire aussi : Blockchain, la plus grosse révolution depuis internet ?

 

Le parrain de la Silicon Valley

Il jouit d’une véritable aura qui excède les frontières nationales. De passage au printemps dernier en France, il y a rencontré de hauts responsables économiques et politiques tels qu’Emmanuel Macron alors à Bercy, donné des conférences – notamment à HEC – et s’est fait inviter sur des plateaux télévisés. Le Grand Journal et Le Supplément de Canal Plus lui ont alors consacré un portrait. En 2014, Thiel a publié un ouvrage sur l’entrepreneuriat intitulé Zero to One inspiré de cours qu’il a donnés à Stanford. Il y livre méthode et conseils pour bâtir de zéro une société qui se crée un nouveau marché et change le monde. Pour lui, les meilleures entreprises modernes sont celles qui se fabriquent elles-mêmes un monopole. Loin d’être péjoratif, ce terme exprimerait et récompenserait à ses yeux la capacité d’une entreprise à agir trop efficacement pour ses concurrents.  Il ne pense pas non plus qu’il faille absolument être « disruptif » – stratégie entrepreneuriale à la mode désignant l’impact de Airbnb sur l’industrie hôtelière ou d’Uber sur les taxis. En revanche, Peter Thiel met en avant la nécessité, pour les jeunes pousses, de créer un nouveau besoin.

t-peter-thiel-gawker-takedownSi son soutien au candidat Trump a surpris dans la Silicon Valley, jusqu’à ses amis les plus proches, il faut rappeler une nouvelle fois que Peter Thiel s’était déjà illustré par son goût du débat d’idées et de la provocation. L’investisseur a toujours été un grand critique de la société contemporaine mais il s’était jusque-là limité à la technologie et l’éducation. De nombreux startuppers de la Silicon Valley lui reconnaissent ainsi la vertu de penser aux conséquences de l’utilisation de la technologie sur le bien-être social. Sa fameuse maxime “We wanted flying cars, instead we got 140 characters” s’applique aussi bien à Twitter qu’à Facebook – dont il est toujours administrateur. C’est qu’en effet, Peter Thiel déplore le manque d’ambition collective des entrepreneurs : leur nombre comme leurs initiatives individuelles ne permettent pas, à l’heure actuelle, d’opérer de profonds changements sociétéaux ou économiques. Il est de ceux qui pensent que la seule utilisation croissante de la technologie ne permettra pas un progrès durable pour l’humanité. Autre responsable pour lui du déclin des sociétés modernes : le système éducatif qui enferme dans des études élitistes, puis une carrière tracée, des individus qui pourraient impacter davantage l’économie. Peter Thiel finance ainsi des bourses de $100 000 destinées à des étudiants de moins de 23 ans afin qu’ils se lancent dans l’entrepreneuriat et abandonnent l’Université.

 

Au-delà des projets qui peuvent être perçus comme surréalistes, ou de prises de position polémiques, force est de constater que Peter Thiel est un entrepreneur acteur du changement. Fidèle à ses idées, il fait partie des pionniers de la Tech et PayPal restera dans l’Histoire l’un des précurseurs de la remise en cause du système bancaire traditionnel poussant les banques à se réinventer.

 

Jean-Baptiste Bourbier, étudiant à l’ESCP et contributeur du blog AlumnEye