Diplômé en 2001 d’HEC Montréal suite à l’obtention d’un Bachelor of Business Administration, le français, âgé de 41 ans lors de l’incident l’ayant conduit au contentieux avec le courtier Valbury Capital, occupait par la suite essentiellement des fonctions dans les départements des ventes et du développement produit au sein de plusieurs entités, dont Thomson Reuters juste avant les faits.

Le profil d’Harouna Traoré ne présentait donc initialement rien d’alarmant. Considéré comme un simple trader particulier, le crédit dont il dispose sur son compte auprès de la société Valbury Capital le jeudi 29 juin 2017 est par ailleurs tout à fait raisonnable. Cependant, une faille informatique relative au système de limitation des achats de contrats va permettre à ce trader « amateur » de lever l’équivalent de 5 milliards d’euros de contrats de type « futures ». Comment en est-on arrivé à de tels montants, capables d’influencer les tendances des marchés à eux seuls ? Les marchés sont-ils en fin de compte véritablement protégés face à de tels aléas ? Retour sur l’un des épisodes financiers les plus insolites de la dernière décennie.

 

Le cas Harouna Traoré : une histoire rocambolesque

Tout est parti d’une faille émanant du broker auprès duquel le compte de ce trader particulier était domicilié, conjuguée à une erreur d’appréciation de ce dernier quant à l’essence même du compte dont il faisait usage. En effet, Harouna Traoré quitte en fin de matinée du 29 juin 2017 les locaux de Krechendo Trading, une trading arcade conçue à partir du modèle des salles de marchés londoniennes destinées à former des particuliers souhaitant développer d’importantes connaissances en matière de trading. A l’issue de sa séance matinale, il accusait une perte de 900 euros liée à ses positions.

Il envisage alors, dès l’après-midi, de poursuivre son entraînement par le biais d’une plateforme virtuelle (X trader) fournie par la société de courtage londonienne Valbury Capital. Initialement, c’est justement un compte de démonstration que s’est vu octroyer cet investisseur. Le problème réside alors dans le fait que le trader a entre-temps ouvert un compte réel, pourvu d’un montant de 20000 euros juste avant les faits.

Les comptes de démonstration, par définition virtuels, ont l’avantage d’accorder une grande liberté d’action à leurs utilisateurs. Notamment, les montants investis peuvent tout à fait être illimités, puisque cela n’exerce aucune influence sur l’activité réelle des marchés. C’est ainsi qu’en cette après-midi de juin 2017, Harouna Traoré engage l’équivalent d’un milliard de dollars sur des contrats à terme liés essentiellement à l’indice Eurostoxx50. C’est après avoir clôturé l’intégralité de ses positions, peu avant la fermeture des marchés européens, qu’il prétend avoir réalisé que sa perte, atteignant alors à ce moment la somme de 2,4 millions d’euros, était réelle. Obstinément, il profite de l’ouverture des marchés américains pour tenter de combler ses pertes par l’achat de nouveaux contrats à terme, cette fois-ci sur l’indice S&P 500. A ce moment-là, il parvient à engager la somme impressionnante de 5,3 milliards de dollars, et achève sa journée avec un solde créditeur d’environ 11 millions de dollars, ayant bénéficié d’un soudain retournement de marché.

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Une péripétie qui révèle des failles aberrantes

L’aspect le plus surprenant de cet incident demeure le rapport considérable existant entre le montant des achats effectués, et celui dont il était supposé disposer, légalement, sur son compte de trading.

A l’instant où Harouna Traoré achète des contrats de type « futures » sur l’Eurostoxx 50, son compte n’est crédité que de 20 000 euros. De plus, le contrat liant ce trader à la société Valbury Capital ne lui permet pas de dépasser, en matière d’investissement, un total de 10 contrats par jour (un contrat à terme de l’Eurostoxx correspondait à environ 34 000 euros au moment des faits, pour le S&P 500 cette valeur était de 137 500 euros). Pourtant, il est parvenu à investir un total supérieur à la valeur même de l’ensemble des transactions effectuées quotidiennement sur le CAC 40 (qui avoisine 5 milliards d’euros).

Le problème trouve en réalité son origine dans une erreur de paramétrage commise par le courtier de ce trader. Concrètement, Harouna Traoré n’était contractuellement pas supposé dépasser les limites établies concernant le nombre de contrats autorisés quotidiennement et ne pouvait en aucun cas engager un montant supérieur à 20 000 euros. Pourtant, une capture d’écran que l’agence de presse internationale Reuters a pu se procurer révèle le fait que ce particulier pouvait utiliser un crédit illimité dans le cadre de ses transactions. Cet exemple est d’autant plus préoccupant que l’issue de cette affaire s’est finalement soldée par un gain en fin de journée (bien que ce trader n’ait pu se l’approprier pour des raisons légales), mais si le scénario avait été tout autre, comme l’explique Tarek El-Marhri, le fondateur de Krechendo Trading (la société au sein de laquelle Harouna Traoré avait effectué sa formation), la perte observée aurait pu se chiffrer en centaines de millions d’euros pour une baisse du marché d’environ 3 % .

 

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Cette affaire ravive par ailleurs le spectre du marasme causé par Jérôme Kerviel dix ans plus tôt, alors qu’il évoluait en tant qu’opérateur de marché pour le compte de la Société Générale. Par le biais d’achats de contrats à terme également, il avait alors exposé l’institution bancaire à un important risque de marché alors que sévissait la crise économique de 2008. Une fois ses positions clôturées, la banque avait alors accusé une perte de 4,9 milliards d’euros sur ces contrats.

10 ans après cette affaire retentissante, le cas d’Harouna Traoré a illustré les progrès devant encore être menés en matière de gestion des risques dans les systèmes financiers, d’autant plus que des contrats tels que ceux achetés par Harouna Traoré sont généralement réservés à des traders professionnels. Tarek El-Marhri a d’ailleurs concédé que « l’on pourrait avoir un nouveau Jérôme Kerviel comme on pourrait avoir un nouveau trader fou » en raison d’une réglementation encore insuffisante malgré des efforts déployés en ce sens comme l’introduction de la loi Mifid II. De plus, lorsque les montants utilisés atteignent de tels sommets, les marchés peuvent être directement impactés à la hausse ou à la baisse, ce qui n’est pas sans conséquences pour d’autres acteurs tels que des fonds d’investissement qui peuvent en subir les effets négatifs. Une telle manœuvre est d’ailleurs qualifiée de manipulation de marché et peut être légalement répréhensible.

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Les conséquences judiciaires de ce coup de folie

Suite au gain de plus de 10 millions d’euros observé à la clôture de ses différentes positions sur des contrats « futures », ce trader s’est néanmoins vu refuser leur obtention par Valbury Capital qui a décidé d’annuler l’ensemble des transactions réalisées sur cette journée alors que de son côté, l’investisseur estime que ce montant lui est dû. Les deux parties sont depuis engagées dans un affrontement juridique au sein duquel il serait reproché à Valbury Capital de ne pas avoir défini de limites en matière d’investissement, tandis que ce trader est accusé d’avoir outrepassé des conditions définies contractuellement, limitant ses possibilités de trade à 10 contrats d’achats par jour alors que celui-ci en a accumulé plus de 75 000 le 29 juin 2017 tous indices confondus. Également, le statut de ce trader se situe au cœur du débat. En effet, maîtriser des produits financiers tels que les contrats à terme nécessite de l’expérience et un certain professionnalisme, ce qui a toute son importance en matière juridique, puisque les « consommateurs », c’est-à-dire les particuliers non-initiés au milieu financier, bénéficient d’une certaine clémence dans la législation française. Harouna Traoré, qui a priori n’aurait jamais occupé de fonction nécessitant des compétences financières professionnelles, devra s’expliquer sur de telles connaissances, qu’il a notamment mises en avant lors de son ouverture de compte auprès de Valbury Capital. A l’heure actuelle, le procès opposant les deux parties est toujours en cours.

 

Nicolas Liszczynski, étudiant à l’EDHEC Business School et contributeur du blog Alumneye