La plus célèbre des banques américaines verra le 1er octobre David Solomon succéder à Lloyd Blankfein à sa tête.  Une occasion unique de revenir à la fois sur le chemin parcouru depuis l’accession du courtier du Bronx mais aussi de tenter de projeter le futur de Goldman Sachs avec cette passation qui résonne comme un changement de cycle stratégique pour la banque.

 

Lloyd Blankfein, le self-made-man

Ce natif du Bronx, qui admet chaque année volontiers devant les summer interns qu’il n’a jamais voulu travailler chez Goldman Sachs, se retirera de son siège de CEO le 1er octobre et de membre du conseil d’administration à la fin de l’année au profit de David Solomon jusqu’alors Co-COO.

A lui seul, il incarne la culture de la firme que Steve Bannon, ancien conseiller au président américain Donald Trump et ancien de Goldman Sachs résumait ainsi : « Goldman Sachs représente l’excellence et la méritocratie, peu importe d’où vous venez, de quelle école vous sortez, quelle est votre religion ou votre origine, ce qui compte c’est votre capacité de travail, votre intelligence et votre sens du service. ». Issu d’une famille modeste installée à New-York, il est diplômé de l’université d’Harvard et commence sa carrière chez J. Aron comme courtier en matières premières (commodities). S’il avoue avoir échoué à un premier entretien chez Goldman Sachs au moment de débuter sa carrière, il intègre finalement la banque en 1982 après le rachat par cette dernière de son employeur.

Grâce à la culture de promotion interne et au poids stratégique que les activités de commodities trading représentaient durant le début des années 2000, Lloyd Blankfein accède au poste de CEO de Goldman Sachs en 2006.

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Bilan sur fond de crise

Il succède alors à Henry Paulson qui devient directeur du trésor américain pour les deux dernières années de l’administration G. W. Bush. Ce réseau impalpable « Goldman » sera vivement dénoncé lorsqu’au moment de la crise des subprimes, le « plan Paulson » propose de racheter les titres toxiques à hauteur de 700Mds$ aux banques.  Ce plan a largement contribué à maintenir en vie Goldman Sachs dont Lloyd Blankfein annonce des bénéfices records pour l’année 2009 de 13,3Mds$, 6 fois plus élevés qu’en 2008. Au milieu de cette grave crise, il dira « Le système financier nous a conduit vers la crise, il nous en sortira aussi ». En effet, cette période a vu Merrill Lynch perdre son indépendance après son rachat par Bank of America, et Lehman Brothers ou encore Bear Stearns disparaître purement et simplement de la place financière mondiale. Les médias américains ont pris l’habitude de régulièrement dénoncer les collusions entre les membres de la banque et le monde politique sous la bannière « government Sachs ».

Lloyd Blankfein transmet donc, et ce malgré la maladie, une banque qui sort paradoxalement renforcée de la crise, dont l’influence continue de s’étendre bien au-delà des administrations américaines successives. On se souvient des déclarations de François Hollande, le 14 juillet 2016, condamnant le choix de José-Manuel Barroso (ancien président de la commission européenne) de rejoindre Goldman Sachs au moment où l’implication de l’établissement dans le maquillage des comptes publics grecs était avérée. Le 17 juillet 2018 Lloyd Blankfein a officiellement adoubé son successeur en plus d’annoncer un bénéfice trimestriel inédit depuis 2009 (2,6Mds$), et met fin à ses 36 années passées chez Goldman Sachs. Il referme aussi un cycle initié dans les années 1960, celui des traders, qui a fait la réputation de Goldman Sachs, et qui voit aujourd’hui le modèle remis en question par la technologie et la proéminence du conseil financier.

 

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David Solomon, le futur de Goldman Sachs

L’annonce officielle du nouveau dirigeant était scrutée depuis des mois par les analystes et le grand public. La culture de Goldman Sachs a toujours été jusque-là de puiser dans son vivier de talents, à l’image de Lloyd Blankfein ayant effectué une immense partie de sa carrière au sein de l’établissement. Harvey Schwartz, qui était depuis 2017 le nouveau Co-COO de la banque et lui aussi ancien de J. Aron avait à cet égard manifesté son intérêt pour le poste en posant un ultimatum pour être nommé CEO, avant de voir cette stratégie échouer et devoir présenter sa démission en février 2018.

David Solomon a donc été officiellement intronisé le 17 juillet 2018, où à la suite de nombreux articles de presse nous avons pu en apprendre davantage sur ce banquier iconoclaste, qui ne manque pas de nous faire penser au Français Matthieu Pigasse responsable mondial des fusions-acquisitions chez Lazard. Fin gastronome, DJ la nuit, ce natif de Hartsdale dans l’état de New York est un banquier d’affaires qui, après un passage chez Bearn Stearns, rejoint Goldman Sachs en 1999. Là, il prend la tête de la division « Investment Banking » et participe en 2007 à l’introduction en Bourse de LuLulemon Athletica. L’anecdote raconte que lors du jour J, D. Solomon et son équipe étaient habillés de la tête aux pieds avec les vêtements de la marque plutôt qu’en costume.

En parallèle de sa carrière professionnelle et sous le nom de DJ D-Sol, il multiplie les sets avec ses platines aux Bahamas ou bien dans les soirées privées de la fashion week de New-York. Son nouveau morceau « Don’t stop believing » lui permet d’avoir plus de 550,000 visites par mois sur son compte Spotify, et on peut suivre ses performances et pérégrinations via son compte Instagram djdsolmusic. Il est évident que son profil tranche nettement avec la sobriété des cadres de Wall Street, même s’il doute lorsqu’on l’interroge que ce sera suffisant pour améliorer l’image de la finance : « Je ne sais pas si le fait de voir un président de Goldman Sachs mixer dans un club va changer la perception de l’industrie. Nous avons beaucoup de travail à faire à ce sujet ».

 

Une banque qui doit se réinventer

Il hérite en effet d’une banque qui fait face à de nombreux défis stratégiques, puisque la branche trading qui a fait sa réputation est en perte de vitesse, et qu’il faut donc trouver de nouveaux relais de croissance. L’ouverture de la banque aux particuliers qui jusqu’ici était impensable est en train d’être mise en place, et pour réussir ce défi il faudra nécessairement que l’image de Goldman Sachs soit lavée des scandales de la décennie passée. Il devra réussir dans le monde post-crise, dont les contraintes pèsent davantage sur l’industrie financière. En effet, il devrait demander aux responsables de chaque division un budget prévisionnel sur trois années afin de piloter la gestion des activités, manière d’insuffler de la rigueur dans ses équipes.

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Le changement appelé par cette nomination est donc énorme et sera mené par un banquier et non plus un courtier dans un monde où les opérations de haut de bilan prennent de plus en plus d’importance. Le 17 juillet 2018, après l’annonce de cette nomination et des bénéfices trimestriels records (+44% rapporté à la même période l’an dernier), le titre Goldman Sachs a plongé de 1,54%. Le doute du marché quant au futur de l’entreprise est acté, et D. Solomon, qui prêche depuis de nombreuses années pour une stratégie de diversification, devra réussir à réinventer la prestigieuse banque américaine. Nul doute que le top management qui suivra la prise de fonction de D. Solomon intensifiera les changements qu’il a déjà apportés : utilisation de la technologie dans le trading, migration de sales du desk corporate-trading vers la division Investment Banking pour améliorer la relation client.

Le nouveau CEO devrait voir ses premiers jours ressembler à une course contre la montre, les analystes et les observateurs estimant que la banque accuse un certain retard. Mike Mayo, qui suit le titre Goldman Sachs depuis 15 ans pour Wells Fargo, a déclaré « le plan de croissance de l’entreprise devrait faire partie de la catégorie : mieux vaut tard que jamais ».

Guillaume Baziadoly