Crise des subprimes outre-Atlantique se muant en crise mondiale, crise européenne de 2011 : les déconvenues ont rythmé le marché des LBOs au cours de la dernière décennie. Ce marché connaît un retour en grâce, facilité en 2016 par des taux d’intérêts toujours faibles et des possibilités de financements multiples. Depuis le LBO à 24,9 milliards de dollars de DELL en 2013, le rachat de ADT Tops en 2016 pour 7 milliards est le deal le plus important en valeur. Ce dernier fait pourtant figure d’exception dans un marché désormais dominé par des deals d’une ampleur plus raisonnable : inférieure à 5 milliards de dollars. Dorénavant plus averses aux risques et soucieux d’éviter les dérives passées, les fonds de Private Equity (KKR, Blackstone ou TPG pour les plus connus) se concentrent principalement sur ces opérations de taille moyenne. Ainsi, le second LBO le plus cher de l’année – rachat de Team Health Holdings par Blackstone – était évalué à « seulement » 6,1 milliards de dollars.

Initiée à la fin des années 1980 et profitant de l’afflux de liquidité lié aux fameux « junk-bonds », la folie des LBO a vu se créer et se défaire des deals historiques qui ont bouleversé le marché par leur valeur, et ont contribué aux excès si médiatisés du monde de la finance. Ayant trop souvent suivi une logique de « the bigger the better », l’histoire a prouvé que les deals les plus importants en valeur n’étaient pas nécessairement des paris gagnants. Année de tous les records pour les LBO avec six deals dépassant les 20 milliards de dollars, 2007 a marqué l’histoire avec des opérations au sort pour le moins divers.

Mettant en lumière trois deals emblématiques, ce premier volet de notre dyptique sur les LBOs s’intéresse à certains des plus grands échecs de leur histoire, pour ensuite faire la part belle aux deals les plus réussis.

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RJR Nabisco, premier véritable méga-deal de l’histoire

Rendu mythique par le livre Barbarians at the gate, le rachat du groupe RJR Nabisco par KKR demeure le plus grand deal de l’histoire en valeur indexée sur l’inflation : 31,1 milliards de dollars en 1989, soit l’équivalant de 59 milliards actuels. RJR Nabisco est le récit d’une lutte financière intense aboutissant à la fusion de RJ Reynolds – poids lourd de l’industrie du tabac – et de Nabisco : leader sur le marché des gâteaux et chips. Le rachat par effet de levier de RJR Nabisco témoigne de la folie de Wall Street dans la décennie 80. Il demeure un échec majeur de l’histoire des LBO, dans lequel se sont embourbés les plus grands noms de la finance : Morgan Stanley, Goldman Sachs, First Boston, Wasserstein Perella & Co., Forstmann Little, et Merrill Lynch. L’offre initiale d’un groupe de cadres dirigeants de l’entreprise, en partenariat avec la banque Shearson Lehman Hulton, s’élevait à 75$ par action. Le deal fut finalement conclu pour 109$ par action, et ce en faveur de KKR.

Ayant reconnu par la suite que le fonds avait acheté RJR Nabisco à un prix bien trop élevé, KKR ne s’est finalement désengagé de son investissement qu’en 2004. Les souscripteurs du fonds comprenant RJR Nabisco n’ont alors bénéficié que d’un faible retour annuel de 10%; d’ailleurs principalement dû aux retours d’un autre LBO : Duracell. Si la réputation de KKR a grandement souffert de cet échec – le contraignant à revoir ses frais de gestion afin de garder ses investisseurs – le fonds demeure l’un des poids lourds du Private Equity.Véritable cas d’école synthétisant plusieurs clés nécessaires à la réussite d’un LBO, l’épisode RJR Nabisco souligne dans un premier temps l’importance du prix d’achat de l’entreprise. Face à la concurrence acharnée que se livrent les trois principaux acheteurs – le partenariat entre le management et Shearson Lehman Hulton, KKR, First Boston – les enchères ont rapidement pris le pas sur la raison, le prix final ne reflétant que partiellement la valeur réelle d’une entreprise qui, dans les faits, s’est révélée incapable de rembourser le montant de la dette souscrite. Dans le livre star, Ross Johnson déplore que les égos de Wall Street prennent le pas sur le sort de l’entreprise. Histoire de rivalités entre banquiers mythiques – Ted Forstman, Kravis, Roberts, Peter Cohen, Perella ou encore Wassertein – le LBO de RJR Nabisco est bel et bien emblématique.

L’échec de KKR souligne l’importance de la qualité du management d’une cible LBO et de la connaissance qu’a le fonds acquéreur du marché. Le choix hasardeux du nouveau management mis en place par le fonds – méconnaissant profondément le secteur des cigarettes – a contribué à la chute de RJR Nabisco. En effet, la perte de parts de marché sur ce secteur, accentuée après 1989, s’est faite au profit de Philip Morris ; réduisant les cash flows nécessaires au remboursement de la dette et forçant KKR à procéder à une première IPO dès 1991 ainsi qu’à de multiples refinancements.

Conséquence de l’importance des chiffres avancés à l’époque, ce LBO fut très médiatisé et a profondément impacté l’opinion publique, Wall Street ayant craint l’adoption d’une législation anti-LBO suite à l’opération. La presse a alors joué un rôle notable tout au long de l’opération et contribué indirectement à la victoire de KKR. La une du Times de décembre 1988, titrée « A game of greed : Has the buyout craze gone too far ? » asséna un rude coup à Ross Johnson. En publiant des documents relatifs aux accords signés par le management, le papier a très fortement écorné l’image du CEO de RJR Nabisco. Mentionnant notamment un parachute doré de plus de 100 millions de dollars pour Johnson, l’article marqua un tournant dans la conquête de RJR Nabisco. Suite à cette épisode, l’opinion publique s’est violemment retournée contre le personnage, ainsi que le comité en charge d’arbitrer les enchères; prenant alors officieusement parti en faveur de KKR et First Boston. A ce titre, l’offre finale de Johnson de 112 dollars par action fut rejetée, au profit de celle de KKR pourtant moins élevée (109 dollars, avec toutefois une dette mieux structurée).

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TXU, du Buyout à la banqueroute

Avec un retour d’environ 3 à 5% – loin des 35% habituels de TPG –  le LBO de TXU Corp par un consortium composé de TPG, KKR et Goldman Sachs Capital Partner, constitue la plus grande faillite non-financière de l’histoire. Evalué à 44,4 milliard de dollars en 2007 – soit le plus gros deal de l’histoire en valeur nominale –  le cas TXU illustre l’incertitude liée aux entreprises sous LBO. Conclu en 2007 à une époque où les financements abondaient, l’investissement dans TXU Corp – premier opérateur de centrales électriques au charbon du Texas – répondait à une logique d’apparence inébranlable pour l’entreprise. Nombre d’analystes affirmaient que la chute des prix du gaz naturel n’était que temporaire, et que leur remontée assurerait les profits liés à la production d’électricité au charbon. Contre toute attente, le prix de l’or noir a poursuivi sa hausse pendant sept ans, allant de pair avec une réduction des prix du gaz naturel, fatale à TXU (devenue Energy Future Holdings) alors incapable de rivaliser et amenée à la faillite en 2014.

Autre cas d’école, l’échec de TPG, KKR et Goldman Sachs Capital Partner démontre qu’un levier (rapport dette/capitaux propres) trop important peut s’avérer insoutenable. Une entreprise de taille considérable peut alors se voir incapable de rembourser ses créanciers. L’excès de confiance des sponsors financiers quant à l’évolution du marché est une autre clé de compréhension de cet échec. Hypothèse pourtant irréaliste à l’époque (selon les analystes et les modèles mathématiques), la chute du prix du gaz a mis à mal les projections des investisseurs. De fait, ce véritable bouleversement du marché de l’énergie a conduit le projet de LBO à sa perte.

 

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Caesars Entertainment, victime de la crise de 2008

Rachetée par Apollo Global Management et TPG Capital en 2006 pour 27,4 milliards de dollars, la chaîne de casinos Caesars Entertainment est l’un des plus grands échecs de l’histoire du Private Equity. A l’instar de TXU, c’est une victime directe de la conjoncture. Ayant déclaré faillite, elle a été contrainte à suivre un plan de restructuration ; obligeant Apollo à céder une grande partie de son capital engagé afin de rembourser les détenteurs d’obligations senior. Caesar Entertainment illustre comment la crise de 2008 a mis à mal certains LBO qui paraissaient si attractifs.

La crise de 2008 a porté un sévère coup à l’industrie du jeu et du tourisme ; d’où la chute d’activité de Caesars. La baisse générale du pouvoir d’achat de la population américaine a considérablement réduit le chiffre d’affaires du groupe. De plus, point commun à la plupart des méga deals pré-crise, le très fort taux d’endettement de Caesars – ratio Debt/EBITDA passé de 4.7x pré-LBO à 8x post-LBO – est devenu insoutenable pour le groupe incapable de rembourser ses créanciers. Ainsi, en cas de bouleversement économique majeur, un levier trop important peut mener une entreprise à sa perte.

 

Preuve que les deals gigantesques ne sont pas forcément des paris gagnants et que des industries en apparence solides peuvent se révéler être de périlleux investissement, TXU, Caesars Entertainment et RJR Nabisco sont l’héritage d’un emballement pour les LBO et des dérives de Wall Street prévalant avant 2007. Considérés comme des échecs à part entière – TXU dans une autre mesure que RJR Nabisco et Caesars Entertainment – ces transactions ne doivent pas occulter le succès retentissant d’autres LBOs. Ainsi, le second volet de notre dyptique passera en revue d’incontestables réussites ayant marqué l’histoire de la finance par leurs montants records.

Andrea Bossetti, étudiant à PSB et contributeur du blog AlumnEye