Le secteur du Venture Capital attire chaque année davantage d’étudiants et de jeunes diplômés, en particulier issus d’écoles de commerce. Il reste néanmoins quelque peu mystérieux, et les offres de stage acceptant des candidats avec peu ou pas d’expérience sont rares. Pour mieux comprendre cet univers, AlumnEye a interviewé Lucas, stagiaire en Venture Capital chez Spring Invest. Il nous parle du secteur, de son expérience, de l’impact des mesures sanitaires et donne quelques conseils pour mettre toutes les chances de son côté pour trouver un stage en capital-risque.

Pourquoi as-tu choisi de faire du Venture Capital ?

J’ai choisi le Venture Capital car je considère que c’est un secteur qui convient à ma personnalité. J’aime me sentir dans l’action plutôt que dans la pure réflexion stratégique, et par-dessus tout rencontrer aussi fréquemment que possible de nouvelles personnalités, aux parcours divers, animées par un fort enthousiasme et une « volonté de faire ». Il était donc pour moi évident que mon stage de Master aurait lieu dans une petite entreprise — start-up, TPE/PME, ou Venture Capital donc. Le capital-risque permet de se plonger en très peu de temps dans une multitude de secteurs, organisations et marchés différents. C’est pourquoi j’ai saisi l’opportunité de passer quelques mois aux côtés de l’équipe de Spring Invest, société de gestion fondée à Paris en 2016 et spécialisée dans le secteur du retail et de ses transformations.

Je suis très heureux d’avoir fait le choix d’un fonds à taille humaine (Spring Invest compte 4 collaborateurs), quitte à renoncer à apposer un « grand nom » sur mon CV : la diversité des tâches qui m’ont été confiées et le degré naturel de proximité avec le reste de l’équipe sont, je crois, tout à fait impossibles à vivre au sein d’organisations de plusieurs dizaines de salariés. Également, le fait que Spring Invest soit « verticalisé », c’est-à-dire spécialisé sur un secteur (le retail), lui a permis de développer une connaissance très fine de l’écosystème du commerce en France et en Europe : acteurs établis, grandes forces à l’œuvre, problématiques récurrentes, tendances, et nouveaux entrants bien sûr.

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Peux-tu nous en dire plus sur le quotidien du fonds ?

Il y a le travail de gestion du dealflow, c’est-à-dire des opportunités d’investissement dans de nouvelles entreprises. On en voit passer plusieurs dizaines par mois. Il s’agit de rencontrer les entrepreneurs, d’essayer de comprendre le contexte du marché, ses grands enjeux, la pertinence de l’offre, l’environnement concurrentiel, la qualité des équipes, etc. et puis poursuivre – ou non – le processus d’investissement. Si après quelques semaines d’interactions, l’équipe estime qu’une société repose sur de bonnes fondations, qu’elle correspond à la « thèse d’investissement » du fonds et a du potentiel, elle prépare un dossier présenté en « Comité des Sages », c’est-à-dire à une quinzaine de professionnels qui challengent l’équipe sur la pertinence du deal. Si tout se passe bien, le processus poursuit son cours et à l’occasion d’un comité d’investissement, l’équipe dirigeante de l’entreprise cible vient se (re)présenter à l’ensemble de Spring Invest et répond à ses questions. Si l’unanimité est atteinte,  une lettre d’intention, ou term sheet, est émise afin de préciser les conditions auxquelles le fonds est prêt à entrer au capital de la société. La petite taille de Spring Invest et la proximité forte entre ses collaborateurs m’ont permis d’être présent et de participer à toutes ces étapes.

Le dealflow est donc entrant : opportunités prescrites par d’autres investisseurs, des entrepreneurs proches de Spring Invest ou des LPs notamment, mais peut aussi résulter du travail d’exploration de l’équipe, de scouting. Par exemple, si l’on entend de la part de plusieurs grands distributeurs français que tel changement réglementaire ou tel nouveau comportement des consommateurs constitue un défi, ou bien que notre travail de veille nous fait prendre conscience de l’explosion de tel usage ou catégorie de produits aux États-Unis, l’équipe va tenter d’approfondir sa compréhension des enjeux et acteurs existants. Nous allons entrer en contact avec les entreprises qui proposent des solutions, et ainsi peut commencer un cycle.

Enfin, je pense que le travail d’un fonds de Venture Capital consiste aussi à animer un réseau, un écosystème. Par exemple, le positionnement verticalisé de Spring Invest lui permet de mettre en contact des entrepreneurs avec des interlocuteurs décisionnaires au sein de grands groupes, que les start-ups ont d’ordinaire beaucoup de mal à atteindre. Aussi, avant le confinement, Spring Invest organisait régulièrement des événements physiques où se rencontraient jeunes pousses et cadres de divers secteurs. C’est gagnant-gagnant, parce que cela permet aux start-ups de trouver des clients et aux professionnels de résoudre certaines de leurs problématiques.

Quelles tâches es-tu amené à faire au quotidien en tant que stagiaire ?

Il n’y a pas de routine quotidienne, je travaille sur les différents sujets d’actualité de Spring Invest. Depuis le début du stage, j’ai par exemple pu assister les Associés dans le travail d’avant-vente auprès de LPs potentiels (Limited Partners, c’est-à-dire ceux — familles, entrepreneurs ou cadres à succès, corporates et institutionnels — qui alimentent le fonds en y investissant une partie de leur argent). Pour eux, je produis des rapports sur les tendances de tel ou tel sous-segment du commerce, des panoramas d’acteurs, des présentations du fonds, de ce qu’on fait et de notre vision. J’ai donc pu compiler des statistiques et autres données pertinentes, écrire des synthèses, entrer en contact avec des tiers pour obtenir des informations venant nourrir nos réflexions, ou encore mettre en forme les livrables. Je m’occupe également de la gestion du dealflow entrant, qui consiste à lire les decks que les entrepreneurs nous envoient par mail et d’arranger des appels avec eux. J’ai la chance de faire partie intégrante de l’équipe, ce qui me permet de participer à tout le processus d’investissement.

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Comment savoir si une start-up est un bon investissement ?

En toute humilité, je dirais qu’on ne peut jamais être certain de l’avenir d’une participation ; mais pour se forger une conviction, certains points sont des passages obligés. Le marché tout d’abord : est-il important ? Quelle est sa « granularité » ? Est-il en croissance ? Quel en est le paysage concurrentiel, ce qui fait la force de ses leaders ? Les barrières à l’entrée sont-elles plus ou moins élevées ? Les réalisations historiques — financières, commerciales, de développement produit… — des entreprises constituent bien sûr une source d’information importante. En ce qui concerne le Venture Capital, c’est-à-dire les tours de financement intervenant à des niveaux primaires du développement des sociétés ciblées, la personnalité des dirigeants-fondateurs est primordiale, justement car il y a peu d’historique. On s’intéressera ainsi aux capacités à fédérer des collaborateurs, à ne pas abandonner lorsque les difficultés s’accumulent, ou encore à savoir communiquer clairement une vision. Mais en somme, ces critères dépendent de chaque fonds, de chaque thèse, même de chaque investisseur individuel — il n’y a pas de règle générale, applicable de façon systématique ; c’est un peu le propre de l’entrepreneuriat.

Comment augmenter ses chances d’être pris en stage dans un fonds de Venture Capital ?

À mes yeux, les étudiants qui s’intéressent au Venture Capital peuvent faire 3 choses.

La première, c’est évidemment de se constituer une bonne « culture business » : fondamentaux de finance d’entreprise et de droit des sociétés et des contrats, connaissance des grands acteurs et des tendances de fond du capital-risque en France, en Europe et aux États-Unis, de l’actualité M&A, curiosité entretenue des entreprises qui « disruptent » leur marché… Parmi les ressources disponibles, il y a aujourd’hui des dizaines de newsletters, souvent gratuites, permettant de se tenir informé et de lire du contenu de grande qualité sur presque tous les thèmes. Je pense bien sûr à Retail Chronicles de Spring Invest, mais aussi à On Tech du New York Times, à The Hustle, Farnam Street, Fintech Today, It’s 2PM, Capital Call, qui sont américaines. Il y a aussi en France les newsletters de 15marches, de BabyVC, Overlooked d’Alexandre Dewez chez Idinvest, Seedtable de Gonz Sanchez et les excellentes newsletters d’entreprises comme Memo Bank et Alan. Il y en a des dizaines ! Les podcasts sont aussi une source d’inspiration et d’information très importante.

Ma deuxième suggestion serait de faire en sorte d’avoir des « choses à montrer », d’être en mesure de se démarquer des autres. Un bon moyen de prouver que tu t’intéresses sincèrement à l’écosystème peut être de publier des articles, des podcasts ou des vidéos sur les grands enjeux du moment : actualité des levées de fonds et des acquisitions, évolutions technologiques et de la régulation, interviews d’entrepreneurs… Bien sûr, une première expérience en start-up financée par un fonds VC, ou en tant que porteur de projet, quel qu’il soit, permet de vivre de l’intérieur une partie du quotidien des entrepreneurs, au centre de l’écosystème du Venture Capital. Dans la même idée, un précédent stage chez un leveur de fonds comme Cambon Parners ou même en banque d’affaires spécialisée en Tech pour le côté financier sont autant d’éléments qui permettront à ta candidature de retenir l’attention des investisseurs-recruteurs.

Enfin, le troisième point, c’est le networking. Au cours d’un processus de recrutement « classique », les entreprises disposent de peu d’informations sur les candidats, souvent nombreux, surtout dans des secteurs aussi convoités que le Venture Capital. Face à cela, celle ou celui qui a créé et entretenu une relation avec les employeurs du secteur ciblé démultiplie naturellement ses chances.

Comment se déroule le process de recrutement ?

Cela dépend des fonds, mais en général il y a plusieurs tours d’entretien avec un premier entretien de fit, puis un entretien technique. Pour l’entretien de fit, il convient de s’informer sur le fonds et sur son portfolio, ainsi que de faire des recherches sur de potentielles start-ups où le fonds pourrait investir. Pour la partie technique, il faut avoir une bonne connaissance de l’écosystème start-up, des tendances du moment (SaaS) et des méthodes de valorisation des start-ups.

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Faut-il, à ton sens, commencer sa carrière par le Venture Capital ?

Effectuer un stage de quelques mois en Venture Capital est une expérience enrichissante car elle permet d’être exposé à une multitude de situations (entreprises en croissance ou en difficulté, fortement rentables ou dans une fuite en avant capitalistique, menées par des dirigeants remarquables ou peu recommandables, etc.) et de développer des compétences d’analyse et de communication utiles quel que soit le contexte, mais je ne suis pas sûr que ce soit le meilleur choix en sortie d’études. Une bonne connaissance du fonctionnement interne des entreprises ciblées par le capital-risque est à mon sens indispensable à la bonne compréhension des problématiques rencontrées par les entrepreneurs. Et le seul moyen de développer une telle connaissance, c’est de travailler directement « au cœur du réacteur », soit en rejoignant une start-up très tôt dans son parcours, soit en étant soi-même fondateur. Le fait de vivre de l’intérieur les hauts et les bas de la vie entrepreneuriale, d’avoir connu la construction d’une offre, la vente, le recrutement (et potentiellement le licenciement) de collaborateurs est un atout incomparable à quiconque souhaite par la suite accompagner des entreprises en tant qu’investisseur.

C’est d’ailleurs ce que j’ai pu observer chez Spring Invest. Par exemple, Alexandre Guillot, le plus jeune de l’équipe, a travaillé plusieurs années en Private Equity à New-York et à Paris, ce qui lui a permis de développer une compréhension fine des aspects techniques, financiers de ces métiers, après quoi il a co-fondé 2 entreprises, au sein desquelles il a connu des réussites et, comme toujours, des moments plus compliqués. Un autre Partner et DG de Spring Invest, Laurent Foiry, a lui peut-être le parcours le plus original : diplômé et chercheur en biologie et génétique, il a rejoint la finance dans un second temps, sur des deals assez importants, avant de se lancer en Venture Capital.

Giacomo Bretel – De Simone, étudiant à HEC Paris et contributeur du blog AlumnEye