En 2007, Nassim Nicholas Taleb et son associé Mark Spitznagel créent le fonds d’investissement Universa Investments. Universa n’a rien d’un fonds classique car la stratégie qu’il emploie est basée sur ce que l’on nomme le “Fat Tail Hedging”. En effet, cette stratégie se concentre sur des événements qui ne se produisent que très rarement. Les résultats ne se sont pas faits attendre puisque le fonds a enregistré des performances remarquables pendant la crise des subprimes en 2008, et plus récemment lors de la crise du Coronavirus en 2020.

 

Des fondateurs expérimentés, pionniers de la couverture contre les risques extrêmes

Nassim Nicholas Taleb est un statisticien de formation spécialisé en mathématiques financières. Il possède un MBA de l’université de Pennsylvanie et un doctorat en sciences de gestion de l’université Paris Dauphine. Taleb est connu pour avoir écrit le fameux livre “The Black Swan” appliquant la théorie du cygne noir à la prise de décision. Un cygne noir est un événement très peu probable qui, s’il se réalise, peut avoir un effet dévastateur sur l’économie. Dans ce livre, Taleb y prédit notamment la crise économique de 2008. Fort d’une expérience de plus de 20 ans sur les marchés financiers en tant que trader sur les marchés dérivés pour BNP Paribas, UBS, Crédit Suisse, Banker Trust, CIBC et la banque Indosuez, il devient un pionnier de la gestion du “tail risk” qui consiste à couvrir ses positions lorsque les mouvements sur les marchés sont très prononcés.

Mark Spitznagel, quant à lui, est diplômé en mathématiques de l’université de New York. Il commence à trader sur le marché des commodities avant de devenir trader indépendant sur le Chicago Board of Trade puis pour fonds propres pour Morgan Stanley à New York. En 2007, Taleb et Spitznagel s’associent pour créer Universa Investments, qui deviendra le premier fonds à mettre en pratique l’investissement “Black Swan”.

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Un fonds qui se distingue par sa stratégie d’investissement “Black Swan”

Universa gère un portefeuille clients de plus de 5 milliards de dollars. La stratégie du fonds consiste à parier massivement sur des événements très peu probables comme les krachs boursiers. Il assure ainsi à ses clients que leurs pertes seront minimes en temps de prospérité économique, mais que si un choc brutal intervient sur les marchés, les gains pourront atteindre des sommes astronomiques.

La stratégie du “Black Swan” employée par le fonds est basée sur la convexité. Les événements convexes sont ceux qui produisent des rentabilités importantes s’ils se produisent. En protégeant leur portefeuille contre les chutes brutales sur les marchés, les investisseurs peuvent allouer le reste de leur capital à des produits financiers à hauts risques systémiques. Cette stratégie est d’autant plus efficace lorsque les caractéristiques des actifs ne répondent plus à des critères fondamentaux comme c’est le cas pendant les crises économiques majeures.

Spitznagel s’oppose à la théorie moderne du portefeuille énoncée par Harry Markowitz en 1952 selon laquelle les valeurs des actifs qui constituent un portefeuille diversifié ne peuvent pas toutes plonger en même temps. Il avance, dans un article intitulé “The Volatility Tax” publié en 2018 sur le site officiel d’Universa, que lors des krachs économiques, les corrélations de ces actifs augmentent et deviennent moins défensifs. Même dans le cas où la diversification parvient à réduire les pertes du portefeuille, la rentabilité se retrouve finalement également réduite.

Techniquement parlant, la stratégie d’Universa consiste à prendre des positions long puts “hors de la monnaie” pour générer des gains explosifs lorsque les marchés sont fortement baissiers et à investir dans des actifs qui protègent le portefeuille lorsque les marchés sont, à l’inverse, haussiers, tels que des Fonds Négociés en Bourse (FNB). Avoir une position long puts signifie s’octroyer, en échange d’un montant versé à l’avance, appelé “premium”, le droit de vendre une quantité d’actif sous-jacent, à un prix déterminé et pendant une période donnée. Rappelons également qu’un put est dit “hors de la monnaie” lorsque le prix de l’actif sous-jacent est supérieur à son prix d’exercice. Afin de minimiser les pertes engendrées par le paiement du “premium” des puts lorsque les marchés sont haussiers, Universa sélectionne des puts “hors de la monnaie” car ceux-ci sont sous-évalués. Le fonds constitue alors un portefeuille robuste en y ajoutant des FNB ou tout autre actif qui génère des gains lorsque les marchés sont haussiers. Pour rappel, les FNB sont des fonds de placement en valeurs mobilières dont les parts peuvent être négociées en bourse. L’avantage des FNB est qu’ils sont composés des mêmes actifs que l’indice qu’ils répliquent et procurent donc un effet de diversification à moindre coût. Le portefeuille génère ainsi des gains explosifs en temps de crise grâce aux puts sous-évalués et des pertes minimes compensées par les profits d’actifs qui répliquent les indices boursiers. À titre d’exemple, en 2018, “The Wall Street Journal” annonçait qu’une stratégie qui consiste à investir 3,3 % dans le fonds d’investissement Universa et les 96,7 % restants dans l’indice S&P 500 produirait une rentabilité cumulée annuelle de 12,3 % sur 10 ans, surpassant ainsi le S&P 500 lui-même ainsi que les portefeuilles de fonds qui employaient une stratégie plus classique.

En pratique cette stratégie reste difficile à appliquer, car la proportion allouée aux actifs du portefeuille doit être optimale et la sélection des options “Out of The Money” doit se faire de façon minutieuse. De plus, les profits n’étant pas publiés en net, il est nécessaire d’avoir un excellent timing et de savoir quel est le moment opportun pour monétiser ses gains. Selon Spitznagel, une majorité d’investisseurs n’ont pas réussi à appliquer cette méthode puisqu’elle serait à l’opposé de la nature humaine. En effet, ces investisseurs finissent par baisser les bras bien avant qu’elle ne soit censée porter ses fruits.

 

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Une efficacité démontrée lors des crises économiques majeures

Selon Vanity Fair, lors de la crise des subprimes en 2008, Universa a enregistré 115 % de performance. Spitznagel et Taleb ont su profiter de cette crise économique en étudiant les choix des banques centrales. Selon eux, les injections monétaires et les modifications du niveau des taux directeurs de ces banques constitueraient un signal fort qui annonce le début d’une crise économique et financière.

En 2017, lors d’une interview accordée à Bloomberg, Taleb confie que les marchés sont plus fragiles aujourd’hui qu’ils ne l’ont jamais été auparavant. Il pense que le pire est à venir et que nous allons faire face à des crises de plus en plus fréquentes avec une intensité de plus en plus grande. Sa prophétie se réalise en 2020. En mars 2020, la crise du Coronavirus a été une nouvelle occasion pour Universa de démontrer l’efficacité de sa stratégie. Spitznagel a confirmé que ses positions étaient perdantes 95 % du temps, mais que pour ce qui est des 5 % restants, les profits explosaient. Le fonds a enregistré une performance de plus de 3 600% sur le mois de mars et de plus de 4 100 % depuis le début de l’année.

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La vision d’Universa sur l’impact de la crise du Coronavirus

Spitznagel pense que l’intervention de la Fed pendant la crise du Coronavirus a rendu l’analyse fondamentale totalement incohérente. Les investisseurs qui basent leurs décisions sur des faits économiques seraient aveuglés par des données de marché gonflées par les prêts massifs des banques centrales. Ces dernières alimenteraient une bulle qui est à l’origine des vulnérabilités systémiques et seraient responsables de la fragilité des marchés financiers et économiques actuels.

Spitznagel pense ainsi que cette crise du Coronavirus est un avant-goût de ce qui nous attend dans un futur proche. Pendant ce temps, il vous conseille vivement d’écouter de la musique classique et de méditer pendant que les autres s’attardent à vouloir prédire les marchés.

 

Amine Chabli, Technology Trader chez First Derivatives et contributeur du blog AlumnEye