Alors qu’en 2017 tout semblait sourire au système bancaire français grâce à des résultats satisfaisants, le doute s’installe peu à peu au sein de ce secteur. Les banques françaises affichaient des résultats salués par toute la profession : près de 7.7 Md€ de bénéfices pour la BNP, 6.5 Md€ pour le Crédit Agricole, 2.8 Md€ pour la Société Générale, les mastodontes français avaient su tirer leur épingle du jeu. Aurélien Soustre, porte-parole de la CGT banque et assurance, précisait même : « on revient aux niveaux d’avant-crise ». Si la clôture de l’exercice 2018 n’est pas catastrophique, il marque en revanche un coup d’arrêt à une progression quasi constante depuis 10 ans.  « Dans la banque de financement et d’investissement, l’effet de change a été défavorable, l’absence de volatilité, qui caractérise les marchés de taux en Europe, est un facteur de ralentissement » a concédé Jean-Laurent Bonnafé, directeur général de la BNP. Les banques sont donc plus solides, mais moins rentables, dans un contexte économique agité.

 

Une politique de taux bas néfaste aux revenus des banques

L’environnement actuel des taux est défavorable aux marges d’intermédiation, alors que celles-ci sont les sources primaires de revenus des banques de détail. Afin de rééquilibrer la baisse du Produit Net Bancaire, les établissements bancaires sont amenés à augmenter le volume de crédits accordés. Cependant, la politique monétaire s’accompagne d’une activité de marché contraignante en Europe, que ce soit pour le négoce de produits de taux fixes, des changes ou encore des matières premières. En effet, la réglementation accrue des banques européennes les contraint à aller chercher un surplus de rentabilité autrement que par leur activité classique. Le Produit Net Bancaire des banques françaises est en dent de scie depuis maintenant plusieurs exercices. En effet, les taux directeurs de la BCE s’adaptent à la santé économique mondiale. Lorsque la BCE diminue son taux, le but est de favoriser les investissements. A contrario, une augmentation intervient lorsque l’inflation est trop importante. Par conséquent, le taux directeur était de 4.75% en 2007 peu avant la crise pour descendre à 0% 10 ans plus tard. De son côté, la BCE a récemment annoncé qu’il n’y aurait pas de hausse prévue des taux en Europe avant au moins 2020 mais qu’elle continuerait à prêter aux banques à taux 0, au moins jusqu’à la fin 2019.

 

La contrainte de la rentabilité du système bancaire

La rentabilité a toujours été un indice déterminant dans le modèle des banques mais aujourd’hui, le secteur doit composer avec des règles de plus en plus contraignantes. Par exemple, les banques doivent s’adapter à de nouvelles normes d’exigence de fonds propres, de risque de crédit afin d’assurer la stabilité financière internationale. Pour rappel, les banques centrales des pays du G-10 se sont réunies en 1988 dans la ville suisse de Bâle dans le but de faire converger les normes internationales, en jouant sur la structure financière des établissements de crédit. Il s’ensuit Bâle 1, la première d’une série de normes. En 2005, Bâle 2 invita à ne pas négliger la capacité de remboursement de l’emprunteur. En 2010, alors que la crise financière frappait de plein fouet la sphère bancaire, le G-20 fit pression afin d’éviter toute récidive. Une masse fut alors pointée du doigt : les capitaux propres. A partir de là, le ratio de solvabilité fut fixé à 10.5 %, contre 8 % dans Bâle 2. Par conséquent, le ROE (Return On Equity) des banques françaises se trouve en moyenne à 8% contre 14% juste avant la crise. Neuf années se sont écoulées et le plan semble avoir fonctionné, ou presque : à l’aube de Bâle 3, l’accroissement des contraintes ont conduit les banques à se poser des questions sur leur modèle opérationnel.

 

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Les doutes sur l’environnement politique et économique

En raison du flou artistique autour du Brexit et de tensions commerciales récurrentes entre les États-Unis et la Chine, le FMI a abaissé ses prévisions de croissance mondiale à 3.5 % pour 2019 et à 3.6 % pour 2020 contre 3.7 % en 2018. Certes, ces chiffres traduisent une baisse d’activité relativement limitée, mais d’autres institutions se montrent bien plus pessimistes, à l’image de la Banque Mondiale qui estime qu’en raison de l’affaiblissement des échanges et de l’investissement, la croissance mondiale devrait plutôt se situer autour de 2.9 %.

Outre-Atlantique, le président de la FED table sur un ralentissement de la croissance US autour de 2 %. Dans le même temps, le pays vient de franchir la barre colossale des 22 000 Md$ de dette publique, tandis que la politique de crédit, redevenue très souple, a fait gonfler l’endettement des ménages. Les prêts automobiles atteignent 1 300 Md$ et les prêts étudiants 1 500 Md$, du jamais vu depuis la crise des Subprimes. Pire encore, la FED reconnait que les retards de paiement s’accumulent de plus en plus.

Autre source d’inquiétude, la situation économique chinoise, car pour la première fois depuis 2002, la croissance de la Chine est tombée à 5.3 % en raison de la baisse de la production manufacturière et des exportations.

L’Europe retient quant à elle son souffle devant la tragi-comédie qui se joue à Londres. Les incertitudes qui planent au-dessus de la City dans le cadre du Brexit ont conduit les banques à plancher sur des scenarios destinés à amortir le risque d’un « no deal ».

 

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Un nouveau Business Model

Dans le passé, les grandes institutions bancaires étaient les seuls acteurs du marché, mais ce temps est bel et bien révolu. De nouveaux acteurs, nés pour partie, de la symbiose entre nouvelles technologies et uberisation, ont engendré une concurrence accrue sur les tarifs. Ces banques en ligne, appelées néo-banques sont dématérialisées, et ne font payer aucun frais bancaire. Elles offrent de surcroit plus de rapidité et d’autonomie qu’une banque classique. Les géants du milieu n’ont donc pas eu d’autre choix que de les absorber ou d’en développer en interne, à l’image de BforBank (Crédit Agricole), Boursorama Banque (Société Générale), Fortuneo (Crédit Mutuel), Hello Bank ! (BNP Paribas). Aujourd’hui, plus de 10 % des français détiennent un compte dans une banque en ligne. Les Fintech apportent un modèle disruptif dans des services plus larges : aide au paiement, prêts entre particuliers, transfert de devises, etc. Les clients plébiscitent cependant un contact physique avec leur banquier et marquent une certaine limite avec ces opérations à distance. Le défi de la rentabilité des banques françaises passe alors par la bonne considération de ces nouveaux concurrents dont les résultats progressent d’année en année voire par l’absorption de ces derniers.

Outre le lancement des banques dans plusieurs activités, nous pouvons également noter une véritable volonté de baisser les charges d’exploitation : moins d’employés, plus d’automatisation. En France, plusieurs banques de détail ont ainsi lancé un plan de suppression d’emplois, à l’image de la Société Générale, de BNP ou encore du groupe BPCE. Ce dernier compte supprimer 400 agences et 4000 emplois d’ici 2020, alors que la BNP tentera de réduire ses effectifs de 640 postes, dans la banque de détail. La Société Générale quant à elle, table sur la fermeture de 300 agences, une automatisation de la gestion de la clientèle, ainsi que la suppression de 700 emplois en France, dans sa banque de financement et d’investissement.

 

Afin de pouvoir relever les nombreux défis à venir, les banques doivent s’armer et adapter leur modèle. Certaines prônent un rapprochement entre géants européens mais cette option se heurterait à la réglementation de l’UE qui s’oppose à l’émergence de groupes en situation de quasi-monopole. Aujourd’hui ce sont donc des fusions intra-pays qui semblent être la piste privilégiée, à l’image des banques britanniques Charter Court Financial et OneSavings, qui ont décidé de s’allier afin de créer un poids lourd du crédit immobilier en Grande-Bretagne. Les suppressions d’emplois envisagées dans les banques de financement et d’Investissement et les banques de détail ne représentent certes pas la solution la plus éthique, mais elles sont sans doute devenues une nécessité. Le meilleur moyen d’asseoir l’activité bancaire sur des bases solides est donc de réduire les charges d’exploitation des banques tout en appréhendant mieux les risques. Pour le secteur, ce sera aussi la meilleure garantie de ne pas retomber dans les travers du passé.

 

Benjamin Guetienne, étudiant à l’ESSEC et contributeur du blog AlumnEye.