« Les banques américaines ont franchi le stress-test de la Fed. » Le résultat plus que satisfaisant des stress tests menés par la Réserve Fédérale américaine a guidé les marchés financiers à la hausse en cette dernière semaine du mois de juin. Et pour cause, le succès de ces tests de résistance, conçu pour simuler les éléments d’une « récession sévère » et leurs impacts sur les bilans des banques, intervient dans un contexte tout particulier aux Etats-Unis. Car le gouvernement en place, à la tête duquel Donald Trump et son secrétaire d’Etat au Trésor Steven Mnuchin – ancien membre dirigeant de Goldman Sachs –, s’est proposé de déconstruire les restrictions imposées au système bancaire après le séisme de 2008. La principale cible de ce retour en arrière est le Dod-Frank Act, un texte fondateur adopté en 2010 par l’administration Obama et visant à réduire drastiquement le risque systémique porté par les fameuses « too big to fail », ces institutions bancaires universelles, dont certaines activités spéculatives mettaient en péril l’ensemble du système financier mondial. C’est donc un tournant qui se profile outre-Atlantique. Mais qu’en est-il du système bancaire européen, en pleine recomposition ? Les répliques de la plus grande crise financière des dernières décennies sont-elles enfin maîtrisées ? Les bases d’un système bancaire sain et robuste ont-elles été durablement édifiées et consolidées ?

 

Banco Santander, tête de proue de la recomposition en Espagne

Le système bancaire espagnol a été parmi les plus impactés par la crise financière, qui a laissé derrière elle des quartiers entiers d’immeubles en construction, et plus de cinquante milliards d’euros de créances douteuses. Celles-ci ont été isolées au sein d’une « Bad bank » (Sareb, créée en juillet 2012), comprendre une entité dédiée à l’épurement de crédits immobiliers non récupérables, ou NPL pour Non Performing Loans. Cette solution innovante, qui ne sera pas reprise en Italie, où a été préféré un fonds investissant directement au capital des banques défaillantes, a posé les bases d’une récupération du système bancaire espagnol. Extrêmement fragmenté, ce dernier est articulé autour d’une myriade de caisses régionales dont la solvabilité a été mise à mal lors de l’éclatement de la bulle immobilière.

Première conséquence de cette granularité du paysage bancaire espagnol, la naissance de Bankia en 2010, sur les restes de sept caisses régionales, a été la première tentative de consolidation. Introduite en bourse en 2011, Bankia a cependant connu une histoire mouvementée, marquée par sa nationalisation quelques mois plus tard, entrainant l’engagement de réparations à hauteur de 1,8 milliards d’euros à destination des actionnaires lésés.

Parallèlement à ces regroupements d’entités régionales, deux géants animent la consolidation du marché espagnol : Santander et BBVA, respectivement 7ème et 16ème plus grosses banques d’Europe, avec 1 400 et 780 milliards d’euros d’actifs. Le cas Banco Popular est une illustration de cette forte rivalité, et de la puissance des deux leaders espagnols. Sous la supervision de la Banque Centrale Européenne, le numéro quatre espagnol a été racheté pour un euro symbolique par Santander, conseillé par Citi, au terme d’un processus auquel participait également BBVA, conseillé par Rothschild.

Cette opération a été rendue nécessaire par la crise de liquidité que traversait Banco Popular, après que 18 milliards d’euros ont été retirés par ses épargnants en dix jours, sur fond de crainte de faillite. Elle sera financée via une augmentation de capital de Santander à hauteur de 7 milliards d’euros, destinés à renforcer le bilan du nouvel ensemble. Les enseignements à tirer du rachat de Popular par Santander sont au nombre de trois.

Premièrement, il révèle la fragilité intrinsèque du système bancaire espagnol, et confirme les craintes concernant les recettes miracles qui avaient été prétendument appliquées dans les années de crise. Ces faiblesses sont illustrées par les répercussions que l’opération a eu sur le cours de certaines valeurs bancaires espagnoles, parmi lesquelles Liberbank, une institution de taille moyenne (39 milliards d’euros d’actifs), qui a perdu 40% de sa capitalisation boursière le jour de l’annonce. Ces répercussions sont évidemment de très mauvais augure pour les introductions en bourse à venir, spécialement pour celle d’Unicaja, qui avait annoncé le 14 juin vouloir lever 925 millions d’euros. Reste à savoir si les investisseurs, toujours en recherche de rendements dans un environnement de taux faibles, accepteront de prendre le risque d’investir à nouveau dans le mid-market bancaire espagnol.

Ensuite, ce rachat valide au moins temporairement le Mécanisme de Résolution Universel (MRU) adopté par l’Union Européenne. Tranchant avec les pratiques anciennes de sauvetage des banques par une prise de participation de l’Etat (mécanisme de precautionary recap), celui-ci permet la conversion forcée en capital ou annulation de créances en cas de difficultés d’une banque, avec une garantie des dépôts à hauteur de cent mille euros par déposant (mécanisme de bail-in).

Troisièmement, elle réaffirme le rôle majeur que pourront avoir à jouer des établissements comme Santander dans la stabilisation du paysage bancaire européen. Celle-ci avait déjà racheté la banque portugaise Banif en décembre 2015, pour 150 millions d’euros, après que l’Etat portugais y a engouffré un peu plus de 3 milliards d’euros. De même, toujours dans cette logique de rapprochement au sein de la péninsule ibérique, Caixa Bank, le numéro trois espagnol, avait repris le portugais Banco BPI pour 645 millions d’euros en février dernier, après l’échec des discussions pour une reprise par Isabel dos Santos, actionnaire historique de BPI via sa holding Santoro Finance.

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Les banques italiennes et portugaises, maillons faibles de l’écosystème bancaire européen

A l’opposé du secteur bancaire espagnol, qui a su concentrer sa recomposition autour de deux acteurs cardinaux, les systèmes italiens et portugais sont les tristes exemples de l’échec des mécanismes de precautionary recap pratiqués historiquement par les Etats sud-européens. Dans les deux cas, l’Etat a perdu des dizaines de milliards d’euros dans des sauvetages éphémères, sans parvenir à résoudre durablement la crise de leur système bancaire.

En Italie, dans un modèle opposé à celui de la Sareb en Espagne, l’Etat a choisi d’investir directement au capital des banques afin de nettoyer de l’intérieur les 80 milliards de crédits toxiques qui y dorment (équivalent à un tiers du total de créances douteuses au sein de la zone euro). Les trois dernières années peuvent se résumer pour le secteur bancaire italien en une série de chocs retentissants, qui chaque fois font craindre le pire pour la troisième économie de la zone euro. L’un d’entre eux fut l’échec de l’introduction en bourse de Banca Popolare di Vicenza en mai 2016, qui suivait déjà le sauvetage de quatre banques régionales toscanes. La huitième banque italienne, au bord de la faillite, prévoyait de lever 1,8 milliards d’euros sur les marchés. Mais la réponse des investisseurs avait été très claire : seulement 7,7% des titres avaient été souscrits lors de l’opération, et le fonds public Atlante, doté de près de 5 milliards d’euros majoritairement apportés par l’Etat italien, avait dû intervenir et monter au capital de Vicenza. Cette opération avait fait jurisprudence, et le scénario s’était répété avec Veneto Banca, qui avait tenté de s’introduire en bourse en juin 2016. En juillet 2016, le secteur bancaire italien est  touché de plein fouet par le résultat du référendum en faveur du Brexit : Unicredit, Intesa Sanpaolo et Monte dei Paschi di Siena perdaient chacune entre 22 et 30% en une séance, concluant un semestre désastreux qui avait vu diviser par deux l’indice des banques italiennes. La dernière de ces trois banques, qui avait, elle, perdu 75% en six mois, est pourtant la plus ancienne institution financière au monde. Monte dei Paschi di Siena, qui préoccupait l’ensemble des autorités politiques européennes avec ses 40 milliards d’euros de créances douteuses, a fini par obtenir un accord entre l’Union Européenne et l’Etat italien, signé ce 1er juin 2017, pour une recapitalisation préventive (le même mécanisme qui avait théoriquement été banni en faveur du bail-in), après une augmentation de capital ratée de 5 milliards d’euros.

Seule lueur d’espoir dans ce paysage italien : UniCrédit est parvenu à mener une augmentation de capital de 15 milliards d’euros en début d’année – la plus importante jamais réalisée par une société italienne. Le premier établissement bancaire du pays a aussi cédé à Amundi sa filiale d’Asset Management nommée Pioneer, pour 3,5 milliards d’euros, dans une opérations « gagnant-gagnant » selon Jean-Pierre Mustier, directeur général d’UniCredit. De quoi donner un peu d’air et une force de frappe importante à ce géant, qui aura très certainement un rôle à jouer dans la consolidation du secteur bancaire italien, encore extrêmement granulaire avec près de 700 établissements indépendants.

L’autre mauvais élève de la zone euro en termes de gestion des risques bancaires est le Portugal, qui a connu depuis 2013 une série de restructurations de grande ampleur. Les péripéties ont débuté avec les recapitalisations de Caixa Geral de Depositos, Banco Comercial Português et BPI, en 2013, pour un montant cumulé d’un peu plus de 6 milliards d’euros, intégralement financées par l’Etat portugais grâce au plan de sauvetage de 78 milliards d’euros accordé au pays en 2011. A suivi en octobre 2014 l’effondrement de l’empire Espirito Santo. Ce conglomérat historique, présent dans les secteurs de la santé, de l’assurance, de l’immobilier et de l’hôtellerie, avait déjà dû abandonner la Banco Espirito Santo, au sein de laquelle l’Etat portugais avait injecté près de 5 milliards d’euros en 2014, renommant l’entité Novo Banco. Aujourd’hui encore, le système bancaire portugais est reconnu comme l’un des plus instables d’Europe, avec 19,7% de ses créances considérées comme des NPL, contre 16% en Italie, à comparer avec le maximum fixé par la BCE de 10%.

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Deutsche Bank, un géant aux pieds d’argile

Dans leur documentaire « Qui a peur de Deutsche Bank ? », les journalistes Julia Klüssendorf, Stefan Jäger et Ingo Nathusius rappellent que « selon un rapport du FMI, elle serait la banque la plus dangereuse du monde, la gestion de Deutsche Bank ayant accusé en 2015 une perte de 6,8 milliards d’euros. » Et cette situation dramatique et préoccupante s’explique aisément : Deutsche Bank, première banque allemande avec 1 600 milliards d’euros d’actifs, incarne tous les excès des banques d’investissement de l’avant-crise.

Si cet épisode s’inscrit dans la continuité des nombreux plans de sauvetages de banques allemandes qui ont couté au total 240 milliards d’euros à l’Etat allemand, il confirme aussi les dangers d’un modèle financier trop tourné vers les activités spéculatives. Dans le cas de la Deutsche Bank, deux éléments ont joué. D’abord, la banque a très (trop) vite grandi dans les activités de banque d’investissement, avec de nombreuses opérations de croissance externe, pour étendre son influence en Europe et en Amérique. Ce rythme de développement effréné a favorisé l’émergence d’équipes sur-performantes, mais mal intégrées, et dont la banque est devenue excessivement dépendante, incapable de contrôler leurs activités. La conséquence directe de ce dysfonctionnement s’est matérialisée dans une accumulation de litiges, soldés par près de 13 milliards d’euros de frais juridiques entre 2012 et 2016. Dernier talon d’Achille du géant allemand : la spécialisation dans certains produits de dettes adossés à des actifs physiques tels que des navires de transport de marchandise, dont la valeur réelle a littéralement fondu avec la crise et l’effondrement du commerce mondial. Deux nuances sont à apporter à ce bilan négatif de la situation de Deutsche Bank. D’un côté ses facilités à accéder à des liquidités peu chères, du fait des taux d’emprunts bas de l’Etat allemand la protègent contre une éventuelle crise de liquidité. De l’autre, Deutsche Bank a des réserves très importantes, ce qui fait dire à Nicolas Véron, économiste chez Bruegel, interviewé par Les Echos en septembre 2016, que « Deutsche Bank n’est pas un nouveau Lehman Brothers. »

 

Les fragilités profondes du système bancaire européen devraient persister, et entraineront certainement une nouvelle vague de consolidation dans le secteur. De l’avis de certains analystes du secteur, plusieurs éléments devraient favoriser ce mouvement. Tout d’abord les disparités en termes de taille et de structure, des banques internationales (BNP, BPCE, Santander, BBVA, Deutsche Bank, Unicrédit, Barclays, etc.) aux petites structures régionales (Unicaja, Liberbank, etc.), qui entrainent des très fortes distorsions de concurrence. En effet, les plus grandes banques ayant un accès plus direct aux liquidités émises par les banques centrales peuvent assurer des marges confortables, accrues par les effets d’échelle, avantages dont ne bénéficient pas les plus petites institutions. Deuxièmement, les synergies à réaliser dans des alliances transnationales ont été jusqu’ici très largement sous-estimées, et l’absence de véritables leaders européens est une conséquence de ce manque d’intégration. Le mouvement de consolidation à venir se déroulerait donc en deux phases : l’absorption des plus petites structures par les leaders actuellement existants pour parvenir à un paysage à quatre ou cinq acteurs par pays, puis à plus long terme la concentration transnationale et l’émergence de géants internationaux (bien que celle-ci nécessitera pour les nouvelles « banques systémiques » à naître de se conformer à des ratios de fonds propres de plus en plus élevés). Le secteur bancaire européen promet donc d’alimenter encore une fois les league tables dans les prochains mois et les prochaines années.

* Article rédigé début juin 2017, i.e. avant le sauvetage des banques vénètes par l’état italien (7Mds€), l’introduction en bourse d’Unicaja (750M€) et l’annonce d’augmentation de capital de Santander (5,1Mds€).

 

Anatole Lizee, étudiant à l’ESCP-Europe et contributeur du blog AlumnEye