Le 19 octobre 2019, Christine Lagarde a été nommée à la tête de la Banque Centrale Européenne (BCE). Auparavant, le Conseil européen réuni à Bruxelles avait officialisé le remplacement de l’Italien Mario Draghi en ce 1er novembre « pour un mandat non-renouvelable de huit ans », selon un communiqué. Si la nomination de Christine Lagarde apparaît désormais davantage comme une évidence, les défis qui l’attendent ne sont pas moindres. Son profil de non-économiste divise, et nombreux s’accordent à dire que son prédécesseur lui aurait savonné la planche. Récemment, le conseil des gouverneurs est apparu divisé sur les nouvelles mesures de soutien à l’économie. L’arrivée de Christine Lagarde s’inscrit non seulement comme un changement de gouvernance, mais illustre bien les enjeux actuels et futurs de la BCE.

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Une entrée en sobriété appréciée

Pour son tweet de bienvenue, la nouvelle présidente de la BCE a fait sobre : « Je remercie sincèrement les dirigeants européens. J’ai hâte de travailler avec les employés talentueux pour garder les prix stables et protéger les banques ». La sobriété et l’humilité, maîtres mots des débuts réussis de Christine Lagarde à la BCE. Auditionnée début septembre par les eurodéputés, elle a passé les épreuves haut la main : « Je me suis préparée autant que j’ai pu mais l’expérience s’acquiert au fil du temps » a-t-elle concédé. Se qualifiant même de « débutante », elle n’a pas encore pris de réel positionnement stratégique, suivant surtout les pas de Mario Draghi.

L’économiste italien termine un mandat mouvementé à la tête du BCE. En 2011, celui qu’on nommait « Super Mario » a sauvé l’Union économique et monétaire en abaissant le taux refi (taux de refinancement auprès de la BCE). Il reste surtout célèbre pour avoir engagé le 22 janvier 2015, la BCE pour la première fois dans un mouvement de quantitatif easing d’environ 2 800 milliards d’euros. Pour autant, Mario Draghi a échoué à relancer la croissance européenne durablement. En septembre, il a annoncé la reprise des achats de titres de dettes publique. Cette fuite en avant des politiques monétaires expansives a offert un nouveau surnom à l’italien, baptisé par le quotidien allemand Bild « Draghila », le comte qui siphonne les comptes des épargnants.

Si Christine Lagarde a déclaré devoir poursuivre la politique expansionniste pour le moment, le Quantitative Easing est-il pour autant sans fin ?

 

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Les priorités pour Christine Lagarde

« Il est clair que la politique monétaire a besoin de rester très accommodante dans un avenir prévisible » a-t-elle précisé dans des réponses écrites au Parlement européen au cours de sa nomination. Elle a même ajouté que la BCE n’avait pas encore atteint le « plancher » de sa politique en matière de taux d’intérêt. Certes la faible expansion économique de la zone euro plébiscite les mesures de soutien, pour autant elles sont devenues une facilité. Si la BCE applique continuellement des mesures expansionnistes, elle risque de discréditer durablement sa monnaie.

L’inefficacité de la politique monétaire renforce la défiance des agents économiques, restreignant de facto leurs dépenses d’investissement et leur confiance. Le plus inquiétant demeure les conséquences des taux bas sur les marchés financiers et leurs répercussions pour les investisseurs. Pour Christine Lagarde, il paraît « clair que des taux bas ont des implications pour le secteur bancaire et la stabilité financière en général ». Préserver la crédibilité de l’Euro, rassurer l’Allemagne et son secteur bancaire ; la BCE est confrontée à défis majeurs !

Pour ses premiers pas, la nouvelle présidente a pris ses positions, mais elle a également tenté de se démarquer de son prédécesseur. Christine Lagarde a déclaré vouloir mettre davantage l’accent sur l’égalité des sexes, l’action pour le climat et renouveler la communication de la Banque Centrale, jugée trop « technocratique ». D’autre part, elle table pour l’heure sur un « impact limité » du Brexit sur l’accès aux services du secteur financier en zone euro.

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A-t-elle vraiment l’expérience pour réussir ?

L’arrivée de Christine Lagarde à la tête de la Banque Centrale Européenne vient conclure un parcours absolument brillant. Après été plusieurs fois ministre et à la tête du FMI pendant huit ans, il est certain qu’elle dispose d’une véritable stature internationale. Sa connaissance des rouages politiques européens ainsi que ses capacités de management seront ses principaux atouts à la tête de la BCE. Néanmoins, Christine Lagarde n’est ni une économiste, ni une banquière centrale de formation. Ses prédécesseurs (Draghi, Trichet ou Duisenberg) avaient tous occupé le poste de banquier central dans leurs pays respectifs.

Pour Alice Lévine, stratégiste en chef pour la banque américaine BNY Mellon Investment : « elle est davantage une figure politique qu’économiste ». A titre d’exemple, elle avait eu des déclarations peu inspirées au moment de la crise des Subprimes : « La crise de l’immobilier et la crise financière ne semblent pas avoir d’effet sur l’économie réelle américaine. Il n’y a pas de raisons de penser qu’on aura un effet sur l’économie réelle française ». Beaucoup soulignent le risque d’avoir une non-spécialiste à la tête de BCE, puisqu’il convient d’y prendre des décisions rapides et souvent techniques.

En l’espèce, Christine Lagarde n’est pas une spécialiste sans pour autant être une « débutante » comme elle l’a modestement évoqué. Ce profil peut néanmoins pleinement réussir car comme l’a récemment suggéré l’ancien Président de la BCE, Jean-Claude Trichet : « la BCE ne peut pas tout ». L’une des priorités pour la Banque Centrale est de rétablir la confiance des consommateurs, des investisseurs, mais surtout des épargnants et des financiers professionnels. Elle doit également être en mesure d’amener des pays tel que l’Allemagne à faire preuve de plus de solidarité afin de soutenir la croissance, en assouplissant son orthodoxie budgétaire. Au micro de RTL, Christine Lagarde a déjà envoyé un message fort aux pays en excédent budgétaire en soulignant qu’ils « n’ont pas vraiment fait les efforts nécessaires » pour consolider une croissance, pendant que les banques centrales « ont fait leur boulot ».

A l’heure où les économistes et les experts manquent d’innovation et d’instruments, le charisme et l’expérience managériale de Christine Lagarde ne pourraient-ils donc pas apporter un second souffle à la BCE ? En matière de politique monétaire, les nouvelles politiques de forward guidance et le mandat de Mario Draghi montrent toute l’importance des effets d’annonce. En 2012, « Super Mario » avait sauvé l’Euro affirmant à Londres que la Banque Centrale ferait « tout ce qui est nécessaire ». Toute la question demeure de savoir si Christine Lagarde sentira elle aussi les bons coups. Il demeure certain que la nouvelle présidente de la BCE, et plus globalement la Banque Centrale, ne pourra pas redresser la zone Euro seule.

 

Nathan Granier, étudiant à l’ESCP Europe et contributeur du blog AlumnEye