Bitcoin, Ethereum, crypto-monnaies… Tout le monde en parle. Utilisées comme des moyens de paiement en ligne ou pour lever des fonds rapidement, cette classe d’actifs connaît une controverse de la part du grand public ainsi que des investisseurs, des entreprises et des banques. En effet, le bitcoin, ramené à sa « hype » médiatique, se réduit à une sorte « d’or numérique », qui n’a pas vraiment d’utilité dans la vie de tous les jours, sauf pour spéculer (+ 1500% depuis 2016). Difficile donc pour les institutions de faire le premier pas, sachant qu’elles ne gagneraient rien en adoptant une telle technologie.

Cependant, derrière le bitcoin se cache une technologie – la blockchain – qui mérite le détour puisqu’elle remet en cause une partie de l’économie moderne à savoir l’intermédiation. L’intermédiation est une caractéristique fondamentale de l’économie, et intervient chez tous les acteurs, en particulier les banques qui font le pivot entre le client et les marchés : intermédiation dans des opérations de M&A, dans des transactions en trading, pour des prêts étudiants, etc.

 

Qu’est-ce que la blockchain ?

Abordons le sujet sans plus attendre : une blockchain est simplement un registre de transactions. Tout échange d’un individu à un autre (d’argent, de marchandises, etc.)  y est enregistré sous forme de code crypté puis stocké de manière transparente pour tous les autres utilisateurs. Le cryptage assure la sécurité des données, puisque seuls les individus ayant effectué la transaction peuvent la décoder grâce à une « clef ». Cette caractéristique pousse de nombreuses entreprises – notamment en data – à s’interroger sur l’adoption d’une blockchain pour éviter d’être hackées.

L’autre aspect pratique de la technologie blockchain est sa capacité à programmer des contrats intelligents (smart-contracts) qui permettent l’exécution automatique de contrats lorsque offre et demande se rencontrent.

 

Quelles entreprises l’ont adoptée ?

Les premières entreprises à s’intéresser à cette technologie sont sans surprise les chaînes de Retail : Carrefour par exemple l’a appliquée en janvier 2018 sur sa gamme « Poulet d’Auvergne Qualité Carrefour ». L’objectif ? Garantir au consommateur la traçabilité de ses produits, en permettant à chaque acteur de la chaîne d’approvisionnement de renseigner les informations de chaque lot (dates, lieux d’élevage, composition, etc.). Bonne initiative de la part du géant français de la distribution, à l’heure où le consommateur est de plus en plus vigilant à l’origine de sa nourriture.

Amazon aussi envisage de s’essayer à la blockchain, en lançant son service « blockchain as a service », mettant à disposition des modèles-types de blockchain prêts à être utilisés par les développeurs de l’entreprise. Si Amazon s’est prononcée très récemment sur ce sujet, elle n’est pas la première dans la course : Oracle a développé un cloud sécurisé par blockchain un an après qu’IBM lançait sa branche « conseil en blockchain », qui met en place des solutions basées sur cette technologie dans des entreprises en transition digitale. Aujourd’hui, les investissements en solution blockchain restent menus : seulement 1,5 milliards de dollars dans le monde en 2018, selon les estimations du cabinet américain IDC.

On peut s’attendre à ce que les banques réagissent sous peu, tant leurs données sont nombreuses et nécessitent une sécurité maximale.

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« Blockchain as a Service »

 La technologie n’a pas encore fait beaucoup parler d’elle auprès du grand public, tant son attention était portée sur l’élan des crypto-monnaies à la fin 2017. Si l’utilisation en tant que registre de la technologie ne concerne pas directement les clients, une autre utilisation de la blockchain pourrait les intéresser : sa capacité à exécuter des contrats en autonomie.

En effet, l’autre aspect de la blockchain est de réduire le rôle des intermédiaires dans les transactions économiques. Par exemple, BTU Protocol, une crypto-startup, créée en 2017, développe une alternative aux commissions souvent jugées hors de prix des sites de réservation en ligne. Les acteurs comme Booking qui font le pont entre les hôtels et les consommateurs, prélèvent des commissions de l’ordre de 30% sur les transactions effectuées sur sa plateforme. BTU Protocol fonctionne sur le même principe mais les préférences du client sont enregistrées sur une blockchain qui cherche automatiquement et instantanément une offre satisfaisante, réserve directement (si le client valide) et enregistre la transaction. La commission est de 3%.

Une autre société développe des smart-contracts, mais cette fois à une échelle beaucoup plus vaste que BTU Protocol : Ripple. Créée en 2012 comme un « protocole de paiement », Ripple veut révolutionner les échanges bancaires. Le système vise à permettre des « transactions financières mondiales sécurisées, instantanées et presque gratuites ». Ripple est désormais utilisée par UBS et Santander comme technologie d’infrastructure de règlement. L’entreprise travaille également sur des partenariats avec American Express notamment.

Ces deux banques sont pionnières en terme de blockchain dans un paysage conservateur où la plupart des grandes institutions refusent catégoriquement son utilisation.

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Pourquoi les banques bloquent ?

Même si certaines banques ont déjà franchi le pas de la blockchain comme le Crédit Agricole qui utilise la plateforme Ripple pour raccourcir le délai d’échange de fonds à la demande de certains clients suisses (une transaction Ripple met moins de 5 secondes à s’effectuer) ou Barclays qui autorise depuis un an les dons en bitcoin, les autres restent globalement réticentes à l’adoption d’une telle technologie.

Premier problème qui pourrait effrayer les banques : laisser des transactions financières être gérées par une machine. Des controverses sont déjà en cours concernant la gestion par intelligence artificielle de certaines charges. Dans une économie ponctuée par des crises économiques fréquentes, rien de moins rassurant que de relayer sa gestion à des protocoles autonomes. Il est difficile d’imaginer une banque laisser un système numérique s’occuper d’une acquisition comme celle de Versace par Mickael Kors (1,83 milliards de dollars), tant les enjeux sont grands pour les parties. De plus, les controverses dans lesquelles le bitcoin est impliqué n’ont fait que ternir la réputation de la technologie qui le soutient. Depuis sa création, il est régulièrement remis en question en tant que moyen de paiement. Ses détracteurs accusent son manque de transparence et évoquent l’anonymat de son créateur pour le discréditer. En 2017, Jamie Dimon (CEO de JP Morgan) exprimait clairement sa méfiance envers la crypto-monnaie : « Bitcoin is a fraud […] The currency is not going to work ».

Le premier argument contre une adoption de la blockchain par les banques est donc purement conservateur.

On peut également interroger la capacité technique des banques à s’adapter à une telle technologie. En effet, leurs effectifs sont souvent massifs, comme la BNP qui emploie plus de 198 000 personnes. Adopter la blockchain demanderait d’employer des experts du domaine (encore très rares aujourd’hui) et revoir l’organisation entière des banques. Aussi, de nouvelles branches devront être ouvertes, concernant notamment les problèmes de régulation évidents que pose la technologie. Un rapport de France Stratégie, publié en 2018, met l’accent sur cette nécessité : « Il est indispensable de faire en sorte que les blockchains ne drainent pas les usages frauduleux et que le niveau de contrôle obtenu via les blockchains soit au moins égal à celui du système bancaire traditionnel. » Sur cette question, les banques françaises, en ayant blacklisté les IBAN de certaines bourses de crypto-monnaies, se montrent particulièrement intransigeantes. Cette aversion n’est pas sans fondement. En effet, sans cadre légal préalable, difficile d’imaginer les banques adopter des blockchains. Si les smart-contracts doivent remplacer les contrats traditionnels validés par plusieurs intermédiaires, il leur faut une reconnaissance légale de la part des États, pour ensuite bénéficier d’un statut juridique clair pour les banques. L’ordre des choses voudrait donc que des politiques légifèrent sur le sujet, puis que les banques s’emparent de la technologie.

Le dernier argument contre l’adoption des blockchains concerne le futur du système bancaire si l’intermédiation n’était plus utile.  En effet, si une blockchain peut elle-même gérer des contrats avec des commissions très basses (quelques millièmes de dollars par transaction sur la plateforme Ripple), pourquoi faire appel à des banques demandant plus ?  Difficile de donner une totale légitimité aux institutions bancaires, qui servent uniquement d’intermédiaires entre les clients et les marchés. Par exemple, la Banque mondiale a émis la première obligation sur blockchain, le 23 août 2018, à 110 millions de dollars australiens (68 millions d’euros environ). Cette émission a été assurée du début jusqu’à la fin par la plateforme Ethereum (système d’échange décentralisé connu comme le plus prometteur), sans utiliser le moindre intermédiaire humain.

Sur cette opération, Arunma Oteh, responsable de la trésorerie à la Banque Mondiale, exprimait sa confiance en la blockchain : « Nous pensons que la Blockchain a un énorme potentiel pour promouvoir la confiance, la fiabilité, la résilience, ce dont les pays que nous aidons ont besoin, et pour transformer les marchés de capitaux, les rendre plus sûrs et plus efficients. »

 

Si on ne peut pas encore parler de « révolution blockchain » où banques, notaires et comptables deviennent complètement obsolètes, on peut affirmer que le système est arrivé à maturité et qu’il devrait rapidement attirer l’attention des grandes institutions financières. Des startups se spécialisent déjà dans le conseil, comme Rotharium, qui transforme les infrastructures de ses entreprises clientes en blockchain. Puisqu’elles concernent les infrastructures des entreprises, les blockchains pourraient être la source d’une nouvelle économie, plus sécurisée, plus transparente, et bien plus efficace que l’actuelle…

 

Raphael Hassid, étudiant à l’EDHEC Business School et contributeur du blog AlumnEye