Passer de la banque d’affaires à la banque institutionnelle peut paraître assez atypique. C’est pourtant le choix de carrière de Céline Ho. Après des expériences en M&A et en Leveraged Finance, Céline a décidé d’intégrer la banque d’Angleterre avant de rejoindre la Banque Mondiale. Travailler avec des gouvernements et des banques centrales sur le développement du secteur financier dans les zones les plus reculées, c’est le nouveau quotidien de Céline. Avec des processus de recrutement aussi sélectifs qu’en banque d’affaires, intégrer une institution n’est pas toujours aisé. Dans cette interview, Céline Ho vous raconte son parcours et vous livre ses conseils pour réussir une carrière en institutions.

Bonjour Céline, merci d’avoir accepté de répondre à nos questions.

Peux-tu nous décrire ton parcours ?

J’ai fait un Master banque & finance à la Sorbonne durant lequel j’ai validé 6 mois de stage en M&A dans une boutique parisienne puis 6 mois de stage à l’ONU dans le département budget et management. Cette césure a été décisive pour moi car j’ai compris que je voulais intégrer la Banque Mondiale et j’ai ensuite articulé ma carrière professionnelle autour de cet objectif. A la fin de mes études et avant de postuler à la Banque Mondiale, on m’a conseillée de commencer en Investment Banking car peu de juniors sont embauchés à la Banque Mondiale. J’ai alors décidé de remettre ma candidature à plus tard afin d’améliorer ma technique et mon expertise pour maximiser mes chances. Ainsi, j’ai commencé par un VIE au Crédit Agricole en Leveraged Finance dans le secteur des TMT. C’était une expérience passionnante. Ensuite, j’ai eu envie de découvrir un environnement de travail plus anglophone et pour cela j’ai intégré la banque d’Angleterre. J’étais superviseur c’est-à-dire que j’interagissais avec les banques afin de m’assurer de leur santé globale (gouvernance, business plan, stratégie, systèmes en place, etc.). C’était également une très bonne expérience car je travaillais sur des missions très variées et je rencontrais des professionnels très hauts placés alors que je n’étais que junior. J’apprenais beaucoup tout en ayant des responsabilités. Par exemple, après le vote du Brexit, j’ai été exposée sur les process post-brexit notamment la manière avec laquelle les banques allaient gérer leur transition. Après 2 ans et demi, j’ai finalement décidé de rejoindre la Banque Mondiale en postulant à leur programme spécial de recrutement pour les jeunes (Young Professional Program pour les moins de 28 ans). J’ai été prise et je travaille dorénavant là-bas dans le département Finance and Market.

Tu as effectué durant tes études un stage en Leveraged Finance chez CACIB. La banque d’affaires ne t’a pas convaincue ?

Ce n’est pas la banque d’affaires qui ne m’a pas convaincue car j’ai énormément appris chez CACIB mais mon objectif était d’intégrer la Banque Mondiale. Travailler en banque d’affaires est un très bon tremplin pour débuter une carrière car on y apprend beaucoup et cela ne nous ferme pas de portes. Si je devais conseiller un endroit en particulier où commencer sa carrière, je dirais que les banques anglaises sont généralement plus dynamiques et flexibles (horaires/méthodes de travail) que les banques françaises donc c’est plus agréable d’y travailler.

Après CACIB, direction la banque centrale d’Angleterre, en quoi est-ce différent de travailler dans une banque d’affaires et dans une banque institutionnelle ?

Je ne travaillais pas sur les mêmes missions donc c’est difficile de réellement comparer les deux. D’une part, les clients ne sont pas les mêmes, en banque d’affaires on traite avec des entreprises alors qu’en banque institutionnelle on interagit avec des banques. D’autre part, les rapports de force sont différents. En banque institutionnelle, je travaillais dans la régulation des banques donc j’étais en position de force face à mes interlocuteurs ce qui est plus difficile à assimiler quand on est junior. Par exemple, j’étais amenée à donner des recommandations à des CEO bien plus expérimentés que moi. Au contraire, en banque d’affaires, on est beaucoup plus soumis au client car il faut respecter leurs besoins et leurs deadlines.

Pourquoi as-tu ensuite décidé de partir travailler pour la Banque Mondiale ?

Comme je l’ai déjà expliqué, intégrer la Banque Mondiale a toujours été mon projet, mon objectif final, mon rêve depuis ma césure. Si j’ai acquis de l’expérience avant c’était pour m’assurer d’avoir un bon bagage avant de postuler. Pour construire ma carrière j’ai beaucoup consulté de personnes qui travaillaient à la Banque Mondiale et qui avaient de l’expérience dans le recrutement. Demander des conseils c’est essentiel pour faire évoluer sa carrière professionnelle.

Les processus de recrutement sont-ils les mêmes en banque institutionnelle qu’en banque d’affaires ?

Postuler en banque institutionnelle (banque d’Angleterre, Banque Mondiale, etc.) est plus ou moins similaire qu’en banque d’affaires pour les postes juniors. La première étape est de postuler en ligne et si on a un bon dossier alors on passe le screening (ou non). Ensuite, on passe des tests numériques qui sont un peu différents de ceux des banques d’affaires, mais le fait de m’être préparée aux tests d’investment banking m’a beaucoup aidée à réussir. Si ces premiers tests sont réussis, on ne passe pas directement à l’étape des entretiens car il faut encore valider d’autres tests. Ces derniers sont des test Excel suivis de la rédaction d’une note de synthèse. Enfin, il y a une série d’entretiens physiques et si le feeling est bien passé alors le candidat est retenu. A la banque d’Angleterre, j’ai eu un business case en groupe à faire en plus.

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Peux-tu nous en dire plus sur ton poste actuel et tes missions au sein de la Banque Mondiale ?

Je travaille actuellement dans le département Finance and Market au développement du secteur financier en Amérique Latine. Mes deux thèmes principaux sont, d’une part, la finance inclusive i.e. s’assurer que la population ait accès à la finance et, d’autre part, la finance digitale. Par exemple, en ce moment, je développe des moyens de paiement digitaux et je travaille à l’éducation financière des populations dans des zones rurales colombiennes. Mon poste est donc très opérationnel mais il est également très analytique car je réalise beaucoup de rapports de stabilité financière à travers des études économiques et financières de l’Amérique Latine. Ce que j’apprécie particulièrement dans mon poste, ce sont mes interlocuteurs car je vais interagir avec des gouvernements, des ministères de finance, des banques centrales, etc. Mon expérience à la Banque d’Angleterre est notamment un vrai plus quand je suis en relation avec des régulateurs.

Beaucoup d’étudiants en finance souhaitent donner du sens à leur carrière, à leur job. Est-ce selon toi un bon moyen d’allier finance et sens à sa vie que de travailler dans de telles structures ?

Je pense qu’il est très important de commencer sa carrière dans le secteur privé car c’est très formateur. Ceux passés par le privé sont plus proactifs (respect des deadlines, concision, efficacité, attention aux détails, beau PowerPoint, méthodes de travail sur Excel, etc.). C’est donc une très bonne première étape pour les juniors qui souhaitent ensuite se spécialiser dans un secteur qui les intéresse plus (technologie, pharmaceutique, retail, luxe, etc.). Personnellement, ce qui me motive vraiment dans mon travail, ce sont l’engagement et la valeur ajoutée que j’apporte. Je travaille sur des projets stimulants dont je vois réellement les impacts sur la société et l’économie. Je ne vois pas mon travail comme une tâche à exécuter mais comme un devoir qui me passionne. Mon métier est hyper intéressant car j’apporte des recommandations et des solutions concrètes aux gouvernements tout en étant en contact direct avec des populations parfois très reculées.

Quel(s) profil(s) de candidats une institution comme la Banque Mondiale recherche-t-elle ?

Pour commencer, la Banque mondiale emploie très rarement des personnes ayant moins qu’un niveau doctorat sauf si ces personnes s’inscrivent au Young Professionals Program, un programme de formation très sélectif développé par la Banque Mondiale spécialement pour les jeunes. C’est l’équivalent du Graduate Program des banques d’affaires en plus dur. Le YPP a pour objectif de vraiment attirer les jeunes de moins de 28 ans avec un minimum 2-3 ans d’expérience professionnelle car seulement 7% du staff de la Banque Mondiale a moins de 35 ans. De manière générale, les recruteurs recherchent des personnes ayant débutées leur carrière dans le secteur privé (et non seulement public) et qui ont acquis de bonnes bases techniques. Ils vont particulièrement s’intéresser aux personnes ayant développé une expertise dans un domaine précis afin de déterminer quelle valeur ajoutée tel ou tel candidat va leur apporter. Dans mon cas, mon expérience à la Banque d’Angleterre m’a permis de développer une expertise dans la régulation bancaire. Un bon candidat est également une personne engagée qui partage les valeurs de la Banque Mondiale. Le candidat doit croire au système et à l’idée que l’on peut allier finance et impact positif sur la société. Enfin, les recruteurs vont également regarder les langues, à la Banque Mondiale, tout le monde est minimum trilingue.

Avoir le CFA est-il important pour intégrer des institutions comme la Bank of England ou la Banque Mondiale ?

Je ne sais pas si avoir le CFA m’a réellement aidée à intégrer une institution. Par contre, ce qui est sûr, c’est que cela m’a aidée à décrocher des entretiens. En effet, détenir la CFA apporte de la crédibilité à une candidature.

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Quels conseils concrets peux-tu donner à nos lecteurs qui souhaitent s’orienter vers une carrière institutionnelle ?

Je le redis, mais je pense qu’avant de s’orienter vers une carrière institutionnelle, il faut avoir une expérience dans le secteur privé car c’est très formateur et cela apporte un bagage technique qui sera ensuite très utile dans le secteur public. De plus, il me parait qu’il est tout à fait possible et même préférable de tester différents métiers tout en gardant une ligne directrice afin d’être sûr de ses choix de carrière à long terme. C’est d’autant préférable que n’importe quelle expérience dans n’importe quel milieu est un moyen de développer sa technicité et son network. Enfin, quand on passe des entretiens, il faut se survendre, montrer que l’on est hyper motivé, persévérant, proactif, déterminé et sympa.

Ariane Guillaume, étudiante à l’EDHEC Business School et Responsable Editorial du blog AlumnEye.