Aujourd’hui inconnu dans le milieu financier, John Meriwether a pourtant été dans les années 1990 l’homme le plus influent de Wall Street. D’abord trader de renom chez Salomon Brothers, il a ensuite créé son hedge fund, Long Term Capital Management (LCTM), avec pour objectif de battre le marché par l’utilisation des mathématiques. LCTM, c’est aussi et surtout l’un des plus grands scandales financiers de l’histoire : 600 milliards de dollars de perdus et une intervention nécessaire de la FED pour éviter la catastrophe.

 

Ses débuts en tant que trader chez Salomon

Né en 1947 d’un père comptable et d’une mère employée d’école, Meriwether est attiré très tôt par les marchés financiers. Dès ses 12 ans, il commence à investir ses propres économies en bourse. Plutôt bon élève, il intègre en 1974 Salomon Brothers en tant que trader après avoir étudié à la Northwestern University et à la Chicago Booth School of Business.

Lorsqu’il crée le département d’arbitrage en 1977, Meriwether a pour ambition de supprimer les traders qui parient avec leurs intuitions, en les remplaçant par des intellectuels rigoureux ayant une approche quantitative du marché. A la tête d’une douzaine de traders, Meriwether va faire des miracles : en 1990, le département rapporte près de 87% des bénéfices totaux de Salomon Brothers.

Cependant, un scandale éclate en 1991 : un des traders de John Meriwether, Paul Mozer, est accusé d’avoir falsifié des documents dans le but de pouvoir acheter plus de bons du trésor que la limite légale autorisée. Finalement, Salomon Brothers est condamné à 190 millions de dollars d’amende, et John Meriwether se voit dans l’obligation de démissionner.

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L’ascension de Long Term Capital Management

Après un break de 2 ans où Meriwether jongle entre parties de golf et messes du dimanche – il est d’origine catholique -, il fonde en 1994 Long Term Capital Management, un hedge fund ambitieux qui se veut la continuité de ce qui a fait son succès chez Salomon Brothers. Il veut en effet créer le plus gros hedge fund existant, son objectif étant de lever 2,5 milliards de dollars de fonds. Il demande 2% de frais fixes et 25% sur les rendements du hedge fund, bien plus que la moyenne de l’époque, ainsi que l’obligation d’investir un capital minimum de 10 millions de dollars engagé dans le fonds pendant au moins 3 ans.

Pour cela, Meriwether reprend la recette qu’il avait créé chez Salomon Brothers : il engage la plupart des traders de l’ancienne banque, et embauche trois stars de la finance du moment : les mathématiciens mondialement renommés Merton et Scholes, ainsi que David Mullins, alors vice-président de la FED.

La levée de fonds est un succès ! La forte crédibilité de Meriwether et de ses associés pousse les banques du monde entier à investir dans son fonds : parmi elles, la banque d’Italie ($250 millions), la banque de Chine ($100 millions) ou encore l’Union des Banques Suisses (UBS). Au total, LTCM leva $1,25 milliard de dollars, soit moins que l’objectif fixé ; cela reste néanmoins la plus grande levée de fonds jamais réalisée.

Le fonctionnement du hedge fund était basé sur les modèles d’arbitrage de Merton et Scholes. A travers des algorithmes et des formules mathématiques, les équipes de LTCM calculaient la probabilité qu’une ocurrence se produise, ce qui permettait à Meriwether de réduire fortement son risque. Cependant, cette diminution du risque allait de pair avec une baisse de la rentabilité des produits détenus par le hedge fund. Meriwether a donc décidé d’utiliser « l’effet de levier » : la technique étant d’utiliser l’endettement des banques pour pouvoir parier des sommes bien plus importantes que celles que l’on peut se permettre, pour ensuite pouvoir réaliser des gains élevés sur des produits dont la rentabilité est pourtant faible initialement.

Pendant plus de 3 ans, la réussite de LTCM va être extraordinaire : 20 % de gains en 1994, 43 % en 1995, 41 % en 1996 et (seulement) 17 % en 1997. Ce succès, en plus d’être financier, va également être universitaire : les deux économistes Merton et Scholes se voient décernés en 1997 le prix Nobel d’économie pour leurs travaux sur les modèles d’arbitrage.

 

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La chute d’un géant, « too big to fail »

Alors que le hedge fund était en pleine expansion, certains économistes s’interrogeaient quant à l’efficacité de la méthode mise en place par Merton et Scholes. Paul Samuelson, mentor de Merton et prix Nobel 1970, était perplexe quant à la prise en compte des événements extraordinaires dans leur modèle, de même qu’Eugène Fama, prix Nobel 2013.

En 1997, le scénario catastrophique redouté survient : la crise asiatique frappe les marchés financiers et plusieurs pays ne peuvent rembourser leurs dettes ; le marché s’effondre : la Thaïlande, l’Indonésie ou encore la Corée du Sud sont touchés. Cependant, Meriwether décide de ne pas s’inquiéter, les pertes étant monnaie courante en hedge funds. LTCM parie donc sur un retour à la normale dès fin 1998. Malheureusement, lorsque la Russie fait défaut durant l’été de la même année, tout s’effondre. En une seule journée, LTCM perd 553 millions de dollars, soit 15% du capital de l’entreprise. LTCM était en train de faire défaut.

L’histoire aurait pu s’arrêter là pour LTCM. Néanmoins, beaucoup d’institutions importantes avaient investi dans le fonds ; le hedge fund était donc devenu too big to fail. En effet s’il faisait défaut, le LTCM risquait de mettre en péril près de 75 banques internationales ainsi que des banques centrales. Alan Greenspan, alors président de la FED et inquiet de la situation, décida donc de rassembler toutes ces banques afin de trouver un accord. Finalement, les banques reprendront le contrôle du fonds en injectant 3 625 milliards de dollars afin de lui laisser le temps de vendre ses positions. En effet, LCTM ayant atteint une taille critique, il était impossible de clôturer toutes ses positions en même temps sans le faire imploser. Le fonds fut ainsi définitivement fermé quelques mois plus tard.

LTCM est donc aujourd’hui entré dans les mémoires et dans l’histoire de Wall Street, comme étant l’une des plus grandes catastrophes de l’histoire financière. Surtout, il nous rappelle une chose : rien n’est parfaitement prévisible même si, comme le disait Robert Merton, « stricto sensu, il n’y avait aucun risque ».

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Ses dates clés

1947 : Naissance à Chicago

1974 : Début en tant que trader chez Salomon Brothers

1977 : Responsable du département d’arbitrage chez Salomon Brothers

1991 : Affaire Mozer, démission de chez Salomon Brothers

1994 : Création de Long Term Capital Management

1997 : Début de la crise asiatique

1998 : Fin de Long Term Capital Management

 

Romain Leroy, étudiant à l’Edhec et contributeur du blog AlumnEye