« Quand le gouvernement est dépendant des banques pour la croissance de l’économie, ce sont elles et non la tête du gouvernement qui contrôlent la situation »

Napoléon Bonaparte

 

Parmi les secteurs qui nourrissent le plus de fantasmes se trouvent la finance et le lobbying. Ce dernier renvoie à des groupes d’influence et de pression qui cherchent à défendre les intérêts d’individus ou d’institutions. La finance et le lobbying réunis semblent alors jeter un voile opaque et mystérieux sur ce que peuvent représenter les principaux intérêts des banques : qu’est-ce que celles-ci peuvent vouloir promouvoir, interdire, réguler ? Mieux encore, le lobbying financier sert-il l’intérêt général ? Que peut-il chercher à améliorer dans un contexte où les séquelles de la crise financière (causée en partie par les banques) restent encore prégnantes dans l’économie réelle actuelle ?

 

Le lobby financier : au service des institutions financières

Le monde des lobbys existe depuis deux cents ans, apparu dans les couloirs de la Chambre des communes en Angleterre où des groupes de pression pouvaient converser avec les parlementaires, phénomène existant encore aujourd’hui. Tout pouvoir public se voit entouré de groupes d’intérêts puisque ces derniers cherchent à faire passer des lois (ou à en radier) au bénéfice des institutions qui les engagent. Plusieurs méthodes de pression existent pour influencer le pouvoir public, dont notamment :

 

  • L’infiltration i.e le fait d’avoir des représentants dans les camps adverses : ramené à la finance, cela pourrait prendre la forme de représentants travaillant au sein du gouvernement ou d’institutions de régulation ;
  • Les cadeaux ;
  • L’espionnage ;
  • L’organisation qui n’est autre que la forme sous laquelle les groupes d’intérêts travaillent (cabinets d’avocats, consultants, conseil, etc.) ;
  • L’influence scientifique i.e l’influence que les groupes ont sur la littérature scientifique en allouant des fonds à certains working papers.

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Sous l’égide du secteur financier, les lobbys peuvent essayer d’influencer les représentants parlementaires sur différents sujets : la régulation bancaire, les paradis fiscaux pour les banques off-shore ou de certains comtés (Lichtenstein, Suisse, Panama, Luxembourg, etc.) ou alors la suppression de certaines lois limitant les libertés des banques comme la loi Dodd-Frank Act (aboli par le Président Trump en 2017) ou encore l’emploi des produits exotiques, les hedge funds et la finance de l’ombre en général. Il est certain que le poids du monde de la finance dans l’économie actuelle est tel qu’il permet aux banques de détenir de fortes liquidités et d’allouer des fonds pour financer des groupes de lobbys et ainsi faire pression sur les gouvernements. Ainsi, Tim Pawlenty, président du plus grand lobby états-unien, le Financial services roundtables, qui comprend les cent plus grandes banques mondiales, avait l’intention de briguer la présidence républicaine de 2012. De plus, bon nombres d’anciens banquiers se sont retrouvés à la tête des institutions détenant un quelconque pouvoir décisionnel sur le secteur de la finance : Mario Draghi, l’ancien directeur de la BCE, a travaillé pour Goldman Sachs, tout comme Henry Paulson aux Etats-Unis qui n’était autre que Secrétaire au Trésor américain durant la crise des subprimes (2006-2009).

Ainsi, lorsque nous comparons le poids du lobby financier aux lobbys des autres secteurs, la différence est flagrante. En effet, le lobby financier est le premier lobby européen avec plus de 120 millions d’euros alloués à Bruxelles pour 1 700 lobbyistes. En l’espace de six mois en 2013, 25 députés européens conservateurs britanniques ont rencontré 74 représentants du lobby financier selon Le Monde, prouvant ainsi la directe influence que peut avoir ce dernier auprès du Parlement européen et de la Commission européenne. Sur la scène mondiale, les chiffres sont encore plus impressionnants. Plus de 700 organisations de lobbying financier sont recensées, sachant que l’enregistrement n’est pas obligatoire. Par ailleurs, le vivier de la finance reste la City londonienne ; la majorité des organisations de lobbying financier est ainsi britannique. Une corrélation positive – et logique – apparaît alors entre activités financières intenses et existence de lobbys financiers.

Source : Corporate Europe Observatory

Source : Corporate Europe Observatory

Alors que les banques sont de plus en plus contraintes par la régulation et la transparence fiscale, les fonds alloués au lobbying financier n’ont jamais cessé d’augmenter : initialement d’environ 200 millions d’euros en 1998, ces dépenses ont plus que doublé pour atteindre presque 500 millions d’euros en 2013.

Source : International Journal of Economics & Management Sciences

Le montant des dépenses engagées par les lobbys augmente ainsi avec les régulations. En effet, lorsqu’un projet de loi semble aller à l’encontre de la dérégulation du secteur financier, les groupes de pression se mobilisent pour tenter d’empêcher l’application de cette loi.

 

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Les lobbys financiers, une omniprésence

Les grands axes sur lesquels le lobby financier est actif sont l’assurance, les dérivés et investissements, ainsi que l’immobilier.

Source : Ibid

Toutefois, ces résultats mésestiment le réel enchevêtrement qui existe entre les banques et les gouvernements, à travers l’opacité de certaines institutions comme les banques offshores qui n’apparaissent nulle part. Propres au shadow banking, elles ne sont pas répertoriées en raison de leurs activités – qui peuvent aller de l’optimisation fiscale au blanchiment d’argent, en passant par le financement du terrorisme – mais également du fait de leur géolocalisation. En effet, elles sont implantées dans des paradis fiscaux (City, Luxembourg, îles Caïman, Malaisie, Delaware, etc.). De plus, certaines formes de lobbying financier plus opaques existent bel et bien. Un exemple emblématique est le lobbying par la manipulation des working papers scientifiques comme le fit la Banque Centrale Islandaise qui finança un travail de recherche de l’économiste Mishkin sur la stabilité financière du pays nordique. L’économiste a fait l’éloge de l’Islande dans son article Financial Stability Report, alors que la banque devait se retrouver en quasi-faillite un an plus tard avec des fonds minés par des produits dérivés toxiques. D’autres sujets sont au centre de l’attention des lobbys comme le trading à haute fréquence ou les « dark pools » qui ajoutent de l’opacité au secteur financier puisque les échanges de titres se font sans passer par le marché. Le prix des actifs n’est donc pas transparent.

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De nouvelles régulations encadrent les lobbys financiers

Dans les années 2010, un rapport d’un groupement de CEOs attaque les lobbys financiers : « Nous estimons qu’il est dangereux qu’un secteur qui a provoqué autant de dégâts puisse avoir une telle influence sur les législations qui le concernent ». Ce cri de cœur n’est pas un cas isolé puisque les gouvernements se sont efforcés – conservateurs ou progressistes – de limiter l’influence de la finance et de son opacité sur le pouvoir public. Ainsi, des scandales comme le SwissLeaks, le Luxembourg Leaks, l’Offshore Leaks, les Panama Papers ou les Paradise Papers ont permis l’avancée de textes de lois internationaux comme les listes noires annuelles. Publiées par le FMI, le Conseil pour les affaires économiques et financières (ECOFIN) ou encore l’UE, ces listes noires dénoncent les paradis fiscaux qui n’ont pas pris d’engagement vis-à-vis du secret bancaire. De plus, le Réseau mondial pour la justice fiscale calcule le degré d’opacité bancaire des Etats aptes à être des paradis fiscaux – la Suisse, le Luxembourg et les iles Caïmans étant en tête –. Ces nouvelles formes de transparence empêchent les lobbys financiers de soutenir les banques offshores ainsi que les paradis fiscaux.

Le lobbying financier a par ailleurs permis la phase de dérégulation des années 1980-1990 dans les pays occidentaux. Dans une ère propice à l’excès capitalistique, l’opinion publique soutenait l’économie de l’offre ; les circonstances étaient donc favorables à la mise en place d’une phase de dérégulation. Suite à la crise financière de 2008, les gouvernements ont voulu se détacher de leur image de pouvoir public complice des institutions financières. Dès lors, régulations et critiques virulentes envers la finance – et ses lobbys – sont observables sur la décennie post 2008, notamment avec Bâle III, les directives Mifid II, les augmentations de fonds propres obligatoires sur actifs risqués, etc. Outre les directives gouvernementales, des agents tentent de contrecarrer les plans des lobbys financiers comme le groupe Finance Watch, qui tente de pallier la dérégulation financière. Néanmoins, ses fonds sont bien moindres comparés à ceux des banques d’investissement : seuls deux millions d’euros sont disponibles pour faire pression sur les parlementaires. In fine, le lobby financier reste puissant malgré les avancées de la régulation et de la transparence financières.

La cause des banques est donc relayée aux différents gouvernements par le biais de puissants lobbys financiers qui sont de réels mastodontes. Les fonds qui y sont alloués sont en constante progression, dans une ère ponctuée de nouvelles directives allant à l’encontre des intérêts des banques (régulation, transparence, etc.), et touchent tous les secteurs de la finance – même ceux qui ne sont pas recensés – : paradis fiscaux, banques offshore, influence sur la doxa économique, etc. Au vu de cette croissance, il est peu probable que la puissance des lobbys financiers baisse en intensité ces prochaines années. Quelques percées de ces derniers sont visibles depuis 2008, comme la fin du Dodd-Frank Act sous le mandat de Donald Trump. Il y a dix ans, Dick Durbin, sénateur de l’Illinois disait: “and the banks– hard to believe in a time when we’re facing a banking crisis that many of the banks created are still the most powerful lobby on Capitol Hill. And they frankly own the place.” : il est fort probable que cette assertion soit toujours d’actualité aujourd’hui.

 

Ulysse M’Boudi, étudiant à l’EDHEC Business School et contributeur du blog AlumnEye