L’affirmation progressive des puissances asiatiques sur l’échiquier mondial a suscité de nombreux espoirs, et ce dans de multiples domaines tels que la recherche, l’économie… mais également la finance. Essentiellement positionnés sur les marchés occidentaux, les gérants d’actifs pourraient bénéficier de cette émergence pour développer leur activité, en stagnation depuis plusieurs années, et diversifier leur portefeuille.

Les cabinets d’asset management ont pour vocation d’optimiser le patrimoine de leurs clients par l’investissement. Ils sont ainsi chargés de gérer un portefeuille de produits, défini notamment selon le risque recherché et la durée d’investissement, et se rémunèrent par le biais de frais de gestion. Ce sont essentiellement ces derniers qui interviennent dans la problématique de rentabilité des sociétés de gestion d’actifs.

Une baisse d’attractivité sur les marchés traditionnels

Ces dernières années, les performances des sociétés de gestion d’actifs se sont révélées médiocres en Europe ainsi qu’aux Etats-Unis. Cela s’illustre notamment par des marges nettes réduites, sous la pression de plusieurs facteurs comme les coûts réglementaires de plus en plus conséquents du point de vue de leurs dépenses ou encore des commissions de gestion plus faibles pour ce qui concerne leurs recettes (BlackRock par exemple, référence du secteur, a abaissé ses frais de gestion de 0,22% des encours à 0,20%, entre 2011 et 2016), et ce malgré le fait que la valeur des encours sous gestion qui atteint actuellement des records (23 000 milliards d’euros pour l’Europe en 2018). Reflets du marasme que subit cette industrie, les résultats d’exploitation publiés par les différentes entreprises du secteur présentes sur les marchés européen et américain n’atteignaient que 12% à 13% des chiffres d’affaires réalisés en 2017, contre 22,6% en Asie. La réduction des frais de gestion qui sont appliqués par les cabinets d’asset management auprès de leurs clients afin d’assurer la rémunération de leurs services représente, d’après une étude du cabinet de conseil McKinsey, 80% du total des pertes de recettes enregistrées par ces mêmes cabinets. Les 20 % restants sont dus essentiellement à des changements au niveau des types de produits financiers proposés et des préférences émanant des clients. L’un des événements majeurs de ces dernières années ayant quelque peu terni l’avenir du secteur en Europe est l’introduction de la directive européenne connue sous l’abréviation Mifid II (Markets in Financial Instruments Directive). Il est notamment imputé à cette règle entrée en vigueur en 2014, résultant d’une volonté manifeste des institutions de protéger les clients, une intensification de la compétition au sein de cette industrie, qui découle d’exigences en matière de transparence concernant les coûts et frais proposés par les différents acteurs, permettant ainsi aux clients d’en effectuer la comparaison afin, in fine, de faire le choix le plus rentable.

La question de la performance actuelle de ce secteur a par ailleurs conduit certains professionnels du milieu à repenser leur stratégie et à éventuellement se reporter sur des produits « passifs », réputés moins onéreux et plutôt performants. Ces derniers, contrairement aux produits de la gestion active, n’ont pas vocation à surperformer le marché, mais justement à répliquer de façon fidèle la performance d’un indice en particulier en étant souvent constitués de la plupart des valeurs dudit indice (d’où l’expression « gestion indicielle », l’autre nom de la gestion passive). Insidieusement, cette tendance à la préférence pour la gestion passive ajoute à son tour une pression supplémentaire sur les gérants d’actifs.

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L’éclosion récente de l’Asie

Tandis que l’industrie de l’asset management peine à progresser dans les régions occidentales, l’Asie semble pouvoir offrir de belles perspectives en termes d’investissement.

Tout d’abord, le développement important recensé dans la majeure partie des pays asiatiques ces dernières décennies a contribué à l’émergence de classes moyennes et supérieures, de particuliers fortunés, de nouveaux investisseurs, mais aussi de grandes compagnies, notamment dans le secteur des technologies, qui sont autant d’opportunités pour les cabinets d’asset management. S’ajoute à cela l’ouverture de la Chine aux marchés de capitaux, et la mise en place d’une dérégulation progressive.

Le poids des encours sous gestion (la valeur totale des portefeuilles détenus par les sociétés de gestion d’actifs) asiatiques sur le marché mondial ne cesse par ailleurs d’augmenter. En 2017, l’Asie représentait à elle seule 18% des encours mondiaux, contre 12,5% dix ans auparavant.

Le marché asiatique constitue une sorte d’exutoire pour les gérants d’actifs traditionnels face aux grands groupes. Ces derniers, par leur politique de prix agressifs, ont tendance à asphyxier les « petits » gérants d’actifs notamment depuis l’émergence des ETF (Exchanged Traded Funds), ces fonds indiciels qui reflètent fidèlement la performance d’un indice usuel dit « sous-jacent ». Les sociétés traditionnelles, affrontant des difficultés de rémunération, doivent alors composer avec des groupes proposant des frais de gestion compétitifs sur des trackers (l’autre nom des ETF) assurant des prises de positions rapides sur les marchés. Ces produits atteignent déjà 25 % des encours aux Etats-Unis, 15 % en Europe. Dans ce contexte, l’Asie se révèle être une alternative intéressante qui offre cette possibilité de « battre » le marché plus facilement.

Un indicateur à prendre en compte, du point de vue d’un professionnel du secteur, est la marge nette. Réputées de plus en plus faibles sur les marchés traditionnels, comme expliqué précédemment, celles-ci demeurent bien plus importantes en Asie. En 2018, les marges nettes moyennes en Asie culminaient à 0,23 % du montant des encours sous gestion, soit environ le double de celles observées en Europe ainsi qu’aux Etats-Unis.

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Certains des acteurs du milieu ont déjà pris la mesure du potentiel asiatique depuis quelques années. En effet, entre 2007 et 2018, les bénéfices réalisés par les sociétés d’asset management en Asie ont effectué un bond avoisinant les 200 %. A titre comparatif, cette progression était, sur la même période, de 48 % aux Etats-Unis et de 42 % en Europe.

Au sein de plusieurs interviews réalisées par le Financial Times, des responsables du secteur asiatique de géants de la gestion d’actifs ont en outre fait part de la stratégie adoptée par leur firme, ainsi que des initiatives ayant déjà été prises à ce sujet. Entre autres, Blackrock a récemment renforcé son équipe dédiée au marché asiatique, tandis que Schroders a réalisé une alliance stratégique avec Maybank Asset Management en 2018, en Malaisie, et crée parallèlement à cela plusieurs fonds privés destinés à attirer des investisseurs fortunés tout comme des entreprises.

Quelles perspectives pour l’avenir ?

Cette augmentation de l’activité dans la gestion d’actifs devrait se poursuivre dans les années à venir. Des projections proposées au sein d’une analyse menée par le magazine « Les Echos » stipulent que les revenus issus de ce secteur en Asie atteindront environ 112 milliards de dollars d’ici 2022. En particulier, la mainmise des sociétés de gestion d’actifs sur les actifs financiers asiatiques devrait considérablement augmenter prochainement, contribuant pour une part notable à cette valorisation de revenus (actuellement, il est estimé qu’environ 90 % des actifs financiers échappent aux sociétés d’asset management en Asie). Parallèlement à cela, la digitalisation de certaines tâches afférentes au back office et aux entités de management des risques en particulier devrait permettre un gain de temps d’une part, et un gain financier d’autre part. Selon une étude du cabinet de conseil McKinsey, certains gérants d’actifs engagés dans cette modernisation de leur activité sont parvenus à réduire leurs coûts opérationnels de 30 %, essentiellement au niveau des missions de back office. Quant au secteur du management des risques, l’utilisation d’algorithmes permet désormais d’analyser plus finement les données à dispositions et ainsi de rendre les décisions d’investissement plus pertinentes.

Si la tendance se veut relativement optimiste, l’asset management sera néanmoins confronté à plusieurs enjeux au cours des prochaines années.

Premièrement, la diversification de l’offre sera cruciale pour les gérants d’actifs. En effet, la pression constante relative aux marges conduit de plus en plus de sociétés à proposer des solutions exotiques, adaptées précisément aux besoins du client, ce qui se traduit souvent par des offres de produits multi-actifs, auxquelles ces gérants peuvent appliquer des frais plus important pour leur rémunération.

Deuxièmement, l’implication environnementale et sociale des entreprises jouera un rôle de plus en plus important dans les stratégies d’investissement. Les exigences croissantes des clients asiatiques en matière d’éthique ainsi qu’un durcissement des normes environnementales locales devraient réorienter les gérants d’actifs vers des produits « responsables ». Ainsi, la responsable de la branche asiatique de BNP Paribas Asset Management, Ligia Torres, présente-t-elle son groupe comme pionnier, en Chine, de produits éco- et socio-responsables (souvent désignés sous l’abréviation ESG dans la littérature anglo-saxonne).

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Pour certains pays (notamment les plus avancés économiquement), les sociétés d’asset management misent également sur l’émergence des fonds de pension pour accroître leur activité, un processus par ailleurs souhaité et encouragé par les gouvernements locaux afin de garantir une couverture en matière d’épargne-retraite pour des populations locales devenant vieillissantes. Les encours associés aux fonds de pension pourraient atteindre 6800 milliards de dollars d’ici 2025 en Asie, d’après des prévisions du cabinet PwC.

Les classes moyennes et supérieures ainsi que les grandes fortunes, en pleine expansion, devraient se développer encore dans les années à venir. La catégorie des classes moyennes devrait compter d’ici l’année 2030 un total de 2,5 milliards d’individus en Asie, ce qui impliquera un repli partiel de l’activité économique sur la consommation intérieure des Etats et favorisera les entreprises locales.

Parallèlement à cela, l’augmentation du nombre d’individus fortunés devrait, selon McKinsey, élever de 2000 milliards de dollars le montant des actifs possédés par les gérants d’actifs.

Néanmoins, bien que l’Asie paraisse être à l’heure actuelle un Eldorado pour ce secteur, certaines institutions redoutent une expansion des contraintes, actuellement recensées sur les marchés européen et américain, sur le continent Asiatique, à savoir une demande croissante de transparence auprès des différents acteurs, qui engendrerait les mêmes effets que la directive Mifid II en Europe, dont une augmentation de la pression sur les frais de gestion, chers aux gérants d’actifs.

Enfin, parmi les responsables du secteur asiatique au sein de groupes d’asset management questionnés par le Financial Times, la majorité s’accorde à concéder que les relations liant la Chine aux Etats-Unis, et plus précisément les tensions commerciales opposant ces mêmes pays, constituent un facteur d’incertitude important concernant la pérennité des investissements réalisés, d’autant plus que près de 80 % des flux d’actifs proviennent de la Chine continentale.

Nicolas Liszczynski, étudiant à l’EDHEC Business School et contributeur du blog Alumneye