Lors du référendum du 23 juin 2016, le peuple britannique a voté de justesse en faveur d’une sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne (51,9 % de voix favorables). Suite à de nombreux échanges entre Londres et Bruxelles, la Grande-Bretagne a officiellement quitté l’UE le 31 décembre 2020 à minuit. S’en est ensuivi une période de transition au cours de laquelle le continent et le Royaume-Uni ont continué d’échanger sur de nombreux aspects politiques et économiques. Si le Brexit va indéniablement engendrer des modifications structurelles dans l’industrie des services financiers, l’Europe pourrait bien tirer parti de ce divorce politique pour renforcer ses places financières.

londres_finance_thatcherMais avant tout, d’où la City tient-elle sa notoriété ? C’est en 1565 que la City de Londres devient la principale place financière britannique avec la création de la Royal Exchange par Sir Thomas Gresham. A cela s’ajoute l’arrivée de la banque d’Angleterre dans ce quartier en 1734 et de la bourse, officiellement créée en 1801. Grâce à la révolution industrielle, ce quartier a gagné en attractivité en raison du besoin de financement des entreprises du secteur ferroviaire : les activités financières se sont alors développées dans la ville et concentrées à cet endroit. Par ailleurs, la position de la City en tant que principale place financière en Europe a été renforcée par le Big Bang initié par Margaret Thatcher en 1986. Le 27 octobre de cette année, la dame de fer avait adopté des mesures de libéralisation financière en s’appuyant sur 3 piliers : déréglementation, désintermédiation, décloisonnement (les 3D).

Actuellement considérée comme la deuxième place financière mondiale derrière Wall Street, la City pourrait perdre du terrain face aux autres bourses européennes telles que Paris, Amsterdam ou encore Francfort. Selon le Global Financial Center Index (GFCI), la place londonienne perd de sa superbe en passant de la première à la seconde place en 2020, avec 786 points GFCI, contre 788 pour New York et 783 pour Hong Kong. Le GFCI s’appuie sur une centaine de facteurs différents pour évaluer l’attractivité des places financières à travers le monde, parmi lesquels on retrouve les volumes échangés, le nombre d’entreprises présentes, les salaires… Au vu de la situation, le Chancelier de l’échiquier britannique Rishi Sunak et l’administration de Sir Boris Johnson auront à cœur de redorer le blason de la City pour contrecarrer les effets négatifs du Brexit.

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La City : une place financière moins attrayante

Le Brexit semble avoir particulièrement affaibli la place financière londonienne depuis le début de l’année 2021. En effet, de nombreuses sociétés de gestion d’actifs, comme Axa Investment Managers ou Allianz Global Investors ont délocalisé leur siège social et les membres du comité de direction, particulièrement les CEO, vers la Suisse, le Luxembourg, Paris et Francfort afin d’être au plus proche de la demande. Ce sont près de 1 200 milliards de livres qui ont été transférés avant même la fin de l’année 2020, en vue d’anticiper les potentiels blocages institutionnels dus à la sortie du Royaume-Uni de l’UE. Par ailleurs, depuis le Brexit, les ressortissants des pays membres de l’UE ne peuvent plus utiliser les plateformes de trading britanniques pour échanger des titres de sociétés cotées sur les marchés européens. Pour contrer ce phénomène, les bourses électroniques britanniques ont implanté des antennes aux Pays-Bas, à l’image de CBOE ou Turquoise NL qui ont délocalisé leur plateforme de dérivés sur actions. Les entreprises de trading haute fréquence ont quant à elles quitté la City pour s’installer au plus près des bourses électroniques dans le but de gagner de précieuses millisecondes dans les passages d’ordres et transactions effectuées.

londres_finance_amsterdam_quotasAmsterdam a également récupéré le marché des quotas d’émission de CO2, initialement positionné à Londres et géré par Intercontinental Exchange (ICE). Ce marché est un outil réglementaire mis en place en 2005 par l’Union européenne dans le but de limiter l’émission de gaz à effet de serre. En remportant ce marché, la place financière néerlandaise récupère donc un marché qui couvre plus de 12 000 sites industriels et représente près de 40 % du PIB mondial. La bourse d’Amsterdam semble donc être la grande gagnante de ce Brexit, en récupérant à la fois des entreprises privées, des marchés mis en place par les institutions européennes et des structures nécessaires au fonctionnement des marchés financiers. Les salariés également se tournent vers le continent pour la suite de leur carrière. Selon une étude d’EY, ce ne sont pas moins de 7 500 employés qui auraient quitté la City pour l’UE, et plus particulièrement pour le Luxembourg et Francfort, puis Paris et Amsterdam en second plan. 95 des 222 sociétés financières suivies par le cabinet d’audit et de conseil EY auraient quitté la City de Londres pour le continent européen.

Cependant, il est peu probable que la vague de départ massive qui a eu lieu au début de l’année 2021 se reproduise dans les années à venir. Le transfert massif des activités et des employés avait été réalisé afin de continuer de servir les clients européens depuis le continent. Par ailleurs, la peur d’un No Deal avait précipité les délocalisations. La collaboration entre Bruxelles et Londres étant désormais établie, notamment sur la question des chambres de compensation, les départs devraient se stabiliser d’autant plus si Londres obtient les équivalences souhaitées. De plus, le transfert de personnel est bien en deçà de ce qui était attendu par le Think Tank Bruegel qui prévoyait 30.000 départs répartis entre la banque et les services financiers.

Une délocalisation au profit des places boursières européennes

londres_finance_goldman_brexitConséquence directe du Brexit, Amsterdam devient la première place boursière européenne pour les échanges d’actions avec 9,2 milliards d’euros d’actions échangés par jour, contre 8,6 pour Londres, ayant subi une perte de près de la moitié des échanges (14,6 chaque jour en décembre 2020). Paris se place désormais en 3e position avec 6 milliards d’euros d’actions échangés par jour. En outre, Dublin, Luxembourg Francfort et Paris ont vu naître de nouvelles infrastructures au cours de l’année 2020 pour accueillir les nouveaux arrivants. 34 des 222 entreprises les plus importantes ayant délocalisé leurs activités se sont tournées vers Dublin, mais aussi vers Luxembourg, ville qui a attiré près de 26 entreprises à la suite de l’annonce du Brexit. Francfort et Paris sont également devenues deux places financières attractives pour les banques anglo-saxonnes. En effet, JP Morgan a rapatrié 200 milliards d’euros d’actifs de ses bureaux londoniens vers ceux de la ville allemande.

Paris a quant à elle attiré Goldman Sachs qui a ouvert une plateforme de trading européenne, Sigma X, en vue de traiter les opérations qui ne pourront plus l’être depuis Londres. Sachant que 30 % des volumes sur les actions sont susceptibles de quitter la City selon Les Echos, Goldman Sachs semble vouloir s’implanter sur le long terme à Paris, en renforçant ses effectifs et en ouvrant de nouveaux bureaux. En effet, le nombre d’employés présents sur la place financière française a doublé entre 2019 et 2021 pour atteindre plus de 300, et il pourrait à nouveau être multiplié par deux d’ici 3 ans. De même JP Morgan renforce ses effectifs à Paris en annonçant vouloir franchir le seuil des 800 salariés en 2022 et en ouvrant un nouveau hub à l’été 2021. La capitale française devient alors le premier pôle pour la banque américaine, devant Francfort et Milan. De même Crédit Agricole CIB aurait rapatrié entre 2 % et 6 % de ses salariés sur le campus de Montrouge, lieu où se situe désormais le siège social. Citi Bank a elle aussi effectué un transfert des employés depuis la City vers l’UE, tout comme Bank of America : se sont respectivement 150 et 450 employés qui ont été redéployé au sein des antennes européennes.

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Des efforts pour endiguer la fuite des activités vers le continent

Londres, et plus particulièrement le chancelier de l’échiquier Rishi Sunak, font tout leur possible pour rehausser l’attractivité de la City auprès des investisseurs, mais aussi des professionnels afin de préserver son statut de place privilégiée dans le monde de la finance.

Ce renouvellement passe donc par des régulations qui touchent principalement les branches de la finance qui ont délocalisé leurs activités. L’Asset Management fait par exemple l’objet d’un assouplissement réglementaire combiné à un nouveau cadre fiscal, permettant d’être plus compétitif face aux fonds d’investissement européens. Les fonds de placement commun, qui permettent d’investir collectivement dans un portefeuille de valeurs, sont actuellement soumis à une certaine fiscalité peu avantageuse. Les professionnels de la gestion d’actifs réclament donc la neutralité fiscale afin qu’un particulier investissant dans un fonds de placement commun soit taxé du même montant que s’il avait acquis ces mêmes actifs sans intermédiaire. Dans le même esprit, les taxes sur les bénéfices pourraient être réduites pour les investisseurs en actions.

En plus des réformes fiscales menées par le gouvernement britannique pour attirer les investisseurs, de nouvelles mesures réglementaires ont été prises au cours de l’été 2021 afin d’accélérer la procédure d’autorisation des fonds par la Financial Conduct Authority (FCA), l’équivalent de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) en France. Auparavant, un fonds britannique était listé au bout de deux mois, là où l’AMF délivre l’agrément sous 17 jours. L’écart se voit désormais réduit puisqu’un fonds britannique pourrait obtenir son agrément en un mois seulement. D’autre part, un assouplissement des règles de compliance, de reporting et de prospectus devrait être mis en place pour les fonds alternatifs en vue de rapatrier des capitaux depuis l’Europe. De même, la FCA laisse la possibilité à ces mêmes fonds alternatifs de créer de nouveaux produits pour rester compétitif en termes de performance et de collecte face aux Européens.

londres_finance_lse_techPar ailleurs, d’autres mesures ont été prises en ce qui concerne l’industrie des services financiers. Les sociétés d’assurances britanniques pourraient se voir octroyer le droit de diminuer leurs réserves en capital réglementaire par le biais d’un changement dans la méthode de calcul de la marge de risque pour mieux s’adapter au marché britannique. Grâce à cette manœuvre, 95 milliards de livres pourraient alors être redéployés dans de grands projets d’infrastructures. Cela aurait pour effet à la fois d’améliorer les infrastructures du pays, mais aussi d’offrir des possibilités d’investissements aux institutionnels et individus. Une autre réforme consiste à autoriser les actions à droits de vote multiple sur le segment premium du FTSE pendant les cinq premières années de cotation afin d’attirer des entreprises de la tech. Grâce à ce système, les dirigeants ne perdraient pas le contrôle de leur entreprise, mais pourraient tout de même obtenir des financements nécessaires à leur croissance. En plus de cette mesure, le niveau de flottant pourrait être amené à 15 % au lieu des 25 % actuellement en place. La diminution de cette partie des actions pouvant être échangées sur les marchés financiers aurait pour but d’inciter plus d’entreprises à s’introduire en bourse à moindre risque. A ce sujet, Londres a réalisé une excellente année comparée aux bourses du continent : plus de 70 introductions en bourse et plus de 13 milliards d’euros de fonds levés entre janvier et septembre 2021, soit plus qu’Amsterdam et Paris cumulés (9 et 2 milliards d’euros respectivement).

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Londres souhaite également se positionner devant les bourses européennes concernant les Special Purpose Acquisition Companies ou SPACs, ces holdings cotées sur les marchés boursiers afin d’acquérir une société ou procéder à une fusion. Pour attirer ce type de structures, le London Stock Exchange a décidé que les SPACs levant au moins 100 millions de livres lors de leur introduction en bourse ne verraient plus la cotation de leurs actions suspendue dès qu’une cible d’acquisition est annoncée. Cette mesure pourrait bien réduire l’écart des montants levés par rapport à Wall Street. Seulement 4 milliards de dollars ont été levés en 2020 par la bourse londonienne via des SPACs, là où le NYSE en a déjà amassé 120 sur la même année.

 

Des tentatives de rétention des talents

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Par ailleurs, les autorités britanniques se consultent aussi afin d’attirer et retenir les professionnels de la finance. En effet, à compter de la mise en œuvre du Brexit, Londres a vu beaucoup de financiers partir vers le continent afin de renforcer les équipes présentes sur place. Avant même l’annonce officielle du divorce, on ne pouvait s’empêcher de constater le départ de certains banquiers millionnaires vers le continent. En 2019, Paris observait une hausse de 15 % de sa population de banquiers millionnaires contre 10 % à Francfort. Cependant, 75 % des banquiers les plus riches restent aujourd’hui localisés à Londres (3520 banquiers millionnaires) selon Les Echos. Pour pallier ce brain drain, plusieurs mesures sont envisagées, à commencer par le déplafonnement des bonus. Depuis 2014, l’Union européenne avait imposé un plafonnement des bonus à 2 fois le salaire fixe dans le but de limiter les risques pris par les opérateurs de marchés après la crise financière de 2008. Un déplafonnement des bonus britanniques attirerait les meilleurs profils seniors, qui obtiendraient alors un surplus de salaire grâce à leurs performances. Par ailleurs, cette mesure profiterait aux banques et aux autres structures qui, plutôt que d’augmenter le salaire fixe de leurs banquiers dans les prochaines années, comptent attirer des talents en augmentant la part du salaire variable. D’autre part, cela permettra de limiter les coûts fixes, et donc d’obtenir des meilleurs taux de rentabilité, d’être plus compétitif et de mieux réagir aux chocs de marchés.

Il semblerait que le Brexit ait opéré un big bang dans l’univers de la finance, tant à Londres que dans le reste de l’Europe. Malgré une certaine perte de vitesse de la place financière, les pouvoirs britanniques se démènent pour jouir pleinement de leur émancipation de l’Union européenne, et maintenir leur attractivité. Les nouvelles mesures d’assouplissement vont permettre à Londres de rester compétitive, malgré les déconvenues du début d’année 2021. Par ailleurs, les places financières européennes ne sont pas encore assez intégrées et ne coopèrent pas suffisamment entre elles pour faire concurrence à la capitale anglaise sur le long terme. Cependant individuellement, celles-ci mettent tout en œuvre pour accueillir les expatriés britanniques et accroître leur compétitivité.

Hugo Adoux, étudiant à NEOMA Business School et contributeur du blog AlumnEye