Les pays membres du G20 ont annoncé la mise en place, à la date du 13 novembre 2020, d’un cadre commun permettant une restructuration de la dette africaine, à la suite de l’insuffisance du moratoire sur celle-ci en avril 2020. Cette démarche sollicitera pour la première fois des créanciers publics et privés ainsi que certains pays non-membres du Club de Paris, comme la Chine. Cette initiative reste tout de même jugée insatisfaisante par certains militants et ONG qui estiment que les mesures annoncées ne suffisent pas pour pallier l’impact de la crise de la COVID-19.

 

Une initiative qui supplée le moratoire d’avril 2020

La crise imputée à la COVID-19 a accru la fragilisation des économies africaines. À la suite d’une croissance de 2,4% en 2019, la récession sur le continent devrait se chiffrer en moyenne à 2% voire 5%. La nécessité pour les pays du G20 de se pencher sur la dette des pays africains apparaît donc comme vitale. Cette volonté de restructuration de la dette africaine succède à la mise en place, en avril 2020, d’un moratoire sur le paiement de la dette de six mois – prolongé en octobre 2020, jusqu’en juin 2021 – permettant de faire face au défaut de paiement des pays les plus pauvres (Sierra Leone, Guinée-Bissau, Éthiopie, Libéria…) qui n’a de cesse de s’accroître à la suite des difficultés rencontrées avec la crise actuelle.

 

Personne en tenue de protection en train de lire le journal

Cette initiative de suspension du service de la dette (ISSD) bénéficiera à 76 pays dont une quarantaine de pays africains. Cependant, certains pays de ce continent, tels que l’Algérie, le Maroc, la Tunisie, l’Angola ou encore la Libye, ne sont pas éligibles à cette aide. Cette mesure, décidée au cas par cas, est complémentaire d’autres décisions, comme celles du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale, qui détiennent à elles seules près de 27% de la dette du continent africain. Ainsi, le FMI a assuré mettre à disposition près de 100 milliards de dollars au travers de nombreux mécanismes de financement d’urgence et l’Union Européenne s’est engagée à apporter une aide de 2,1 milliards de dollars aux pays de l’Afrique subsaharienne. La Banque mondiale et certaines ONG réclamaient un renouvellement d’au moins un an du moratoire, certains militants prêchant même pour une annulation totale de la dette des pays les plus pauvres. En effet, pour le moment, la suspension de la dette qui a été décidée n’est que partielle et provisoire et ne porte que sur la moitié des 30 milliards d’euros des remboursements attendus en 2020, qui devront alors être remboursés en 2022, échelonnés sur 3 ans avec des intérêts potentiellement plus élevés. De fait, le moratoire ne porte que sur les dettes détenues par les créanciers membres du Club de Paris. L’immense dette détenue par la Chine, premier créancier du continent africain, et celle détenue par les créanciers privés ne sont pas concernées. Bien que la Chine ait accepté le principe de rééchelonnement de la dette africaine, ce n’est pas le cas des créanciers privés qui semblent perplexes pour le moment. Ce moratoire offert par les pays du G20 ne fait qu’atermoyer le remboursement de la dette et la mise en place de plans d’ajustements structurels, ce qui risque par conséquent de s’accompagner d’une augmentation du poids de la dette, à très court terme.

 

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Les différentes actions pour résorber les dettes des pays pauvres

Le cadre commun annoncé par les pays membres du G20, pour donner suite à l’insuffisance du moratoire d’avril 2020, s’inscrit dans la continuité de mesures et plans mis en place ces dernières années afin de réduire l’endettement des pays les plus en difficulté.

L’idée de l’annulation de la dette pour les pays en difficulté n’est pas un sujet nouveau. En effet, il fut l’objet d’une large campagne, en 1999, soutenue par des associations non-gouvernementales, telles que le CADTM (Comité pour l’abolition des dettes illégitimes) et des organisations chrétiennes. Parmi celles-ci, on peut citer Pain pour le prochain. Cette association est une communauté de travail composée de plusieurs autres associations chrétiennes (Caritas, Helvetas, etc.) qui visent à sensibiliser au mieux les milieux politiques et financiers à ce fardeau. Pour ce faire, ses membres cherchent à susciter l’émoi et la compassion des opinions publiques des pays membres du G8 de l’époque, et appellent les membres des associations à faire pression sur leurs gouvernements et les institutions internationales. Cette opération a abouti, en juin 1999, à la remise d’une pétition munie de 17 millions de signatures au sommet des sept pays les plus riches de la planète et la Russie (G8) à Cologne. L’objectif était d’amener les gouvernements des pays occidentaux à tirer un trait sur une partie de leurs créances envers les pays du Sud les plus endettés.

Cette campagne, associée à des manifestations au sommet du G8 de 1998 à Birmingham, permit d’inciter les gouvernements occidentaux ainsi que les institutions internationales comme le FMI ou la Banque mondiale, à prendre des mesures concrètes afin de juguler l’endettement des pays les plus en difficulté comme le Libéria, l’Éthiopie ou encore les Comores. Ainsi, l’initiative pays pauvres très endettés renforcée (PPTE renforcée), faisant suite au programme PPTE lancé en 1996 par le FMI et La Banque mondiale, fut lancée en 1999 et a permis d’entreprendre un processus d’annulation des dettes pour les pays éligibles tout en s’assurant d’une réduction de leur pauvreté. Le cas du Togo, nullement isolé, est significatif à cet égard. En effet, au début des années 1990, une grève générale fut décrétée dans le pays, à la suite de nombreuses protestations sociales liées à la décision du gouvernement visant à suspendre le versement de toute bourse nationale à ceux qui manifestent contre le régime. Ces protestations sociales ont alors grandement fragilisé l’économie du pays et notamment le secteur de l’exportation. De 1979 à 1995, ce pays a conclu dix accords avec le Club de Paris et a alors bénéficié d’une annulation des deux tiers de sa dette commerciale et de la suspension pendant plus de quinze ans des remboursements des prêts d’aide au développement. Et pourtant, le Togo, malgré ces efforts répétés, n’a pas pu assainir sa situation financière. C’est pourquoi, en juin 1992, le pays a obtenu une annulation de 50 % et un rééchelonnement de 50 % sur 23 années dont 6 de grâce concernant les crédits commerciaux publics.

Pour qu’un pays soit éligible au programme PPTE renforcée, il ne doit être éligible qu’à une assistance concessionnelle (lorsque le taux d’intérêt du prêt est inférieur aux taux du marché) de la part du FMI et de la Banque mondiale, faire face à un niveau d’endettement insoutenable, avoir parfaitement mis en œuvre des réformes et de saines politiques économiques dans le cadre de programmes soutenus par le FMI et la Banque mondiale et avoir formulé un document de stratégie pour la réduction de la pauvreté (document décrivant les politiques engagés par le pays pour la réduction de la pauvreté). De ce fait, certains pays qui ont sollicité ce programme n’y sont pour le moment pas éligibles. C’est le cas notamment du Soudan ou de la Somalie dont les réformes politiques ne répondent pas aux attentes édictées par les critères d’éligibilité au PPTE.

Ainsi, les premiers pays concernés par le PPTE sont essentiellement africains et les sommes contractées via ce programme sont consacrées à la santé, à l’éducation et à la réduction de la pauvreté. Près de trois quarts des différentes sommes sont fournies par la Banque mondiale et le reste par le FMI et la Banque africaine de développement (BAD).

Cependant ce programme, tout comme le moratoire annoncé fin 2019, s’inscrit, pour ses détracteurs, dans une logique contre-productive ayant pour conséquence de délaisser les pays fournissant de grands efforts pour effacer leurs dettes, au profit de pays davantage endettés et de surcroît moins rigoureux au sujet de leur politique budgétaire et économique. De plus, les mesures appliquées dans le cadre du document de stratégie pour la réduction de la pauvreté, peuvent aggraver la situation des pays les plus pauvres et les moins industrialisés. Par exemple, en 1998, l’éligibilité de la Côte d’Ivoire au programme PPTE fut conditionnée à une libéralisation totale du secteur du café pour l’année de récolte 1998-99. Cette libéralisation totale a eu pour effet la suppression des droits de douane sur le café, ce qui a constitué une perte sèche et considérable pour l’État ivoirien, déstabilisant davantage la situation économique du pays à rebours de l’améliorer.

 

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Les mesures retenues pour soutenir les États africains

En l’absence d’une annulation de dette globale convenue dans un cadre multilatéral, différentes mesures devraient être prises par les prêteurs. Tout d’abord, les institutions multilatérales, y compris le FMI et la Banque mondiale, devaient proposer une annulation immédiate de tous les paiements de dettes échues en 2020, pour tous les pays dans le besoin. De plus, Le FMI et la Banque mondiale devaient exhorter les pays concernés à annuler leurs remboursements aux créanciers privés. Emmanuel Macron appelait déjà le 13 avril 2020 à annuler massivement la dette des pays africains. Le lendemain de cette allocution télévisée, la France faisait déjà marche arrière : si la dette venait à être annulée, cela se ferait au cas par cas et dans un cadre multilatéral. L’annulation de la dette africaine laissait alors place à un moratoire du Club de Paris et du G20. En outre, les financements du FMI et de la Banque mondiale se feront sous forme de subventions et non de prêts et un rééchelonnement des dettes auprès des autres prêteurs sera exigé, afin de s’assurer que les subventions fournies par le FMI et la Banque mondiale seront utilisées dans le but de résorber les conséquences économiques de la COVID-19 et non pour rembourser d’autres prêteurs. D’autre part, tous les États créanciers membres du Club de Paris ainsi que la Chine, le Koweït at l’Arabie Saoudite, devaient annuler tous les paiements de dettes échues en 2020 pour tous les pays dans le besoin ainsi que pour ceux préalablement éligibles à différentes aides du FMI et de la Banque mondiale (comme les prêts concessionnels offerts par le FMI par le biais du fonds fiduciaire pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance). Enfin, différentes juridictions, comme celles de New-York et du Royaume-Uni, devaient légiférer pour empêcher tout prêteur de poursuivre un État en cessation de paiement pour la dette de l’année 2020.

Or, la structure de la dette africaine pose problème. Si traditionnellement les bailleurs bilatéraux étaient regroupés dans le Club de Paris, ces derniers ont progressivement été remplacés par des créanciers provenant de pays émergents, la Chine en tête. La situation actuelle montre les limites de ce système qui oblige les organisations multilatérales à repenser leurs conditions de prêts afin d’attirer les États africains vers un modèle de développement plus durable. Les mesures d’aide se multiplient mais la perspective d’une annulation de la dette africaine n’est guère plus proche. Le moratoire sur le paiement des intérêts de la dette des pays les plus pauvres décidé par le G20 en avril 2020, a été prolongé jusqu’au 30 juin 2021. En novembre, les ministres des Finances du G20 se sont accordés sur un cadre commun visant à atténuer les effets de la crise. Cela a été une étape importante car c’est la première fois que tous les pays créanciers, membres du Club de Paris ou non, se sont accordés pour traiter de manière coordonnée la dette des pays les plus pauvres. En février 2021, le G20 des Finances se réunissait à nouveau. Parmi les participants, le ministre des Finances de la République Démocratique du Congo, Sele Yalaghuli, représentait le continent africain. Après avoir insisté sur la nécessité de trouver un cadre commun aux politiques budgétaires et fiscales visant à alléger le fardeau de la crise de la COVID-19, le ministre a milité pour l’annulation de la dette africaine. Dans le même temps, le Tchad, la Zambie et l’Éthiopie ont demandé une restructuration de leur dette. Enfin, sur les 73 pays éligibles, seulement 46 ont réussi à obtenir le paiement différé des intérêts. En revanche, l’élection de Joe Biden laisse planer un vent d’optimisme pour les pays africains. Prenant le contrepied de l’administration Trump, Janet Yellen a déclaré être prête à discuter d’une nouvelle allocution de droits de tirages spéciaux du FMI pour soutenir les pays les plus pauvres. S’il est trop tôt pour parler d’une annulation de la dette africaine, force est de constater que les organisations multilatérales n’ont pas abandonné ce continent.

Ces différentes mesures ont été conçues dans l’optique de soutenir les dépenses publiques liées à la santé et la protection sociale, afin d’aider les populations des pays les plus en difficulté à faire face aux répercussions économiques imputées à la crise de la COVID-19.

 

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Les impacts de la pandémie sur les États africains

De nombreux pays étaient en sérieuse difficulté et présentaient une dette déjà insoutenable avant la pandémie, c’était déjà le cas au Togo et au Mozambique par exemple. La crise sanitaire n’a fait qu’augmenter cette dette, accroissant les difficultés financières rencontrées par les États aux économies les plus fragiles. En effet, la crise liée à la COVID-19 a entraîné la baisse du prix des matières premières, telles que le cuivre et l’aluminium, au cœur de l’économie de nombreux pays africains. De plus, l’augmentation des taux d’intérêts pour les États du Sud et les fuites de capitaux enregistrées dans les pays africains ont encore plus fragilisé la situation économique de ces pays. Cette fuite s’élève à près de 86,8 milliards de dollars par an, additionnant corruption, contrebande, ou encore sous-facturations des exportations. En effet, certaines multinationales s’adonnent à sous- facturer le montant des exportations afin de percevoir le bénéfice de la transaction sur un autre compte ouvert dans un pays tiers. Les recettes publiques de ces États sont donc condamnées à diminuer au rebours du coût de la dette qui ne cesse d’augmenter.

 

 

Lionne rugissant dans la savane

Ainsi, nombreux sont ceux qui militent pour une annulation de la dette africaine, comme le président sénégalais Macky Sall, afin d’aider les pays les plus fragilisés à faire face aux conséquences de la crise sanitaire. Cependant certains s’opposent à cette idée, arguant l’altération de la réputation économique du continent si cette mesure était appliquée. C’est la position avancée par le député sénégalais Mamadou Lamine Diallo qui s’inquiète des conséquences d’une annulation de la dette des États africains sur l’indépendance du continent. Le député sénégalais propose plutôt d’identifier la dette non utile au développement des pays du continent africain. Il propose ainsi la création d’un groupe, chargé d’évaluer l’ampleur des flux financiers illicites sortant du continent.

L’ampleur de ces flux financiers s’est accrue avec la crise de la COVID-19 et dépasse même la valeur de l’aide publique au développement. L’audit mené devrait permettre de déterminer la part de la dette qui aura servi au développement économique du continent et celle qui n’y aura pas contribué. Cette dernière, non utile pour le développement, serait alors annulée. En outre, le groupe chargé de l’audit devra proposer des solutions afin d’annihiler les flux financiers illicites sortant du continent africain chaque année.

Les États-Unis étaient également opposés à certaines mesures annoncées par le Fonds Monétaire International, comme la proposition de ce dernier de lancer une émission extraordinaire de DTS (droits de tirage spéciaux). Les DTS constituent des créances que les États peuvent convertir en monnaie. Ainsi, selon les calculs du FMI, 500 milliards de dollars en DTS seraient suffisant pour pallier les difficultés dont font face les pays du continent africain. Si l’administration Trump avait bloqué cette proposition du FMI, Janet Yellen, secrétaire au Trésor sous la présidence Biden, s’est déclarée ouverte à la discussion. Si elle venait à lever le véto américain, cette augmentation des DTS permettrait de dégager des ressources supplémentaires nécessaires aux économies africaines.

Bien que le Continent africain recense moins de cas de COVID-19 que certains pays développés, en raison notamment de la démographie du continent (41% de la population a moins de 15 ans), les répercussions économiques n’y sont pas moindres. En effet, les mesures de restrictions adoptées dans de nombreux pays développés ont entraîné une diminution des échanges commerciaux et économiques avec les pays extérieurs et notamment les pays africains. De plus, nombreuses sont les économies du continent à reposer sur le commerce de matières premières qui s’est vu altéré par la crise sanitaire. En outre, la fuite de capitaux enregistrée lors de la crise sanitaire a continué de fragiliser la situation économique d’un grand nombre de pays du continent. Le moratoire proposé début 2020, puis la réflexion quant à la nécessité de l’annulation au cas par cas de certaines dettes de pays africains, s’inscrit donc dans une continuité de mesures mises en place au cours des dernières années par les institutions internationales telles que le FMI ou la Banque mondiale afin de résorber les difficultés économiques et financières des pays les plus pauvres.

 

Salim Hadjene, étudiant à l’IMT Lille Douai et contributeur du blog AlumnEye