Dans son étude intitulée Development of Tools and Mechanisms for the integration of ESG factors, BlackRock dévoile un fait marquant : il n’existe pas de définition commune en ce qui concerne les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Pourtant, ces fameux critères environnementaux, sociaux et gouvernementaux suscitent de plus en plus l’intérêt des investisseurs car ils constituent le pilier principal de l’analyse extra-financière. En effet, selon les rapports de l’UNPRI (the United Nations Principles for Responsible Investment), le nombre d’entreprises signataires des PRI est passé de 63 en 2006 à plus de 2500 en 2020, pour plus de 90 000 milliards d’encours, soit 80% des encours totaux sous gestion. Aujourd’hui pour répondre à la demande des investisseurs, les banques et entreprises de l’Asset et du Wealth Management développent des fonds dont les stratégies sont portées exclusivement sur ces critères ESG. En mars 2021, on comptabilisait 1330 milliards d’euros investis dans ces fonds en Europe, soit 10% du PIB de l’Union Européenne en 2020. D’ici 2025 les actifs ESG devraient représenter entre 7400 et 9000 milliards d’euros en Europe, selon une étude menée par PWC (The ESG opportunity in Europe, juin 2022). Cependant, bien que les investissements ESG représentent un secteur porteur à l’avenir, il est encore en pleine construction et regorge de difficultés.

Définir les critères ESG : une tâche plus difficile qu’il n’y paraît

En mars 2020, la commission européenne a commandé à BlackRock une étude portant sur l’intégration des facteurs ESG dans les processus de gestion des risques, les stratégies commerciales, les politiques d’investissement, ainsi que dans le contrôle prudentiel. Pour réaliser cette recherche, l’entreprise détenant plus de 10 000 milliards de dollars d’actifs sous gestion a interrogé plus de 150 parties prenantes parmi lesquelles figurent des banques, des superviseurs et régulateurs, des sociétés civiles et universités.

investissement vert

De cette étude ressort un fait marquant sur les critères ESG : il n’en existe pas une mais plusieurs définitions. L’intégration de l’ESG n’en est qu’à ses débuts et malgré tous les efforts déjà fournis, les politiques menées par les banques doivent s’accélérer et converger afin de rendre cette intégration dans les politiques d’investissement et dans la gestion des risques plus efficace. Mais cette enquête soulève un autre problème : un manque de données, d’indicateurs quantitatifs et de mesures qui freinent l’intégration de ces critères dans les politiques d’investissement des banques et qui, de ce fait, ne parviennent pas à déterminer exactement comment les différents facteurs ESG influencent les types de risques financiers. Dans son étude, BlackRock dénonce le fait que sans organisme capable de centraliser l’information sur les critères de durabilité, chaque acteur économique que ce soit une entreprise, une banque ou un investisseur est libre d’avoir sa propre interprétation de ce qui relève ou non de l’investissement socialement responsable (ISR). Une organisation supranationale qui superviserait alors ce périmètre pourrait apporter des solutions aux problèmes de centralisation de l’information, de définition et de contrôle prudentiel.

Bien que le grand public ait tenté de mettre en place des systèmes de reporting standardisés avec notamment le Global Reporting Initiative (GRI) ou le Task Force on Climate-Related Financial Disclosures (TCFD), ils restent encore trop peu utilisés et les agences de notation sont trop nombreuses et diversifiées pour que l’information concernant les sociétés ayant de bonnes pratiques environnementales, sociales et gouvernementales soit facilement accessible. Cela rend alors les recherches des analystes plus difficiles, car ils n’ont aucune norme sur laquelle se baser pour comparer des entreprises d’un même secteur entre elles et qui utilisent différents systèmes de reporting pour les éléments extra-financiers.

Par ailleurs, des agences de rating ESG existent, mais elles sont elles aussi trop nombreuses pour pouvoir être considérées comme fiables. En effet, là où 3 agences de notation de crédit (S&P, Moody’s et Fitch) sont bien ancrées dans le monde de l’investissement, on dénombre plus de 100 agences de notations ESG, allant de l’ONG ou de la petite entreprise telle que Ethix SRI Advisors, se concentrant sur un secteur bien particulier à l’entreprise mondiale comme Refinitiv, couvrant toutes les thématiques ESG. Certains investisseurs plaident alors en faveur de la création d’une agence de notation européenne qui permettrait de centraliser l’information, créer un système de rating commun et définir les normes, renforçant ainsi la crédibilité des acteurs de la finance durable.

marchés financiers

Cette étude a révélé un autre problème : certains critères ont plus de poids que d’autres aux yeux des investisseurs. Le changement climatique arrive en première position des sondages puis vient le corporate behaviour, correspondant aux stratégies éthiques que l’entreprise met en place et enfin le external stakeholder management, représentant les parties prenantes de l’entreprise (fournisseurs, clients, établissements de crédit…). 62% des banques interrogées par BlackRock mettent en avant les risques qui émanent du pilier environnemental dans leur rapport annuel. Cela est dû au fait que les piliers S et G sont les plus difficiles à définir car ils ne reposent non pas sur du capital matériel, mais, sur du capital humain et sont donc propices à la subjectivité. En effet, il est plus difficile de dénoter une dégradation des conditions de travail qu’un réchauffement climatique, car ce dernier repose sur des études scientifiques, des données, tandis que les conditions de travail s’appuient essentiellement sur le témoignage des salariés. De plus, différentes lois existent selon les pays concernant les droits des travailleurs, ce qui rend les comparaisons difficiles. Enfin, le pilier Gouvernemental est le plus difficile à mettre en place au sein des entreprises car c’est celui qui demande le plus de moyens humains et financiers. Des organes de régulations internes et externes efficaces sont nécessaires.

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Les stratégies d’investissement en place

Pour intégrer les valeurs ESG au sein de leurs portefeuilles, les gestionnaires d’actifs utilisent différentes stratégies dont la plus répandue s’intitule le negative screening. Cette méthode consiste à exclure du portefeuille les entreprises de secteurs spécifiques (tabac, armement, alcool) en raison de leurs pratiques en matière de droits de l’homme, de préoccupations environnementales ou de corruption. La stratégie inverse, le positive screening vise à identifier les entreprises qui ont des pratiques ESG positives, telles que le respect des normes environnementales, les droits et la sécurité des employés et les pratiques de gouvernance au sein de l’entreprise. Une approche similaire dite de « best-in-class » permettrait de répliquer la composition d’un indice mais en ne sélectionnant que la meilleure entreprise de chaque secteur, ce qui consiste à identifier celles ayant les meilleures pratiques ESG. Ainsi, en ajustant le poids de chaque entreprise dans le portefeuille, on peut créer un portefeuille respectant les critères ESG et qui se rapproche d’un indice en particulier. Quant à l’investissement thématique, cela consiste à investir dans une industrie ou un secteur en fonction d’un objectif unique, tel que le développement de sources d’énergies durables, de ressources en eaux propres ou le changement climatique.

fonds d'investissementD’autres stratégies plus offensives peuvent également être mises en place à l’image de l’impact investing, un investissement ayant pour but de promouvoir des objectifs sociaux ou environnementaux spécifiques. À son origine, l’investissement à impact consiste à aligner les croyances et les valeurs d’un investisseur avec l’allocation de capitaux pour répondre à des problèmes sociaux et/ou environnementaux, tout en réalisant un profit. Les secteurs concernés par ce type d’investissement sont généralement la santé, l’éducation, les énergies renouvelables et l’agriculture. 

 

ESG et performance : mythe ou réalité ?

La corrélation entre l’intégration des valeurs ESG dans les portefeuilles et la performance n’est pas encore établie et alimente les débats entre les théoriciens. Si certains avancent qu’utiliser uniquement des valeurs ESG pour construire un portefeuille diminue les performances, d’autres mettent en avant la thèse inverse. Explications.

Le secteur des ESG n’étant encore qu’à ses débuts, les fonds d’investissement doivent subir des coûts additionnels. Tout d’abord, des coûts sont liés aux recrutements des spécialistes du secteur, qui sont encore peu nombreux et donc difficiles à recruter. Par ailleurs, dû fait du manque de données disponibles, les analyses des sociétés se veulent plus complexes. En effet, sans organisme centralisant les données et les notations ESG des entreprises, les analystes perdent du temps pour uniformiser et comparer les états financiers et donc inclure ces critères dans leur analyse.

Cependant, les défenseurs de la théorie selon laquelle les valeurs ESG surperforment les autres valeurs ont des arguments jouant en leur faveur. En effet, les sociétés ayant les meilleures notations ESG (les best-in class) ont un coût du capital plus faible que les autres entreprises du secteur. Aux yeux des investisseurs, ces firmes paraissent plus performantes et soutenables dans le temps car elles s’adaptent aux enjeux actuels et font preuve d’une bonne gouvernance/d’un bon management. De ce fait, ces entreprises sont moins exposées à certains risques, ce qui renforce leur solvabilité et donc diminue mécaniquement le coût de la dette. Elles sont alors plus à même d’attirer des capitaux, ce qui leur permet de continuer d’évoluer et d’instaurer des projets de grande envergure au cours du temps.

critères ESG dans l'asset management

Par ailleurs, certaines pratiques ESG tendent à réduire les coûts au sein même d’une entreprise, impliquant donc une amélioration des cash flows qui sera perçue positivement par les analystes. La réduction des dépenses grâce à une amélioration du système énergétique d’une entreprise par exemple, peut permettre d’augmenter les flux de trésorerie opérationnels (CFO). Par ailleurs, en réduisant sa consommation énergétique, l’entreprise en question sera moins exposée à la variation des prix de l’énergie, ce qui diminue encore les risques encourus par la société notamment en cas de hausse, et conduit à une amélioration de son beta. Cette théorie avancée par Sadok El Ghoul et « Al dans Does corporate social responsibility affect the cost of capital ? » s’appuie sur l’observation de plus de 12.000 entreprises américaines entre 1992 et 2007. Grâce à cette étude, ils ont déterminé que le coût moyen des capitaux propres était de 4,25% pour les sociétés ayant un score ESG élevé alors qu’il est près de 1 point plus élevé pour les firmes ayant peu de pratiques ESG. Cependant, El Ghoul et Al nuancent leurs résultats selon les industries : si les entreprises du secteur de l’énergie, plus particulièrement du secteur nucléaire, ont un coût du capital plus élevé, cela est dû à leur structure et à leur activité plus risquée.

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Investir dans les sociétés durables : quel impact sur la valeur d’un portefeuille ?

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Il est monnaie courante d’entendre que pour investir dans des entreprises durables, il faut faire un sacrifice au niveau de la performance financière. Néanmoins, l’étude de Société Générale Cross Asset Research démontre que les fonds ESG ont surperformé les fonds plus traditionnels de 1,6%. De ce fait, les capitaux amassés par les fonds ESG ne cesse de croître : 30% de progression des encours sous gestion depuis 2013 pour ces derniers, tandis que les autres n’ont connu une croissance des capitaux que de 10% seulement. Selon Bloomberg, les green bonds ont surperformé le marché obligataire de 2 points en 2020 en atteignant un rendement de 8,2%.

En 2015, une enquête publiée par la division Gestion d’actifs et de patrimoine de Deutsche Bank, en collaboration avec l’université de Hambourg, s’est donné pour but de suivre l’intégralité des 2250 études académiques publiées sur le sujet depuis 1970. Elle en a conclu que les critères ESG contribuent de manière positive à la performance financière des entreprises dans 62,6 % des études, et de manière négative dans seulement 10 % des cas (pour le reste cela n’ayant aucun effet).

Exemples de fonds dont la stratégie est basée exclusivement sur l’ESG

Nom du fonds Performances (annualisées sur 3 ans) Stratégie d’investissement
Robeco Smart Energy Equity 17,83% Fonds thématique énergie
AB sustainable US Thematic S 9,16 % Positive Screening (entreprises incluant les 17 objectifs de développement durable de l’ONU)
NN Global Sustainable Equity 1 Cap Eur 11,66 % Negative Screening (sociétés ne répondant pas aux 10 principes du Pacte des Nations Unies)
Schroder Global Sustainable Growth C 11,38% Positive/Negative Screening

Mirova Actions Monde C

7,53% Impact Investing

Bien que des progrès aient été réalisés depuis 15 ans dans le domaine des critères ESG, il reste beaucoup à faire pour satisfaire l’ensemble des investisseurs ainsi que les régulateurs. Cela passera donc par de nombreuses réformes qui devront apporter un changement en profondeur dans la manière de réguler les pratiques ESG. De plus, pour que ce secteur poursuive son développement, un effort de vulgarisation doit être fait afin d’accroître l’intérêt des investisseurs particuliers, encore trop peu sensibles à cette thématique.

 

Hugo Adoux, contributeur du blog AlumnEye