Pourquoi s’intéresser aux crises financières ? Probablement parce qu’elles révèlent les mécanismes et les défauts de notre économie. Le monde a connu de grandes crises financières prenant des formes variées. À la suite de chaque crise, les acteurs publics et privés se sont accordés sur la nécessité de mettre en place de nouvelles régulations, qui vont souvent contre la volonté du marché dirigé vers la croissance. Les économistes décrivent ainsi des cycles : une crise surgit, et entraîne des régulations, régulièrement suivies de dérégulations subies, ou voulues.

Cet article offre un tour d’horizon des crises du XVIIème siècle à aujourd’hui, sans se vouloir exhaustif. Il n’aborde pas, par exemple, la crise des technologies et la crise des subprimes, souvent documentées et étudiées dans les cursus universitaires. Le XVIIème siècle est choisi comme point de départ car c’est durant cette même période que la première bourse fut créée à Amsterdam, en 1611. La bourse est consubstantielle au développement d’une frénésie à l’achat ou d’une hystérie à la vente. En 1340, le défaut de paiement du royaume d’Angleterre d’Edward II, tout comme ceux des royaumes d’Espagne et de France, n’avaient pas entraîné de mouvement de panique en Europe car le marché de la dette n’existait pas.

 

1637 : La Tulipomanie Néerlandaise

Les tulipes furent introduites en Europe au cours du XVIème siècle, puis découvertes par les Provinces Unies des Pays-Bas au début du XVIIème siècle. Leurs couleurs intenses, leur rareté et leur singularité en firent rapidement un élément de prestige pour la bourgeoisie néerlandaise.

Dans les années 1630, les bulbes de Tulipes devinrent un élément de spéculation sur la place boursière d’Amsterdam. Les tulipes fleurissaient seulement en avril et en mai, mais leurs bulbes étaient échangés tout au long de l’année grâce à des contrats à terme. Les investisseurs achetaient des « promesses de bulbes » qu’ils espéraient pouvoir revendre plus cher. On parle ici de contrats à terme car les transactions prévoyaient une livraison physique de bulbes en décalage avec l’accord des parties. Au cours de l’automne 1636, les prix des bulbes augmentèrent très fortement. En février 1637, le prix d’un bulbe de tulipe était 15 fois supérieur à celui du salaire annuel d’un artisan et valait deux fois le prix d’une maison de taille moyenne.

Cependant, au cours de l’hiver 1637, probablement affecté par la peste qui sévissait partout en Europe, le cours de la tulipe s’effondra. Tout le monde chercha à se débarrasser de ses bulbes. L’engouement pour l’achat se transforma en un déchaînement à la vente. Cette crise sera ainsi considérée par beaucoup d’économistes comme la première bulle financière.

 

1720 : La crise du Mississippi

Au début du XVIIIème siècle, suite au règne de Louis XIV, les finances du Royaume de France étaient en mauvaise posture. Dans les années 1720, sous les conseils de John Law, le régent Philippe d’Orléans décida de créer une banque royale. Celle-ci disposait de très peu de capital, financé principalement par de la dette d’État. John Law proposa ainsi à la population française, grâce à la banque royale, d’échanger l’or qu’elle possédait contre des assignats. Ces morceaux de papiers imprimés étaient alors considérés as good as gold. Cependant, le régent abusa rapidement du processus et en fit imprimer de plus en plus. Le montant émis ne correspondait dès lors plus à la valeur de l’or présent dans les coffres de la banque.

En 1719, John Law décida de créer la Compagnie Mississippi qui prendrait en charge la plupart du commerce colonial français, incluant la Louisiane. Cette entreprise fut utilisée pour racheter la dette du royaume de France. Le public pouvait utiliser des assignats pour acquérir des parts de la compagnie. La Compagnie du Mississippi attira de plus en plus d’actionnaires en promettant l’exploration de nouvelles terres aux nombreuses richesses. Ces dernières participeraient à la croissance de cette société par actions, et seraient donc la promesse d’importants futurs dividendes. Ce système permit au royaume de France d’émettre de plus en plus d’assignats. Ils étaient directement utilisés pour acheter des actions de la compagnie. Le peuple français achetait ainsi des actions surévaluées et utilisait des assignats qui ne correspondaient plus à une valeur réelle de l’or présent à la banque royale. Entre 1719 et 1720, le cours des actions passa de 500 à 15 000 livres.

Malheureusement pour le régent et John Law, les ressources du territoire nord-américain ne s’avérèrent pas aussi bonnes que prévu. Le cours de l’action de la compagnie s’écroula rapidement pour retrouver un prix de 500 livres en 1721. Entre temps, par perte de confiance dans les assignats, certains des plus gros détenteurs demandèrent à récupérer l’or détenu par la banque royale. Le système s’écroula. Des émeutes eurent lieu dans les rues de Paris. La compagnie du Mississippi sera tout de même sauvée de la faillite par Louis XV.

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1847 : La folie des chemins de fer

Le XIXème siècle fut marqué par une industrialisation intense de l’économie. Les cycles économiques furent agités par les mouvements politiques qui secouèrent l’Europe. Depuis 1825, le développement du chemin de fer en France et en Angleterre entraînait une spéculation boursière sur les actions des compagnies ferroviaires.

Les capitalisations des chemins de fer représentaient la moitié du marché boursier français, et un peu moins d’un quart du marché anglais. La construction en Europe de dizaines de milliers de kilomètres de lignes depuis le début des années 1820 entraîna une exposition croissante des banques anglaises et françaises aux activités des compagnies de chemins de fer. La sous-estimation des coûts liés aux travaux ferroviaires contribua à une surévaluation du cours des actions du secteur. En 1846, les compagnies des chemins de fer de Bordeaux et de Lyon, tout comme les compagnies anglaises effectuèrent de grandes levées de fonds, plus du double du montant de l’année précédente. Ces appels à financement provoquèrent une crise de confiance sur le marché. Les taux d’intérêts des banques françaises et anglaises augmentèrent l’année suivante. Cela mena à une forte baisse de l’activité de ces mêmes compagnies qui tombèrent alors en faillite, ou licencièrent une grande partie de leurs ouvriers.

Le cours des actions des compagnies chuta lourdement, et la crise financière s’étendit aux créanciers des chemins de fer, en particulier aux banques. Cette crise sera considérée par beaucoup d’historiens comme un précurseur à la révolution de 1848 et au printemps des peuples.

 

La crise boursière de 1929

Dans les années 1920, le monde connut de grandes révolutions technologiques. La production automobile s’intensifia. Des réseaux de chemins de fer furent développés dans différentes régions du monde. Le nombre de foyers avec l’électricité et une ligne téléphonique augmenta drastiquement. Les salles de cinéma ouvrirent en grand nombre et l’accès à la radio se démocratisa.

La forte croissance de la production industrielle et le développement du call loan participèrent à la croissance démesurée de l’index du Dow Jones. Le call loan permettait un effet de levier important pour les investisseurs. Pour un dollar mis sur la table, dix dollars étaient investis. Cette augmentation de l’indice du Dow Jones encouragea les institutions financières américaines à adopter des politiques de crédit plus souples. Les américains en bénéficièrent, tout comme les institutions financières du monde entier. L’augmentation des crédits participa à l’augmentation des achats d’actifs boursiers. Entre mars 1926 et octobre 1929, le cours du Dow Jones augmenta de 120%. La bulle spéculative s’intensifia.

L’euphorie collective connut son terme en octobre 1929. La réalité économique aux États-Unis était alors déconnectée de la valeur des actifs boursiers : ni la productivité, ni les salaires ne suivaient l’enthousiasme du marché. Le jeudi 24 octobre, dit « jeudi noir », la bulle éclata et des ventes massives eurent lieu. Entre le 22 octobre et le 29 octobre, le Dow Jones perdit 39% de sa valeur. Cette crise boursière sera l’élément déclencheur de la crise économique mondiale du début des années 1930.

 

1982 : Crise monétaire latino-américaine

Dans les années 1970, les banques nord-américaines considérèrent l’Amérique Latine comme un investissement à fort potentiel. La région présentait de nombreuses ressources naturelles et une capacité de production marquée par une main d’œuvre peu chère. Une autre raison de l’intérêt pour la région était la présence de la dictature perçue comme vecteur de stabilité économique. Ces indicateurs de risque modéré attirèrent le secteur bancaire et les investisseurs américains.

Les capitaux circulèrent alors en grande quantité d’Amérique du Nord vers le sud, d’après le système suivant : les banques étrangères prêtaient à des banques locales dans leur devise. Par exemple, les banques américaines prêtaient un certain montant en dollar aux banques mexicaines. Celles-ci achetaient ensuite la devise locale avec ces fonds, et prêtaient à des investisseurs locaux dans cette monnaie. Ces investisseurs furent ainsi encouragés à investir dans l’immobilier et dans les entreprises mexicaines. Ce modèle provoquait une hausse des cours de l’immobilier et des actions dans le pays ; les dettes pouvaient ainsi être remboursées. Ce processus entraînait une appréciation du peso mexicain.

Les dettes étrangères du Mexique, du Brésil, de l’Argentine et d’autres pays d’Amérique latine passèrent ainsi de 125 milliards en 1972 à 800 milliards en 1982. Les crédits octroyés à ces États augmentèrent pendant ces années de 30% par an. Les gouvernements latino-américains commencèrent ensuite à emprunter de manière démesurée afin de couvrir les intérêts des emprunts précédents.

En 1979, à la suite du second choc pétrolier, la Fed augmenta drastiquement les taux d’intérêt, ce qui entraîna une augmentation des taux offerts par les banques américaines aux banques d’Amérique latine. Celles-ci se mirent à vendre leur monnaie nationale, et refusèrent de financer les emprunts normalement alloués aux investisseurs locaux. L’immobilier s’effondra, tout comme les cours de la bourse. Les devises latino-américaines se déprécièrent.

En 1982, le Mexique fit défaut sur sa dette étrangère. Les banques internationales perdirent confiance dans la région. Les devises mexicaines, brésiliennes et argentines se dévaluèrent fortement. Cette crise monétaire causa la faillite de la plupart des banques en Amérique Latine qui subirent de grandes pertes et devinrent incapables de se refinancer.

 

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1986 – 1989 : Crise des caisses d’épargne américaines

Une Savings and Loan (S&L) association est une institution financière qui fonctionne comme une caisse d’épargne. Elle collecte l’argent des épargnants pour octroyer des prêts hypothécaires et quelques autres types de crédits à long terme.

De 1966 à 1979, les fluctuations des taux du marché menacèrent la rentabilité des S&L américaines. Les prêts hypothécaires avaient des maturités à long terme tandis que les intérêts des épargnants devaient être distribués chaque mois, et ces derniers bénéficiaient du droit de retirer leur épargne. L’actif était donc plus exposé aux fluctuations des taux du marché que le passif. Le risque pour les institutions était ainsi considérable.

En 1980, les 4000 S&L américaines représentaient plus de $600 milliards d’actifs dont $480 milliards de prêts hypothécaires. Par conséquent, le problème de mismatch passif/actif des S&L inquiéta les pouvoirs publics américains. Ainsi, au début des années 1980, le Congrès américain fit passer deux lois qui permirent de déréguler les S&L.  Ces institutions financières pouvaient désormais offrir une variété de produits financiers aux épargnants, et le capital d’équilibre passif/actif requis fut largement réduit.

Les dérégulations du début des années 1980 concédèrent aux S&L toutes les compétences d’une banque, sans les contraintes de régulation qui y étaient normalement associées.  Entre 1982 et 1985, ces instituions offrirent des taux d’intérêts très élevés sur l’épargne et attirèrent ainsi davantage de clients. Pour suivre cette promesse sur leurs passifs, les actifs de ces institutions augmentèrent de 56% sur la période. Cette croissance fut rendue possible par de nombreux investissements dans des crédits hypothécaires très risqués. La création de la Federal Savings and Loan Insurance Corporation encouragea cette dynamique et se constitua en prêteur de dernier recours pour le secteur. Elle assurait de cette manière les S&L contre une potentielle incapacité à couvrir leurs passifs.

Cette mécanique de distribution en abondance de prêts hypothécaires entraîna une bulle immobilière aux États-Unis. En 1986, la Tax Reform Act de Ronald Reagan déclencha l’éclatement de la bulle en supprimant certains avantages fiscaux liés à la location immobilière et aux pensions. Par ailleurs, la réforme fiscale augmenta l’alternative minimum tax qui concernait le secteur des S&L. Entre 1986 et 1989, le marché de l’immobilier américain s’effondra. Malgré un plan de sauvetage du gouvernement en 1989, environ un tiers des S&L feront faillite entre 1986 et 1995. Cette crise coûtera environ 130 milliards de dollars aux contribuables américains.

1990 : Crise immobilière et bancaire japonaise

Au début des années 1980, le Japon était considéré comme une superpuissance qui s’apprêtait dans les décennies à venir à dominer le globe. Le pays était alors le deuxième pouvoir industriel mondial. La majorité des grandes banques internationales étaient japonaises. Les sociétés nippones achetaient de nombreuses entreprises dans le monde et leur puissance financière impressionnait. En 1986, Mitsui Real Estate Company paya par exemple $625 millions pour le bâtiment d’Exxon à Manatthan, alors que le prix de départ s’élevait à $310 millions.

Quelles conditions permirent à ce pays d’atteindre cette position convoitée ? Dès la fin des années 1970, le Japon se libéralisa. De nombreuses incitations fiscales encouragèrent les entreprises, soutenues par les banques, à investir dans l’immobilier. Les prix de l’immobilier augmentèrent considérablement au cours des années 1980, ce qui participa à l’explosion du cours de l’indice Nikkei. Les entreprises japonaises présentaient en effet des bilans comptables extraordinaires, et la croissance annuelle du crédit dans le pays était à deux chiffres.

Le mécanisme s’emballa, et les banques nippones octroyèrent des crédits immobiliers sans aucun contrôle ; parfois sans même savoir si les terrains étaient constructibles ! Au cours des années 1980, le cours de l’immobilier fut multiplié par 9 et le prix des actions par 6. Pour comprendre à quel point le Japon faisait alors figure de modèle en terme de performance économique, il faut pointer que la valeur du marché des actions japonaises, à la fin des années 1980, valait le double de celle des États-Unis. Après le crash d’Octobre 1987, le Tokyo Stock Exchange fut la seule bourse au monde à ne pas décliner drastiquement.

L’euphorie se répandit sur la chaîne de production japonaise jusqu’en Corée du Sud ou encore à Taiwan. Un boom de l’immobilier eu même lieu à Hawaï, archipel très apprécié des japonais. Une contagion sur les pays du Nord de l’Europe se produisit également. Dans la seconde partie des années 1980, on observa une explosion des prix de l’immobilier en Norvège, en Suède et en Finlande. Ce boom résultait de l’autorisation aux emprunts internationaux par les banques nordiques ; alors qu’au même moment, les autorités nippones levaient les restrictions sur les activités à l’étranger de leurs propres banques.

Toute cette mécanique se grippa au début des années 1990. Un nouveau gouverneur de la banque centrale japonaise fut inquiet de l’augmentation des prix de l’immobilier, songeant que cette dynamique participerait à réduire la cohésion sociale au Japon. Il ordonna donc aux banques de limiter la croissance des crédits immobiliers à la croissance totale des emprunts. Ainsi, les crédits immobiliers passèrent à une croissance de 6% par an contre 30% l’année précédente.

Les investisseurs qui empruntaient pour payer leurs intérêts ou qui avaient besoin de refinancer leur dette firent faillite. La bulle explosa, et de nombreuses fraudes furent révélées. Certaines banques cachaient leurs pertes par de nouveaux emprunts. La propriétaire d’un petit restaurant à Osaka avait emprunté des milliards de dollars à une banque locale, une branche de Sumitomo Bank, car elle entretenait une relation avec le manager. Et certains managers de banques locales et internationales offraient des crédits à des développeurs immobiliers, qui, en retour, rachetaient leurs propres terres. Au total, les pertes subies par les banques japonaises furent d’un montant de plus de 25% du PIB japonais. L’indice Nikkei s’écrasa, passant d’un sommet de 39 000 environ fin 1989 à 14300 en août 1992.

 

1990 : L’effondrement du marché des junk bonds américains

Un junk bond, ou bon à haut rendement, est un bon mal noté par les agences de notation. On parle de junk bond pour une note généralement au-dessous de BBB- ou Baa3. Une fois que la notation d’une entreprise passe au-dessous de ce pallier, les bons qu’elle émet ne peuvent plus être rachetés par un grand nombre d’institutions financières.

Dans les années 1980, Michael Milken de Drexel Burnham Lambert, une banque d’investissement américaine, développa la volonté d’aller contre l’idée du marché. Selon lui, ces junk bonds étaient sous valorisés, et il fallait donc s’y intéresser. Celui qui fut rapidement connu sous le nom de « Junk bond king » conseilla à de nombreux investisseurs et émetteurs de bons de saisir cette opportunité. Les junk bonds gagnèrent rapidement en popularité, et de plus en plus de banques à Wall Street en achetèrent.

DBL souscrivit de nombreux junk bonds au cours des années 1980. L’une des techniques les plus populaires et réussies de Milken fut d’utiliser ces bons pour des rachats agressifs. Avec les junk bonds, DBL permit à ses clients d’acheter des entreprises sans la volonté de l’autre partie. En émettant des junk bonds, les clients de DBL purent emprunter beaucoup de cash avec peu ou pas d’actifs.  Ce mécanisme leur permettait de faire des offres d’achat très attirantes pour l’entreprise visée. En pensant qu’un changement de management rendrait ces cibles plus rentables, l’entreprise acquéreuse utilisait les actifs de la nouvelle entreprise fraîchement acquise afin de payer la dette contractée pour l’acquisition.

Cependant, au début des années 1990, le ralentissement économique mena plus de la moitié des bons émis par les clients de DBL à faire défaut. DBL fit faillite en 1990. Milken effectua par la suite deux ans de prison pour délit d’initié mais il a aujourd’hui une fortune nette estimée à environ 2 milliards de dollars. L’effondrement du marché des junk bonds américains conduira l’économie américaine à une perte de plus de $100 milliards.

 

1997 : Crise de l’immobilier et des actions asiatiques

Compte tenu d’une absence d’opportunités d’investissement au Japon dans les années 1990, les États-Unis et l’Europe se tournèrent vers l’Asie du Sud Est, considérée comme une région prometteuse permettant de produire à bas coût et de manière efficace. Les capitaux y affluèrent rapidement et atteignirent un montant total de $82 milliards entre 1991 et 1996. La Thaïlande, la Malaisie ou encore l’Indonésie étaient perçues comme des économies capables de concurrencer avec succès les tigres asiatiques de l’ancienne génération : Taïwan, la Corée du Sud, Hong Kong ou encore Singapour. Ces pays disposaient d’une politique fiscale attrayante, et ne comptaient aucun précédent de crise financière. La banque mondiale exprimait des avis très positifs sur cette région. Dans un communiqué de 1993, on en parla comme du “East Asian Miracle”.

En 1993, la croissance économique sud-asiatique se matérialisa par le début de la construction des tours jumelles de Kuala Lumpur. La même année, les prix des actions doublèrent dans la plupart des États d’Asie du Sud-Est. Les investissements étrangers entraînèrent un boom de l’immobilier, ce qui permit aux banques locales de prêter à des taux bien plus élevés que ceux dont elles bénéficiaient de la part des banques étrangères.

A la fin de l’année 1996, les banques thaïlandaises commencèrent à essuyer de larges pertes sur leur marché du crédit aux consommateurs. En effet, les emprunteurs ne voulaient plus payer les intérêts, devenus démesurés, ce qui inaugura une perte de confiance. Les crédits et investissements étrangers diminuèrent rapidement. En juillet 1997, la monnaie thaïlandaise se déprécia drastiquement et le pays fit défaut sur sa dette étrangère. Les investisseurs et les banques étrangères eurent alors peur d’une dévaluation similaire dans toute l’Asie du sud-est. De nombreux capitaux quittèrent la région. La roupie indonésienne perdit 80% de sa valeur en un an. Un grand nombre de banques firent faillite. Une crise similaire se répandit en Russie en 1998 puis au Brésil peu de temps après. Le boom immobilier dû à la confiance des investisseurs étrangers dans l’économie locale s’était transformé en une survalorisation de la monnaie locale. Cette situation provoqua une crise financière puis économique lorsque les investisseurs étrangers perdirent confiance.

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La crise islandaise de 2008

L’Islande est un petit pays d’environ 300 000 habitants, devenu indépendant dans le courant du XXème siècle. En 1994, l’Islande rejoignit l’Union Européenne Économique (UEE), ce qui permit à ses banques et autres institutions financières d’ouvrir dans les pays membres des branches et non des filiales. Les activités pouvaient ainsi se développer dans les pays membres de l’UEE sans y apporter de capital.

Les trois banques principales Islandaises : Kaupthing, Landsbanki, et Glitnir profitèrent alors de cette nouvelle opportunité. Elles prêtèrent toutes les trois de manière intensive, dans tous les pays d’Europe du Nord, puis dans tous les pays de l’UEE.

Dans l’objectif d’augmenter la compétitivité des banques islandaises, les régulations islandaises devinrent très flexibles. Elles permirent à ces trois institutions :

  • D’investir dans des secteurs d’activité complètement différents
  • D’investir dans l’immobilier et les entreprises immobilières
  • De prêter de l’argent pour l’achat de leurs propres actions
  • De posséder des parts dans d’autres institutions de crédit

Ces mesures n’étaient pas requises par les directives européennes, mais furent décidées par les législateurs islandais. Entre 2004 et 2007, les trois plus grandes banques islandaises présentèrent une croissance annuelle entre 36% et 66%.

Les banques islandaises attirèrent de plus en plus d’épargnants européens. Le volume de la clientèle anglaise de la banque Lansbanki passa de 0 en octobre 2006 à 4,4 milliards de pounds en octobre 2007. L’offre bancaire islandaise convainquit en deux ans plus de 300 000 clients en Angleterre, et plus de 125 000 clients hollandais en 5 mois. Les taux qu’offraient ces banques surpassaient le reste du marché de l’époque. Pour financer leur expansion, les banques islandaises émirent énormément de bons jusqu’à ce que la situation dégénère et que la valeur totale des actifs de ces banques dépasse la valeur du PIB de l’Islande. Or, en cas d’impossibilité de paiement, c’est l’État ainsi que la banque centrale qui font office de prêteur de dernier recours.

En 2008, la crise des subprimes contamina les places financières du monde entier, et l’Islande ne fut pas épargnée. Les banques du pays virent leur note baisser considérablement, et se retrouvèrent dans l’incapacité d’émettre davantage de bons. Les dettes ne purent être remboursées et les institutions financières islandaises furent alors nationalisées. Cette situation déclencha une crise internationale car les clients européens de ces banques se trouvèrent dans l’incapacité de récupérer leur dû. Pendant plusieurs années, certains clients ne purent accéder à leurs comptes et cela contribua à alimenter une crise diplomatique entre l’Islande et les pays de l’UEE. L’Islande et ses banques n’ont pu à nouveau avoir accès au marché international des bons qu’à partir de 2015.

 

D’une bulle à une autre, un cycle de crises financières

Comprendre et expliquer les crises financières, et en particulier leurs causes fait débat parmi les économistes, historiens et financiers qui s’y intéressent.

Pourquoi les marchés s’emballent-ils ? Est-ce à cause de l’opacité des régulations économiques de certains pays ? Est-ce le manque de transparence de la méthode comptable employée pour les bilans des sociétés ? Est-ce la diversité des acteurs et des produits financiers qui empêche l’anticipation d’une crise ? Est-ce la libéralisation ou la déréglementation systématique de l’économie qui sont en cause ? Peut-on parler de gouvernances monétaires inefficaces et obsolètes ?

Le secteur financier et économique est un monde d’initiés, mais l’histoire des crises financières nous permet de dessiner les grands traits du mécanisme d’une bulle financière. Les prix augmentent, le volume de crédits croît et entraîne un gonflement des achats… qui contribuent à augmenter les prix. Cela participe à la croissance économique du pays et donc à l’attraction de capitaux étrangers. Le manque de régulation ainsi que le caractère gourmand du monde financier participent à stimuler et dynamiser l’ensemble de la mécanique. L’intérêt suscité par une idée partagée par un grand nombre contribue également à mettre sous tension ce système.

Mais pourquoi ces bulles sont-elles si attractives ? Parce que chaque investisseur, bien qu’ayant conscience de la survalorisation d’un indice boursier, désire prendre le train avant qu’il ne soit trop tard. Une bulle permet bien de faire du profit au travers de transactions sur une période déterminée. L’investisseur rationnel saisit cette opportunité.

 

Pour aller plus loin

Olivier Lacoste, Les crises financières histoire mécanismes et enjeux, Eyrolles 2009

Christian Chavagneux, Une brève histoire des crises financières Des tulipes aux subprimes, La découverte 2011

Problèmes économiques, comprendre les crises économiques, numéro 2 La documentation française novembre 2012

Alya Aglan, Michel Margairaz et Philippe Verheyde, Crises financières, crises politiques en Europe dans le second XIXème siècle, La caisse des dépôts et des consignations, Droz 2011

Tomas Piketty, Le Capital au XXIème siècle, Éditions du Seuil 2013

 

Arthur Ribes, étudiant à Sciences Po et contributeur du blog AlumnEye