Sur les dix dernières années, le nombre d’opérations de fusions-acquisitions a bondi de 300% sur le continent africain. Pour autant, elles ne représentent que 3% en volume des deals à l’échelle de la planète. L’occasion de se pencher sur les risques et opportunités de ce marché moins médiatique, mais pourtant stratégique, pour les entreprises aspirant au leadership sur ce continent en pleine explosion démographique et économique.

 

La persistance d’un climat d’affaires source d’inquiétudes

Si le continent africain regorge d’opportunités, de nombreux obstacles se dressent encore sur la route des potentielles entreprises acheteuses. Le premier d’entre eux a trait à la disparité existante en termes d’infrastructures. Rappelons en effet que moins de 40% de la population africaine a accès à l’électricité, et que seul un tiers de cette population bénéficie d’infrastructures routières hors des villes. Cependant, inutile de faire de ce sombre portrait une généralité. A l’instar de la Lybie, certains pays ont entrepris des politiques de fond. Il y a récemment été décidé d’agrandir et de rénover des infrastructures portuaires afin de doper l’activité économique, minée par l’instabilité politique persistante.

C’est qu’en effet, selon l’indice de perception de la corruption du secteur public de Transparency International, 90% des pays d’Afrique sub-saharienne se sont vu attribuer un score inférieur à 50 sur une échelle de 100. Ce phénomène, qui gangrène les administrations de cette partie de l’Afrique, décourage de nombreuses entreprises. Un manque de transparence qui conduit certaines d’entre elles à se faire accompagner par des partenaires locaux ou par des cabinets spécialisés.

Autrefois peu présents sur le continent (sinon en Afrique du Sud), Mc Kinsey, le BCG ou encore Roland Berger sont désormais tous implantés au Maroc. Mais l’hétérogénéité des situations sur le terrain permet également à des cabinets africains de se démarquer et de tirer leur épingle du jeu. C’est principalement le cas d’Okan et de PMC. Ce dernier ayant, par exemple, accompagné la privatisation de la Sonatel (Société Nationale de Télécommunications) suite à la séparation entre les postes et les télécommunications sénégalaises en 1995.

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Une hétérogénéité culturelle et un cadre législatif fragile

L’Afrique ne peut pas être abordée comme un ensemble homogène. Au sein des 54 pays qui composent ce continent, ce sont plus de 2000 langues qui sont parlées. Une diversité inédite qui se retrouve également dans les systèmes légaux qui s’avèrent très hétérogènes. Alors que certains systèmes africains sont dérivés de la Common Law anglosaxonne, d’autres s’inspirent davantage des systèmes civils français, italiens, espagnols ou portugais. Enfin, dans quelques pays, les systèmes juridiques sont issus de la Charia ou de lois tribales plus anciennes, où le chef de village a préséance et autorité avant toute action devant un tribunal.

Cette identité multiple peut parfois se transformer en barrière à l’entrée pour des investisseurs étrangers venus chercher des opportunités de croissance transfrontalières afin de réaliser des économies d’échelle suffisantes pour permettre un retour sur investissement. En effet, la richesse linguistique présente en Afrique nourrit également des incompréhensions lors des négociations de deals. La précision, la patience et la persévérance s’avèrent alors indispensables afin de favoriser la compréhension mutuelle. Par ailleurs, la persistance de systèmes judiciaires tribaux ou religieux effraie bien souvent les potentiels investisseurs qui comptent sur une jurisprudence stable ainsi que sur des pratiques d’affaires locales en phase avec les standards internationaux avant de se laisser convaincre. Tribalisme et richesse culturelle apparaissent donc parfois en obstacles au développement de certaines régions. Ainsi, en République Démocratique du Congo, par tradition, certaines ethnies (Luha, Kuba) ne reconnaissent pas le principe de propriété privée. Autant de facteurs qui permettent d’expliquer la faiblesse du commerce intra-africain, qui représente seulement 11% des échanges sur le continent, contre 70% en Europe.

Ainsi par exemple, la difficulté à obtenir des informations essentielles sur de potentielles cibles s’explique par des politiques d’entreprises parfois mal documentées. Une réalité accentuée par le fait que seules 19% des entreprises réalisent des due diligences lors des opérations de fusions acquisitions.  Pourtant, c’est là une étape clé en Afrique, où les législations en matière d’interdiction des cartels, de lutte contre les abus de positions dominantes, ainsi que « d’indigénisation » de l’activité économique sont extrêmement strictes. Or, sur ce point, les entreprises qui décident de s’implanter en Afrique ne peuvent que rarement compter sur de précédentes expériences ou décisions de justice. Il apparaît donc crucial de retenir les employés situés à des postes clés, ou détenteurs de compétences critiques. A titre d’illustration, les licences d’exploitation minières sud-africaines ne peuvent être délivrées qu’à la condition que 26% du capital ou des unités de production du groupe concerné soient détenus par des HDSAs (Historically Disadvantaged South Africans) à un horizon de dix ans. D’autres lois mettent par exemple en place des quotas d’employés ou de fournisseurs locaux.

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Des banques d’affaires attentives aux opportunités

Malgré ces obstacles, les entreprises du monde entier se tournent de façon croissante vers l’Afrique.  Et parmi elles, les banques d’affaires françaises ne sont pas en reste. Elles y font pourtant face à des difficultés dans la structuration de leurs équipes africaines. Ainsi, Lazard se montre particulièrement active dans le conseil aux gouvernements. Une activité extrêmement rémunératrice qui permettait initialement de compenser les revenus plus cycliques des activités de conseil en fusions-acquisitions sur les marchés occidentaux. Dès 1982, un département international fut ainsi créé au sein de la banque franco-américaine. Grâce à des figures comme Michèle Lamarche, associée-gérante chez Lazard, et à l’implication personnelle de ses dirigeants, le groupe décroche des mandats un peu partout, au Bénin, en Côte d’Ivoire ou encore au Gabon. La banque Rothschild & Co, également historiquement présente sur le continent, accompagne les entreprises désireuses de prendre pied en Afrique. Malgré tout, force est de constater que la banque a pâti du départ de son associé vedette en la matière : Lionel Zinsou. Ses successeurs désignés, Hakim El Karaoui, et Zineb Abbad El Andaloussi – également en charge de nombreux deals sur le secteur Afrique – ont eux aussi choisi de faire leurs valises.

Marché d’avenir, le continent fut longtemps réduit à sa richesse en ressources naturelles et en matières premières. Pourtant, les opportunités d’investissement sont bien plus larges et concernent tous les secteurs de l’économie. Ainsi, les anciens secteurs publics, la grande distribution, comme les télécoms, représentent des cibles de choix pour les entreprises désireuses de s’implanter sur ce marché.

Plusieurs pays africains, comme la Côte d’Ivoire, ont lancé et lanceront des programmes de privatisation dans les années à venir. De quoi nourrir d’importantes mutations dans des secteurs stratégiques tels les télécoms. L’an passé, Orange a ainsi porté sa participation dans Méditel – un des principaux opérateurs téléphoniques marocains – à 49%. Des opérations indispensables afin d’acquérir une image de marque ainsi qu’une taille critique dans une région très disputée. En Afrique, l’activisme d’Orange se justifie par l’agressivité de ses concurrents. A titre d’illustration, Vodacom (la branche africaine du groupe britannique Vodafone), déjà présent au Lesotho, en Tanzanie, en République démocratique du Congo et au Mozambique, a récemment fait l’acquisition de 35% de l’opérateur kényan Safaricom, et se dit prêt à investir de nouveaux marchés comme le Ghana.

 

L’Afrique, par son dynamisme démographique, représente pour beaucoup d’entreprises un marché d’avenir. Acquérir du know-how ainsi que des connaissances sur les spécificités et les comportements d’affaires locaux s’avère donc essentiel pour pénétrer avec succès des marchés nationaux déjà matures tels l’Afrique du Sud, le Nigéria, ou encore l’Egypte. Symbole de cette prise de conscience, il convient de noter une internationalisation croissante de l’attrait du continent. Là où auparavant les investisseurs provenaient majoritairement de France ou d’Angleterre, désormais, ce sont plus de 50% des opérations de fusions-acquisitions qui impliquent au moins une entreprise chinoise ou indienne.

 

Article réalisé par la rédaction d’AlumnEye